Pipeline d'hydrogène entre Barcelone et Marseille : un projet sous-marin ambitieux mais risqué

Le projet d’un pipeline sous-marin entre Barcelone et Marseille, baptisé BarMar ou H2Med et destiné à transporter de l’hydrogène entre la péninsule ibérique et la France, a été entériné le 9 décembre à Alicante, lors du Sommet EuroMed. Alors que les acteurs de l’hydrogène et les élus de la région Occitanie demandaient à ce que cette liaison soit connectée aux côtes occitanes, le tracé privilégié (sur trois alternatives) est entièrement sous-marin de Barcelone à Marseille. Le projet comporte toutefois des risques.
Le pipeline H2Med entre Barcelone et Marseille est jugé essentiel pour la souveraineté énergétique de l'Union européenne : il doit permettre de transporter 10% de l'hydrogène consommé en Europe, soit quelque deux millions de tonnes par an à l'horizon 2030.
Le pipeline H2Med entre Barcelone et Marseille est jugé essentiel pour la souveraineté énergétique de l'Union européenne : il doit permettre de transporter 10% de l'hydrogène consommé en Europe, soit quelque deux millions de tonnes par an à l'horizon 2030. (Crédits : DR)

Le projet de pipeline d'hydrogène entre Barcelone et Marseille a été lancé officiellement le 9 décembre, lors du sommet EuroMed qui se déroulait à Alicante en Espagne. Baptisé "H2Med" ou "BarMar" (contraction de Barcelone-Marseille), ce corridor sous-marin permettra d'acheminer de l'hydrogène dit "vert" - car fabriqué à partir d'électricité renouvelable - depuis l'Espagne vers la France et le nord de l'Europe. Outre le pipeline sous-marin, ce projet comprendra une interconnexion entre la ville portugaise de Celorico da Beira (nord-est) et la ville espagnole de Zamora (nord-ouest).

L'Espagne et le Portugal ont pour ambition de devenir des références mondiales en matière d'hydrogène vert, grâce à leurs nombreux parcs éoliens et photovoltaïques. Le pipeline entre Barcelone et Marseille est jugé essentiel pour la souveraineté énergétique de l'Union européenne : il doit permettre de transporter 10% de l'hydrogène consommé en Europe, soit quelque deux millions de tonnes par an à l'horizon 2030, et ainsi d'accélérer la décarbonation de l'industrie européenne en lui donnant accès à une énergie propre produite à grande échelle.

Alors que Paris, Madrid et Lisbonne avaient initialement annoncé que, dans un premier temps, du gaz pourrait être acheminé via ce pipeline afin de réduire la dépendance de l'Europe au gaz russe, il sera finalement dédié uniquement au transport d'hydrogène. C'était une condition indispensable pour espérer être déclaré "projet d'intérêt commun" par Bruxelles et obtenir un financement européen pouvant aller jusqu'à 50% du coût.

L'Occitanie mécontente

L'annonce, faite par Emmanuel Macron le 20 octobre dernier, avait soulevé l'incompréhension des acteurs de l'hydrogène et des élus de l'Occitanie, la présidente de Région Carole Delga en tête, car la liaison gazière ne sera pas connectée aux côtes occitanes alors que le territoire portent de nombreux projets autour de l'hydrogène.

« Un pipeline totalement offshore qui ne desservirait pas le bassin hydrogène sud-ouest - comprenant l'Occitanie et la Nouvelle-Aquitaine - lèserait le développement de la filière hydrogène sur ce territoire », déclarait à La Tribune Nicolas Azan, délégué régional adjoint de France Hydrogène en Occitanie, le 1er décembre dernier.

