"Les acteurs économiques prennent la main sur l'enjeu environnemental"

Expert des questions énergétiques et écologiques, Pierre Radanne a été président national de l’Ademe jusqu’en 2002. À l’occasion de sa présence à Montpellier, le 25 février, pour la journée de débats COPdécrypt organisée par Agropolis International, il évoque pour Objectif les liens entre les bouleversements écologiques actuels et le monde économique.

Décrypter les grandes conventions internationales sur l'environnement afin que la société civile puisse en extraire les principaux enjeux, telle est l'ambition de la journée de débats COPdécrypt qui se tiendra le 25 février, à Pierresvives, à Montpellier. Cet événement est organisé par Agropolis International et l'association CARI avec le soutien de la Région Occitanie et du Département de l'Hérault.

Climat, biodiversité, désertification : autant de sujets environnementaux qui deviennent progressivement sujets de société et en imprègnent le quotidien. Et l'entreprise n'échappe pas au phénomène, explique Pierre Radanne, président national de l'Ademe jusqu'en 2002, qui interviendra lors de cette journée.

Le monde économique est de plus en plus au cœur des enjeux environnementaux selon l'expert des questions énergétiques et écologiques : les entreprises subissent directement les conséquences des déséquilibres écologiques actuels mais surtout elles sont, depuis l'accord de Paris sur le Climat en 2016, les principales protagonistes du « rééquilibrage » écologiques. Explications.

Objectif : Quels sont les impacts directs sur les entreprises du changement climatique ou des autres déséquilibres écologiques ?

Pierre Radanne : L'évolution du prix des matières premières et de l'énergie est l'une des premières conséquences directes sur les entreprises de la  dégradation de l'environnement. Même si elles sont habituées aux fluctuations, elles doivent faire face à des évolutions de prix qui deviennent de vrais éléments perturbateurs susceptibles d'ébranler leurs plans stratégiques et leurs prévisions.

Le second impact est la pression sociétale et salariale. Aujourd'hui, l'attitude d'une entreprise vis-à-vis de l'environnement est observée par ses salariés, son voisinage, ses clients ou les consommateurs. Petites ou grandes entreprises sont sous les projecteurs. Dans le monde agricole par exemple, les chefs d'exploitation sont confrontés à une population rurale plus sensible aux épandages et à des salariés prudents quant à l'usage des produits phytosanitaires. Le but d'une entreprise est de satisfaire ses clients et si ces derniers ont cette préoccupation environnementale, elles n'ont pas d'autres choix que de la prendre en compte.

Objectif : Cette prise en compte des enjeux environnementaux par les entreprises reste dans certains secteurs marginale, si l'on exclut le "green washing". Comment expliquez-vous ce décalage?

Pierre Radanne : Ces évolutions s'inscrivent dans le temps. La transformation des procédés industriels et des modes de production ne se fait pas d'un claquement de doigts. Une entreprise ne peut pas abandonner son appareil productif du jour au lendemain. On est sur des stratégies à l'horizon 2030-2050. L'opinion publique a du mal à comprendre cette inertie. Selon moi, le désaccord ne porte pas sur l'intention mais sur le rythme.

Objectif : Existe-t-il des indicateurs qui démontrent que les questions environnementales deviennent réellement des facteurs déterminants dans la stratégie des entreprises ?

Pierre Radanne : Un signal très fort est venu du secteur financier avec, en mai 2015, l'octroi par la société de notation Standard & Poor's des notes négatives aux entreprises et États qui continuaient à investir massivement dans les énergies fossiles. Conséquence : le secteur bancaire a accru les taux d'intérêts des prêts donnés à ces entreprises. Le risque était plus grand de voir les investissements qu'elles allaient réaliser ne pas aller jusqu'à leur fin de vie. En revanche, les entreprises engagées dans l'efficacité énergétique, dans le recyclage ou encore dans les constructions de qualité ont bénéficié de meilleures évaluations. Le secteur bancaire choisit logiquement d'investir dans ces filières d'avenir qui vont assurer la transition plutôt que dans celles qui sont condamnées à terme. Ce basculement des portefeuilles d'investissements est un signal très fort pour les entreprises. Mais fort heureusement, il ne se fait pas du jour au lendemain non plus.

Objectif : Qu'est-ce qui a provoqué ce basculement du secteur financier et bancaire, selon vous ?

Pierre Radanne : Le facteur déclenchant est une décision politique. On a tendance à opposer ces mondes, or la réalité est différente. Dans une situation complexe avec des intérêts antagonistes, la prise de décision politique donne un signal clair aux entreprises, non pas pour tout changer du jour au lendemain mais pour construire une stratégie.

