« Dans le monde d’après, il va falloir comprendre l’importance de la recherche » (Philippe Berta)

Philippe Berta est député (Modem) du Gard et professeur des universités en biologie, génétique, biochimie, biotechnologie, à l'Université de Nîmes. Très impliqué dans les domaines de la recherche et de la santé, et à la lumière de la crise sanitaire actuelle, il évoque la nécessité à rapatrier la chaîne de production de médicaments en Europe.
Cécile Chaigneau
Philippe Berta, député du Gard et professeur des universités.
Philippe Berta, député du Gard et professeur des universités. (Crédits : DR)

La hausse du nombre de signalements de rupture de stock de médicaments d'intérêt thérapeutique majeur est préoccupante et pose la question du rapatriement de la chaîne de production des médicaments en Europe...

« Nous avons en effet observé une délocalisation, mais qui n'est pas spécifique à la France, des grands comptes de l'industrie pharmaceutique, notamment une délocalisation des principes actifs pharmaceutiques essentiellement en Chine et la mise en place de production finalisée de médicaments en Inde. Or ont été mises au jour les conditions de production de ces médicaments dans les usines indiennes, ainsi que l'organisation de productions annexes de médicaments hors de tout contrôle qualité, qui sont déversés sur les réseaux et vendus sur internet. On observe des ruptures d'approvisionnements médicamenteux car les industries pharmaceutiques ont les mêmes fournisseurs en Chine et en Inde et pour peu qu'il y ait un problème technique ou qualitatif sur la chaîne, celle-ci est interrompue. Or la France est rarement prioritaire car pas considérée comme bon payeur... Suite à un rapport parlementaire du Sénat et à un rapport de l'Agence nationale de sécurité du médicament, je me suis emparé de cette question en demandant s'il n'était pas temps de réfléchir à une politique nationale ou européenne de relocalisation de la production de médicaments, car c'est un enjeu stratégique en termes de souveraineté nationale s'agissant de médicaments d'intérêt thérapeutique majeur. »

Quelle est la capacité de la France en matière de production de médicaments ?

« Une problématique est régulièrement soulevée au Conseil stratégique des industries de santé : nous n'avons pas en France les moyens de produire les thérapeutiques de demain, c'est-à-dire les anticorps, vaccins, thérapies géniques, thérapies cellulaires, CAR-Tcell (nouvelle forme d'immunothérapie, NDLR). Nous ne pouvons en produire que quelques lots cliniques mais nous n'avons pas la capacité de l'industrialisation qui devient impérieuse car c'est à travers elle qu'on en fera baisser le coût...  C'est un souci constant. Je dirige le master de biotechnologie BIOTIN et j'accorde une place importante à la production de biomédicaments. Cela fait des années que je vois passer ces rapports décrivant un nombre d'acteurs insuffisant dans ce domaine en France. »

Des avancées sur cette question ?

« Avant la crise du Covid-19, le gouvernement travaillait sur la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche. Et en décembre dernier, le Premier ministre a lancé une mission sur la problématique du rapatriement de la production médicamenteuse sur le territoire français... Mais déjà, fin février, Sanofi annonçait son intention de créer une nouvelle entreprise autonome qui deviendrait un leader européen dédié à la production et à la commercialisation de principes actifs pharmaceutiques. »

Quel éclairage apporte la crise sanitaire du Covid-19 ?

« J'espère que l'après ne sera pas dans l'oubli de l'avant. Il faut à tout prix réfléchir à ce qui doit être à l'échelle de la nation et qu'on n'a pas le droit d'abandonner à des pays tiers. On a laissé dériver les choses. Il y a des moments où il faut dépasser les critères économiques et financiers et penser stratégie. »

Que pensez-vous, en tant que scientifique, de la polémique sur le traitement du Covid-19 à base de chloroquine ?

« Le Pr Raoult est quelqu'un qui ne fait pas l'unanimité dans le monde scientifique, mais il a contribué à des travaux importants sur la ré-émergence de maxi-virus. Je ne suis pas infectiologue mais la liste de ses publications est impressionnante. Concernant la chloroquine, j'ai lu que l'essai clinique sur 24 patients n'était pas recevable. Néanmoins, il y a une piste, là et ailleurs. Attendons de voir pour croire, mais ça va venir vite... J'ai été contacté par le dirigeant de Medesis Pharma, qui a repéré des similitudes entre les poumons de patients Covid-19 et ceux de patients irradiés et a besoin de moyens pour faire une étude clinique sur un traitement. J'ai tout transmis au cabinet du ministre de la Santé Olivier Véran. »

Quelle problématique cette situation d'urgence à trouver un traitement interroge-t-elle ?

« C'est une bonne occasion pour réactiver un système ayant fait l'originalité de notre pays : le système des autorisations temporaire d'utilisation (ATU, ndlr). Historiquement mis en place à l'époque des premiers malades du Sida, il leur permettait d'avoir accès à des molécules qui n'avaient pas encore suivi tout le cheminement de l'essai clinique. C'est un système qui permet d'avancer vite et de sauver de gens, et j'espère qu'on va prendre conscience de ses avantages pour des patients Covid-19 à un stade avancé. »

Et dans le monde d'après ?

« Dans le monde d'après, il va falloir comprendre l'importance de la recherche et des moyens à lui accorder. Mais on y travaillait déjà, je ne dis pas ça par opportunisme. »

Cécile Chaigneau

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Commentaire 1
à écrit le 26/03/2020 à 10:02
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Philippe Berta est un homme de bon sens même si son appartenance à la majorité l'oblige à avaler certaines couleuvres. N'oublions pas qu'il entretenait pour Nîmes un projet essentiel; savoir: l'implantation d'un centre international d'analyse du génô...

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