Qui est Alain Derey, le nouveau P-dg des librairies Sauramps ?

PORTRAIT - Trois ans après son rachat par le groupe immobilier de logements sociaux Ametis, le groupe de librairies indépendantes Sauramps nomme Alain Derey pour succéder à Florence Doumenc. Jusqu’alors directeur de l’École nationale supérieure d’architecture de Montpellier (ENSAM), il prend ses fonctions le 1er octobre. Portrait d’un homme de culture, passionné par les livres.
Cécile Chaigneau
Alain Derey est, depuis le 1er octobre, le nouveau P-dg des librairies Sauramps à Montpellier.
Alain Derey est, depuis le 1er octobre, le nouveau P-dg des librairies Sauramps à Montpellier. (Crédits : DR)

Sur la place montpelliéraine, on connaît son nom, puisqu'il dirigeait depuis 2014 l'École nationale supérieure d'architecture de Montpellier (ENSAM). Alain Derey tourne une page et prendra demain, jeudi 1e octobre, le pilotage des librairies Sauramps.

Le groupe, qui emploie une centaine de salariés, est une véritable institution culturelle régionale, qui compte deux importantes librairies à Montpellier (en centre-ville, dans la galerie marchande du Triangle, et au centre commercial Odysseum), deux librairies dans les musées montpelliérains Fabre et Moco, un corner ouvert début septembre à l'université Paul Valéry, et une librairie à Alès (30).

En juillet 2017, l'architecte montpelliérain François Fontès et Bertrand Barascud, associés d'Amétis (développement de résidences de logements sociaux) et repreneurs du groupe, avaient nommé Florence Doumenc à la direction générale, à laquelle succède donc aujourd'hui Alain Derey.

« Transmettre cette passion du livre »

Une évidence s'exprime immédiatement dans l'échange qu'il accorde à La Tribune : une gourmandise non dissimulée à l'idée d'être bientôt chez lui (en quelque sorte) dans les rayons chargés de livres de ce lieu emblématique qu'il fréquente assidûment en tant que lecteur.

« J'ai sans doute une vue très romantique des choses, mais le livre m'accompagne depuis toujours, et finalement, vendre des livres, c'est un peu transmettre cette passion du livre, non ? », interroge-t-il.

Le livre, c'est le fil rouge qu'Alain Derey voit dans le parcours qui l'a mené aux portes de la librairie Sauramps. Titulaire d'un doctorat de philosophie, il a enseigné plusieurs années avant de devenir conseiller culturel à l'étranger, sillonnant notamment le continent africain (Sénégal, Zaïre, Cap Vert...). Il travaillera à deux reprises au sein du cabinet du ministère de la Culture, aux côtés de Philippe Douste-Blazy puis plus tard de Renaud Donnedieu de Vabres, mais aussi en DRAC sur l'île de la Réunion. Au sein du réseau des écoles d'architecture, il aura dirigé l'école de Clermont-Ferrand, puis celle de Nice (Villa Arson), de Marne-la-Vallée et enfin de Montpellier.

"Ça commence souvent par un livre"

C'est d'ailleurs au cours de sa mission au Cap-Vert qu'il croise celle qui s'installera elle aussi un temps rue de Valois : Françoise Nyssen. L'ancienne ministre de la Culture (mai 2017-octobre 2018) du gouvernement Édouard Philippe ne tarit pas d'éloges sur le nouveau dirigeant des librairies Sauramps.

« Alain Derey est un homme de culture et qui aime la partager, s'enthousiasme celle qui est redevenue aujourd'hui présidente de la maison d'édition Actes Sud. Je l'ai connu dans les débuts d'Actes Sud, quand il était attaché culturel au Cap Vert. Il voulait faire connaître des romanciers cap-verdiens et nous avons fait une publication avec lui, ainsi qu'une biographie de Césaria Evora... Par la suite, je l'ai recroisé au Printemps de Cahors (festival de photo, NDLR) ou à la Villa Arson à Nice. Je me souviens aussi que nous nous sommes retrouvés ensemble dans des files d'attente du festival de Cannes pour la rétrospective de la sélection... Alain Derey a toujours été passionné par les arts et ça commence souvent par un livre. C'est vraiment un très bon choix pour la librairie Sauramps. C'est un homme qui sait organiser, animer, gérer, dans une position de servir la culture en servant des intérêts généraux. La librairie a un rôle capital dans la cité, celui de la rencontre et de la diffusion. Être à la tête d'une librairie est de l'ordre d'une responsabilité publique. »

Un "cultureux" et un gestionnaire

A la question de ce qui aura amené François Fontès et Bertrand Barascud à le choisir, l'architecte montpelliérain répond : « Il est nécessaire à ce poste d'avoir quelqu'un avec une vision culturelle bien établie. Alain Derey est un "cultureux" et un gestionnaire. Il a le profil pour relever ce défi complexe de Sauramps. C'est une force tranquille, qui va dans le fond des sujets, avec une capacité à faire adhérer les autres à des concepts, à faire passer des projets, une identité, voire un nouveau paradigme ».