Objectif : Quelle est cette décision politique à l'origine du basculement que vous évoquez ?

Pierre Radanne : À la suite des négociations de la COP21, l'accord sur le climat de Paris adopté le 12 décembre 2015 marque un tournant. Adopté par l'ensemble des 195 délégations, ce texte est le premier accord universel sur le climat. Il fixe l'objectif d'un changement de modèle économique d'ici à 2050, soit en une génération et demie. Quand 195 pays signent un tel acte, ils s'expriment par rapport à une vision à long terme et c'est un signal politique fort.

Objectif : Comment expliquez-vous cet engagement unanime de la classe politique mondiale en faveur de la cause environnementale ?

Pierre Radanne : Le processus de l'Accord de Paris a fonctionné pour deux raisons. Tout d'abord, il y a une unanimité de la communauté scientifique mondiale, à quelques exceptions près qui pilonnent les élus sur le sujet depuis 1985. Ces derniers n'ont pas de culture scientifique mais, sans doute par éducation et par élitisme, ils respectent l'avis des scientifiques. De plus, le rapport du GIEC avait précédé l'événement et sensibilisé ce public.

Le second facteur qui explique le succès de l'Accord de Paris est l'arrivée de la question migratoire sur le devant de la scène au même moment. Derrière ce phénomène d'exode, il y a en effet des problèmes de sécheresse et de désordre climatique qui mettent des populations sur les routes. Il a donc fallu comprendre, à cette époque, qu'en laissant l'ensemble des zones du Moyen-Orient, du Sahel ou du nord de l'Inde se déstabiliser, on ne s'en sortirait pas sans une réelle vision de développement et une réflexion sur les facteurs qui en sont la cause. La classe politique a alors réellement pris au sérieux la question du réchauffement climatique et l'a considéré comme un facteur extrêmement dangereux de dégradation des relations internationales.

Objectif : Néanmoins, cet accord semble aujourd'hui fragile, notamment avec des pays comme les États-Unis qui évoquent leur désengagement.

Pierre Radanne : Cet exemple est justement très intéressant car il témoigne du basculement qui a eu lieu avec l'Accord de Paris. Le président des États-Unis, Donald Trump, avait annoncé avant son élection ne pas croire au changement climatique, vouloir renforcer l'utilisation des combustibles fossiles et se dégager de l'Accord de Paris. Dans la semaine qui a suivi son arrivée à la Maison Blanche, il a reçu des courriers de la part de 360 multinationales américaines qui l'alertaient sur le fait qu'avec de tels choix politiques, elles n'auraient plus accès aux capacités financières liées à l'Accord de Paris. "En tant qu'entreprises, nous sommes forcément guidées par nos intérêts propres", expliquaient-elles. "Mais quand il y a une forme d'unanimité dans la société, nous devons suivre le mainstream, sinon nous perdons des parts de marché". Sous la pression de l'opinion publique, les gouverneurs des États et des maires de grandes villes se sont eux aussi manifestés auprès de Donald Trump. Résultat : aujourd'hui, les États-Unis sont toujours engagés dans l'Accord de Paris.

Objectif : En France, les débats pour la présidentielle ne font pourtant pas beaucoup de place à l'écologie. Restez-vous optimiste ?

Pierre Radanne : Le Brexit, Donald Trump, Poutine ou la médiocrité des débats français témoignent d'une dégradation politique généralisée. Nous avons une classe politique qui n'a pas de compréhension des enjeux d'avenir et qui ne traite pas des questions de modes de développement. C'est une crise de vision du futur qui traverse aujourd'hui l'ensemble des sociétés développées, sous la pression des pays émergents. Les élus comprennent l'enjeu environnemental, le temps d'une conférence internationale, mais ils sont rattrapés par des jeux politiques internes dès la semaine suivante. Toutefois, ils ont fait leur travail et les négociations internationales ont fait office de démarreur, elles ont donné l'impulsion. Pour faire fonctionner le moteur, les actions à mener se situent désormais du côté économique et non politique. La lutte contre le changement climatique a changé de mains et les acteurs économiques prennent le relais. C'est le monde politique qui va se retrouver à galoper derrière, comme on peut déjà le voir en Allemagne, par exemple.

Pour en savoir plus sur la journée COPdécrypt : www.agropolis.fr/copdecrypt
Journée gratuite - entrée libre (10h-17h - domaine départemental pierresvives - Montpellier)

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 23/02/2017 à 18:42
Signaler
"L'opinion publique a du mal à comprendre cette inertie. Selon moi, le désaccord ne porte pas sur l'intention mais sur le rythme" On peut dire la vérité également, à savoir que si les entreprises côtées en bourse donnaient moins à leurs actionnair...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.