Bartabas : "Le vrai combat est ici à Béziers, plus qu'au festival d'Avignon"

Il n'intervenait plus physiquement, depuis des années, dans les spectacles de son théâtre Zingaro. Bartabas, l'homme cheval, de retour à Béziers jusqu'au 10 juillet dans le cadre du Printemps des Comédiens, poursuit sa chevauchée contre toutes les formes d'exclusion. Entretien.

Vous avez imaginé ce 13e spectacle pendant les attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo... Vous étiez Charlie en écrivant ces Élégies ?

Les répétitions avaient déjà commencé au moment des attentats. Le thème des anges, la thématique de travail étaient choisis, mais les événements dramatiques de janvier 2015 ont influencé le contenu du spectacle en lui conférant un aspect plus sarcastique. Le titre aussi s'en est ressenti. Les titres de Zingaro font toujours sept lettres : à côté d'élégies (les chants des morts du grec elegia, NDRL) on a rajouté « On achève bien les anges », parce que c'est pour moi un titre à la Charlie Hebdo.

Pourquoi avoir accepter l'invitation du directeur du Printemps des Comédiens, Jean Varela (voir notre article ici), de délocaliser votre spectacle de Montpellier à Béziers ?

Il ne faut pas oublier que le théâtre Zingaro est né à Nîmes, il y a plus de 25 ans. Il y a un vrai attachement à cette région au sens large, où Zingaro a donné de nombreuses représentations. Mais cette fois, ma venue prend une connotation plus particulière : jouer à Béziers aujourd'hui, c'est une manière de tendre les bras aux gens et d'ouvrir des portes pour l'avenir. Le vrai travail de l'artiste n'est-il pas d'ouvrir des horizons au public, d'éveiller les sensibilités, très modestement ? D'une manière plus provocatrice, je dirai qu'il est plus important aujourd'hui d'être à Béziers qu'au festival d'Avignon, dans le contexte de l'entre-soi où il n'y a plus rien à prêcher. Le vrai combat est ici, dans cette aventure vers l'autre.

C'est votre façon de dire non au maire Robert Ménard ?

Dire non à Ménard, ce n'est en aucun cas boycotter cette ville. Et Béziers n'est pas un cas isolé, je pourrais parler de la France en général qui s'affirme de plus en plus dans le repli sur soi... Dans la France d'aujourd'hui, Zingaro, l'existence même de la troupe - des gens qui se sont rassemblés autour d'un projet sans compromission politique, à 85% autofinancé - est un fait politique.

La peur de l'autre, c'est le terreau de l'extrémisme ?

La première leçon que m'ont appris les chevaux, c'est de dominer ma peur. C'est une vraie fascination, les chevaux, la fascination étant ce mélange de l'admiration et de la peur. En extrapolant, cette peur de l'autre c'est la base du racisme, de l'appréhension de notre société, du repli sur soi, dans ce sens-là il est important d'aller jouer dans des contextes comme ici, pour affirmer par l'art qu'il y a encore de l'avenir. Et les chevaux rendent cette approche plus facile, parce qu'ils sont présents dans l'inconscient collectif de tous les gens... même ceux qui n'en n'ont jamais approchés.

Des chevaux, des clowns-bouchers traversant la pièce... La condition animale est dénoncée dans ce nouvel opus.

Sans faire du théâtre militant, c'est un des grands thèmes du spectacle, la boucherie dont sont l'objet aujourd'hui les animaux. D'une civilisation de cueilleurs-chasseurs, nous sommes passés à une industrialisation de la condition animale ! C'est un fait nouveau de société, cette déviance qui consiste à produire à la chaîne des usines à viande, de faire naître des êtres dont on estime la vie en nombre de jours. En quel nom l'homme s'arroge le droit de régir la vie d'autres êtres vivants pour sa consommation personnelle ? Philosophiquement, éthiquement, c'est insoutenable, c'est pour moi un problème dont on n'a pas encore mesuré l'échelle et les conséquences au niveau mondial.

Votre spectacle est traversé par la mort, les religions, les extrémismes... L'humour aussi.

Au-delà des extrémismes, c'est le rituel de la religion qui m'intéresse. Les rituels religieux sont pour moi les premiers actes théâtraux des humains. Une messe, c'est du théâtre, c'est mettre l'être humain en condition pour qu'il puisse recevoir un message, une méditation, une élévation... Mais si « On achève bien les anges » est traversé par la mort, je le conçois aussi comme un spectacle joyeux et profond, il fait partie des grands crus des spectacles Zingaro avec plusieurs niveaux de lecture. On peut y entrer par le côté comique, sarcastique, etc., en fonction de son vécu, de sa culture, de son âge. C'est pour moi la définition d'un grand théâtre populaire, qui ne doit pas flatter en abaissant son propos, mais rester exigeant, tout en rendant son propos accessible à tous.

L'humour qui traverse la pièce, c'est la meilleure arme contre les extrémismes ?

Je suis un enfant de Charlie Hebdo : j'ai commencé avec Tintin, Pilote que m'achetaient mes parents, puis Hara-Kiri, Charlie Hebdo. On vit à présent dans une société où on devient de plus en plus pudibonds, on ne pourrait pas publier aujourd'hui un humour comme le professeur Choron (journaliste humoriste co-fondateur des revues Hara-Kiri et Charlie Hebdo, NDLR). L'humour est pourtant notre meilleure arme, c'est ce qui définit l'être humain : tous les hommes pleurent de la même chose, mais tout le monde ne rigole pas de la même chose !

"On achève bien les anges (élégies)", du 11 juin au 10 juillet à SortieOuest, domaine départemental de Bayssan. Tous les soirs à 21h, le dimanche à 19h. Relâche les 16, 21, 23, 27, 30 juin, 4 et 7 juillet.

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Commentaire 1
à écrit le 18/06/2016 à 8:10
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N'y a-t-il pas de correcteur à la Tribune ? "Pourquoi avoir accepter l'invitation" ça fait un peu tache non ?

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