Forum littoral de l’emploi saisonnier : une faible fréquentation, symptôme d’un secteur en difficulté

Sur le littoral méditerranéen, l’emploi saisonnier est en passe de devenir un vrai casse-tête pour les professionnels du tourisme, en particulier pour la restauration. Lors du traditionnel Forum littoral de l’emploi saisonnier le 15 février dernier, qui affichait une offre d’emplois plus conséquente que les années précédentes, la désaffection pour ces métiers s’est traduite par des rangs de visiteurs très clairsemés. Une situation préoccupante à moins de deux mois du début de la saison estivale. Reportage.
Le 15 février dernier, le Forum littoral pour l'emploi saisonnier, rendez-vous habituellement prisé, a accueilli à peine 700 visiteurs (contre 1.600 en 2019), une situation préoccupante à moins de deux mois du début de la saison estivale.
Le 15 février dernier, le Forum littoral pour l'emploi saisonnier, rendez-vous habituellement prisé, a accueilli à peine 700 visiteurs (contre 1.600 en 2019), une situation préoccupante à moins de deux mois du début de la saison estivale. (Crédits : Valentine Ducrot)

Après une dernière édition en format digital, le forum littoral de l'emploi saisonnier, rendez-vous économique incontournable pour préparer la saison estivale, avait fait son retour en présentiel le 15 février dernier, au palais des sports et de la culture du Grau-du-Roi.

Regroupant depuis 2017, dans un souci de cohérence géographique et économique, les communes du Pays de l'Or et de Terre de Camargue, le forum proposait cette année 1.655 offres d'emplois émanant de 145 entreprises. Une offre plus conséquente que les années précédentes, avec des profils de postes très variés (cuisiniers, animateurs, plongeurs, réceptionnistes, serveurs, femmes de chambre, aides à domicile, etc.). Pourtant, les allées étaient quasi désertes, les chaises vides face aux recruteurs attendant désespérément d'hypothétiques candidats...

A peine 700 visiteurs ont été enregistrés, contre 1.600 en 2019. Une situation pour le moins préoccupante, à moins de deux mois du début de la saison.

« Les recrutements sont de plus en plus difficiles chaque année, constate Pauline, codirigeante de La Réserve Plage, concession ouverte d'avril à septembre au Grau-du-Roi. Depuis deux ans, je suis passée en cuisine pour assurer le bon déroulement des services (en moyenne 200 couverts le midi, et une centaine le soir en haute saison, NDLR). Cette année nous recherchons un chef-cuisinier et un commis. Il y a deux ans, nous avions reçu 55 candidats, cette année quatre. Nous avons discuté avec l'ensemble des recruteurs présents sur le forum et nous sommes tous stupéfaits de la situation. »

Problématique majeure : le logement

Directrice de Pôle Emploi Terre de Camargue, Françoise Caillon est en première ligne pour constater une véritable désaffection des métiers de la restauration, qui concentrent cette année 40% des offres. Elle évoque plusieurs raisons.

« La crise sanitaire a fait émerger le fait que les jeunes ne veulent plus d'un métier jugé difficile et contraignant par ses amplitudes horaires, indique-t-elle. La réforme de l'assurance chômage a bien sûr un impact sur les contrats courts (il faut désormais avoir travaillé six mois sur les 24 derniers mois pour toucher des allocations, NDLR) mais je suis convaincue que le CDI saisonnier est un atout pour fidéliser les équipes. Les hausses de salaires dans le secteur se concrétisent mais ne suffisent pas. Des restaurants comme le Boëm à Aigues-Mortes cherchent des serveurs rémunérés plus de 2.000 euros net hors saison et ne trouvent pas. Le pass vaccinal est un frein mais la problématique majeure pour notre territoire saisonnier, c'est le logement. »

Désamour

Au camping Les petits camarguais (1.040 hébergements sur deux établissements au Grau-du-Roi et à Aigues-Mortes, jusqu'à 250 salariés en haute saison), la question du logement n'explique pas tout.