Il mettait en garde, indiquant que « pour le bassin sud-ouest, le pipeline tel qu'annoncé retire cette possibilité à disposer d'une source d'hydrogène massive et sûre et lèse aussi potentiellement les acteurs qui développent des sites industriels de production d'hydrogène car on leur enlève un exutoire possible ». Et préconisait une alternative : « d'abord un pipeline offshore pour éviter les Pyrénées, avec un atterrage autour de Port-la-Nouvelle, permettant la desserte du bassin hydrogène sud-ouest. Et ensuite, rejoindre les tracés des canalisations de transport de gaz existantes sur des réseaux Terega à l'ouest et GRTgaz à l'est, reliant d'ouest en est le sud de la France ».

Un tracé privilégié sur pentes douces

Les promoteurs du projet présentent pourtant cette connexion comme « l'option la plus directe et la plus efficace pour relier la péninsule ibérique à l'Europe centrale », considérant que Marseille constitue une porte d'entrée intéressante pour desservir la vallée du Rhône, l'Allemagne, voire le nord de l'Italie, des régions industrielles appelées à devenir de fortes consommatrices d'hydrogène vert.

Le tracé définitif n'a pas encore été fixé mais sur les trois tracés envisagés, celui privilégié par Paris, Madrid et Lisbonne est long de 455 kilomètres avec une profondeur maximale de 2.600 mètres. Il est plus long qu'un autre tracé longeant la côte mais il a l'avantage technique d'offrir « des pentes ascendantes plus douces » au niveau du relief sous-marin, explique la feuille de route présentée vendredi par les trois pays.

Opérationnel en 2030, ce pipeline coûtera environ 2,5 milliards d'euros. Sa construction devrait démarrer fin 2025. L'interconnexion entre le Portugal et l'Espagne devrait coûter elle environ 350 millions.

Profondeur, distance, risque de corrosion

Mais le projet repose sur un pari risqué. Le H2Med se heurte à plusieurs difficultés techniques, liées en partie à son caractère inédit.

« Un "hydrogénoduc" sous-marin à cette profondeur, à cette distance, cela n'a jamais été fait », souligne Gonzalo Escribano, expert du centre d'études espagnol Real Instituto Elcano.

Pour José Ignacio Linares, professeur à l'université Pontificia Comillas de Madrid, l'un des principaux problèmes tient à la nature de l'hydrogène, un gaz constitué de petites molécules susceptibles de s'échapper par les jointures du pipeline et, par ailleurs, extrêmement agressives, donc susceptibles d'entraîner des problèmes de corrosion.

« Mais ces problèmes ne sont pas insurmontables, souligne cet ingénieur de formation. Il suffit d'installer une membrane à l'intérieur du tuyau, une sorte de plastique, pour éviter que l'hydrogène ne s'échappe ou n'attaque" le métal. »

Le véritable risque, selon les experts, porte sur la viabilité économique du projet, s'agissant d'une technologie balbutiante qui pourrait transformer la construction du H2Med en véritable pari industriel.

« On ignore quand le marché de l'hydrogène vert prendra son essor, quand on sera en mesure d'en produire suffisamment pour l'exporter », déclare Gonzalo Escribano.

« Le problème, c'est que les délais de construction d'un pipeline sont tellement longs qu'on ne peut pas se permettre d'attendre, ajoute José Ignacio Linares. Sinon, on se retrouvera avec une importante production d'hydrogène qu'on ne pourra pas exporter. »

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Commentaires 2
à écrit le 11/12/2022 à 10:40
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C'est vrai ! La France est une très grande puissance, tellement qu'elle pourrait le devenir encore plus ! Pour cela il faudrait appuyer sur l'accélérateur au lieu d'avoir le pied sur le frein. Et revenir à une boite de vitesse manuelle au lieu de l'a...

à écrit le 10/12/2022 à 10:29
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Madame, pourquoi ne penser qu'à l'allaitement au sein ?! Dans certains pays (Asie) les parents donnent du lait de soja ou d'amandes à leur bébé. Et ils n'en sortent pas moins bien. Mieux peut-être qu'en on constate le nombre de jeunes délinquants che...

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