Le recrutement est intervenu alors que plusieurs articles avaient été publiés depuis mai dernier, par le média régional en ligne Le d'Oc, faisant référence à un audit destiné à évaluer les risques psychosociaux au sein de l'ENSAM ("comme ça se fait partout", indique un enseignant de l'école, préférant rester discret) et qui aurait révélé des dysfonctionnements. Interrogé, Alain Derey se contente de qualifier les articles de « diffamatoires » et de préciser qu'« une enquête administrative est en cours ».

Comment fait-il aujourd'hui la passerelle entre l'ENSAM et la librairie ?

« Quand Ametis a repris la librairie en 2017, le projet m'intéressait déjà, et finalement François Fontès et Bertrand Barascud m'ont dit oui trois ans après, raconte-t-il. J'ai un lien très fort et naturel au livre, c'est presque intuitif. A l'étranger, j'ai toujours mené des projets d'aide à l'édition. Le livre relève d'un engagement, et c'est un relais sur le plan culturel, un passeur. »

« Aussi des philanthropes »

La crise des gilets jaunes puis celle du Covid sont venues affaiblir un secteur de la librairie déjà fragile. François Fontès confirme que « la fiche malade est complexe. La trésorerie a été fragilisée mais derrière Sauramps, il y a un groupe qui a des ressources et notre engagement est toujours là. Il faut se battre pour retrouver une dynamique perdue depuis une dizaine d'années dans le secteur de la librairie. »

Pour écrire cette nouvelle page, il a d'ailleurs confié toutes les clés à son nouveau pilote en le nommant président-directeur général : « Il a la responsabilité complète de l'organisation de la société, même si, bien sûr, on travaillera ensemble. Je lui fais confiance et j'attends son expertise. C'est lui qui établira la feuille de route ».

« Aujourd'hui, aucune librairie ne se porte vraiment bien, et six mois après leur fermeture, les librairies n'ont pas totalement retrouvé leurs clients, observe le nouveau P-dg. Sauramps n'y échappe pas mais a la chance d'avoir été repris par des amoureux du livre. Ce sont aussi des philanthropes, même si bien sûr ils s'assurent de la dimension financière et économique du groupe... La crise fait apparaître avec encore plus d'acuité la nécessité des librairies à se moderniser, notamment sur l'achat en ligne, dont l'amélioration sera une priorité. Et je ne trouve pas choquant que les gens y trouvent autre chose que du livre, si la prééminence reste le livre. Il ne faut évidemment pas le faire sans les libraires. »

« Un libraire de plancher »

Alain Derey affirme qu'il ne sera pas un gestionnaire pur et dur, isolé dans son bureau : « Je ne pourrai pas m'empêcher d'aller dans la librairie, au contact des clients, même si évidemment il ne s'agit pas de faire de l'ombre aux libraires. C'est indispensable pour comprendre comment ça fonctionne. Je ne conçois pas de ne pas être avec les gens qui font la librairie. Et je ne veux pas perdre le lien avec le livre. Je veux affirmer ce trait commun avec les libraires ».

« Dans notre jargon on appelle ça un libraire de plancher, sourit Françoise Nyssen. Alain Derey aime la littérature, les livres. On ne peut pas faire quelque chose sans y être vraiment, chaque fonction doit être incarnée. »

Dans ses projets, encore à affiner, il évoque les travaux restant à réaliser sur la librairie du Triangle (après ceux du rapatriement de Polymome), des changements en cours à celle d'Odysseum - « si on veut préserver son attractivité, pourquoi ne pas la relocaliser sur un lieu plus passant d'Odysseum » -, peut-être un café littéraire - « j'aimerais bien, en associant des éditeurs régionaux ». Quant au projet sur l'immeuble Capoulié, rue Maguelone à Montpellier, il est en stand-by « car un des copropriétaires a déposé un recours contre le permis de construire », précise François Fontès.

Le champ des possibles

Mais Alain Derey l'assure, « surtout, Sauramps est une librairie qui ne doit pas perdre son âme ! ».

Nul doute qu'il se régale à l'avance des rencontres à venir avec les auteurs. Les derniers arrivés dans sa bibliothèque personnelle sont Yannick Grannec pour Les simples (chez Anne Carrière Éditions), et Carole Martinez pour Les roses fauves ou Le cœur cousu...

Le nouveau dirigeant de Sauramps, dont la succession à la tête de l'ENSAM est en cours, conçoit-il quelques regrets à quitter le réseau des écoles d'architecture ?

« Ça me fait drôle de quitter le ministère de la Culture auquel je suis attaché, répond Alain Derey. De mon passage au travers quatre écoles d'architecture, je retiendrai que les étudiants vous obligent à rester en éveil. J'ai adoré les voir devenir des architectes, une transformation presque visible à l'œil nu. Mais on n'est jamais propriétaire de son poste et j'aime bien l'idée d'explorer le champ des possibles. »

Cécile Chaigneau

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