« Le processus de recrutement est devenu très fastidieux, se désole Mathilde Sauvaire, directrice de l'établissement. Cette année nous recrutons une cinquantaine de personnes tous profils. Nous prenons des stagiaires, des apprentis, des alternants, des personnes sans expériences que nous formons. Nous logeons gratuitement de nombreux collaborateurs saisonniers, le Smic horaire a été augmenté, mais cela ne suffit pas. Nous venons de réaliser un benchmark concurrentiel pour essayer de trouver de nouvelles pistes de réflexion. »

Rompus aux techniques de marketing et de recrutement, des entreprises nationales comme Mc Donald's sont eux aussi confrontés aux mêmes difficultés.

« Le forum a été organisé un mardi, cela explique peut-être l'absence des étudiants, regrette Aurélie, assistante relationnelle des sept Mc Donald's du territoire. Nous recherchons une quarantaine de personnes, la plupart en CDI avec de vraies possibilités d'évolution en entreprise. Nous essayons d'adapter les horaires en fonction de leur situation. Mais j'ai eu seulement deux candidats dans la matinée ! On assiste à un vrai désamour de ces professions. »

« Tout cela grippe la machine économique »

Faute de candidats, tous concèdent que le secteur va devoir s'adapter.

« La désaffection des demandeurs d'emploi sur ce forum est une grande déception qui pose un problème de fond global sur une situation s'étant accentuée avec la crise, analyse Robert Crauste, maire du Grau-du-Roi. Les professionnels vont être dans une situation tendue, contraints d'adapter leur offre, leurs heures d'ouverture, le nombre de couverts... Tout cela grippe la machine économique et induit des réactions en chaîne. D'une façon ou d'une autre, il va falloir revaloriser ces métiers, tant sur la qualité de vie au travail, le logement ou les niveaux de salaire. En tant que collectivités, il faut voir si on peut apporter des évolutions notamment sur le plan législatif : conseil régional, associations d'élus, branches professionnelles, organismes consulaires, tous sont très mobilisés. L'attractivité de nos territoires augmente, il faut être au rendez-vous. »

Perplexe mais optimiste, Laurence Barduca-Fauquet, conseillère départementale du canton d'Aigues-Mortes, espère néanmoins que la situation soit contextuelle car elle reste intimement convaincue que « faire des saisons est très formateur pour apprendre, découvrir des métiers, lier des connaissances ».

Autant de valeurs qui ne semblent pourtant plus suffire à susciter l'engouement.

Réinventer un modèle

L'UMIH (Union des métiers et des industries de l'hôtellerie) de l'Hérault était bien sûr présente sur le Forum. Le syndicat professionnel est conscient qu'il va falloir modifier certains paradigmes pour sortir de l'impasse.

Brice Sannac, hôtelier à Banyuls-sur-Mer et président de l'UMIH 66, a travaillé sur cette question de l'attractivité pour ces métiers du tourisme et de la restauration. Une réflexion qu'il confiait à La Tribune quelques jours plus tôt : « Il y a une énorme frustration de la part des professionnels car après deux années compliquées, ils vont être encore contraints de refuser des clients, voire de fermer un à deux jours par semaine par crainte de ne pouvoir faire face à la demande. Il est temps de réinventer notre modèle et notre approche RH. Nous sommes passés d'une société de travail à une société de loisirs. Peut-être que dans dix ans il n'y aura plus de restaurants ouverts à Noël. Il faut maintenant réussir à aménager la vie professionnelle et la vie privée de nos collaborateurs. On m'a traité de fou car dans ma société, je fais badger mes salariés. J'ai mis en place un CE pour leur donner des avantages et surtout un confort de vie. Les résultats sont là : à ce jour, il ne me reste plus que deux salariés à recruter sur trente. On sera peut-être obligé de rémunérer la coupure, de fermer des services, de donner un week-end sur deux. C'est une évolution nécessaire ».

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