
C'est l'heure du passage de flambeau à la librairie Sauramps. Trois ans après avoir pris les rênes du groupe de librairies indépendantes, Alain Derey, 68 ans, fait valoir ses droits à la retraite. C'est Florence de Mornac, qui a dirigé durant quinze ans la Librairie des Halles à Niort (Deux-Sèvres), qui lui succède et prend ses fonctions ce lundi 3 avril.
« Le livre a toujours été un fil rouge dans mon parcours, déclare Alain Derey à la veille de se retirer du jeu. Se retrouver au milieu des livres était une belle manière de terminer ma carrière, et oui, je pars avec un pincement au cœur... Mais avant de partir, je suis heureux d'avoir recruté une directrice de développement qui vient de la librairie Mollat (à Bordeaux, autre institution du secteur de la librairie indépendante, NDLR), Marie-Aurélie Buffet, et celle qui va me succéder, Florence de Mornac. Toutes les deux vont constituer un duo dans la complémentarité et c'est ce dont Sauramps a besoin. »
Une obsession : être libraire
La nouvelle directrice générale de Sauramps est une libraire convertie. Diplômée en droit des affaires, Florence de Mornac a bifurqué en cours de route vers ce qui était une passion, « une obsession même », souligne-t-elle : être libraire. En 2006, alors qu'elle a quatre enfants, elle décide de se former à Bordeaux et passe une licence professionnelle à l'IUT des métiers du livre.
« J'ai fait un stage à la librairie Les Saisons à La Rochelle et le fondateur Stéphane Emond s'apprêtait à ouvrir une librairie à Niort, avec le groupe d'édition La Geste, dirigé par Olivier Barreau, raconte-t-elle. La librairie des Halles a ouvert à Niort en novembre 2006 et j'ai rapidement pris la responsabilité du rayon littérature. En 2014, ils décident d'ouvrir une 2e petite librairie et m'en confient la création et la direction, et au bout de dix-huit mois, je prenais la direction des deux librairies... En 2021, j'ai souhaité me rapprocher de ma famille qui vit dans le sud, et j'ai commencé à préparer mon départ. J'ai enseigné pendant un an à l'IUT de Bordeaux. Puis une offre s'est présentée à la librairie Le Grain des Mots, à Montpellier, où je ne suis pas restée très longtemps. Quand j'ai appris que Sauramps cherchait quelqu'un, cela m'a paru être une magnifique opportunité. C'est une référence en matière de librairie indépendante ! »
« Beaucoup de "romantisation" autour du métier de libraire »
La librairie Sauramps, sauvée du naufrage en 2017 via son rachat par l'architecte montpelliérain François Fontès, c'est aujourd'hui cinq boutiques (le vaisseau-amiral Montpellier Comédie, Montpellier Odyssée, Musée Fabre, université Paul Valéry et Alès), 84 salariés et un chiffre d'affaires de près de 20 millions d'euros. Même s'il a bien passé la crise sanitaire, le secteur reste fragile, la conjoncture incertaine et la concurrence des plateformes en ligne féroce.
En partant, Alain Derey évoque une satisfaction et un regret : « En prenant mes fonctions, je craignais de ne pas être au contact des auteurs et des clients car Sauramps est une grosse machine, mais j'ai eu ce plaisir, de transmettre une passion, notamment en créant le prix "Habiter le monde" (le lauréat 2023 du prix sera annoncé le 12 mai prochain, durant la Comédie du livre, NDLR)... Le regret que je peux formuler, c'est de ne pas avoir réussi à donner un nouveau souffle au rôle du libraire, qui est un passeur de passion. Il me semble que nos libraires ne développent pas suffisamment la dimension commerciale de leur fonction ».
Un point sur lequel Florence de Mornac, qui a déjà pris la température de la librairie, tient le même discours.
« Il y a beaucoup de "romantisation" autour du métier de libraire mais il ne faut pas oublier que c'est un commerce, rappelle-t-elle. La librairie Sauramps a essuyé des tempêtes et je crois qu'il faut repenser le métier de libraire et retisser les liens avec les clients, les remettre au cœur de nos préoccupations. Les gens vont dans des librairies indépendantes car l'endroit est agréable, on s'y sent bien. C'est vrai que c'est plus difficile dans une grande librairie avec beaucoup d'affluence et le succès des petites librairies passe probablement par là. Mais il faut que les libraires sortent de derrière leur écran, c'est le cœur du métier. Sauramps compte une bonne quarantaine de libraires, qui sont pointus, très compétents et ont beaucoup de choses à dire, mais faut que les gens se sentent accueillis. »
Selon la nouvelle directrice générale, ce sera là le cœur de sa feuille de route, dont elle dit qu'il est encore trop tôt pour l'avoir totalement écrite.
Des magasins qui évoluent
Le sort du magasin du centre commercial Odysseum, dont le loyer très élevé obérait fortement la rentabilité, a été réglé : il sera installé de l'autre côté du centre commercial, dans l'actuelle boutique Zara, laquelle déménagera chez Sauramps. L'enjeu : une ouverture prévue pour le 1er novembre prochain.
« Sauramps disposera de 1.300 m2 environ de surfaces commerciales (VS 2.200 m2 jusqu'à présent, comprenant les bureaux, NDLR), indique Alain Derey, qui a piloté, avec François Fontès, la négociation avec le propriétaire des lieux, la foncière Klépierre. La librairie va gagner en loyer et les surfaces permettront un meilleur approvisionnement. Le magasin ne sera pas le doublon de celui de Comédie, dédié à 80% aux livres : on y trouvera bien sûr une dominante livres mais mixée avec des univers voyages, aventures, imaginaire, etc., qui proposeront d'autres produits. »
Du côté de la librairie de la Comédie, des aménagements et des rénovations ont eu lieu (notamment pour intégrer la boutique Polymômes) mais elle reste une passoire énergétique et ne répond toujours pas à certaines normes, notamment celle des accès pour personnes à mobilité réduite. Alain Derey, qui transmet le dossier à Florence de Mornac, indique qu'il existe à ce stade « des pistes avec les différents propriétaires (quatre bailleurs, NDLR) ».
Quant au projet de l'immeuble Capoulié, rue Maguelonne, il a été retardé par des recours judiciaires, aujourd'hui purgés assure Alain Derey. Le projet d'une librairie spécialisée autour du manga est toujours évoqué, et « aujourd'hui, la balle est dans le camp de François Fontès pour l'achat ou non de l'immeuble », ajoute le directeur général sortant.
Enfin, autre enjeu auquel devra s'atteler la nouvelle directrice : la digitalisation, en cours, de l'activité de la librairie.
« La librairie vient de changer de site marchand, qu'on espère plus attractif, et une jeune femme a été recrutée pour booster les contenus sur les réseaux sociaux », sait déjà Florence de Mornac.
Un chef d'orchestre
Alors qu'elle passe de la petite librairie niortaise de huit salariés à un groupe de 84 salariés, Florence de Mornac prend ses fonctions avec une certaine exigence mais aussi « avec humilité », déclare-t-elle. Et avec la conscience d'entrer dans une institution montpelliéraine.
« Je n'arrive pas la fleur au fusil, j'ai la pression car je sais ce que représente Sauramps pour les Montpelliérains, assure-t-elle. Mais j'ai été recrutée pour mon métier de libraire, que je sais faire. J'arrive chez Sauramps avec ma conscience professionnelle ».
Il y a trois ans, quand il avait pris ses fonctions à la tête du groupe Sauramps, Françoise Nyssen, ancienne ministre de la Culture du gouvernement Édouard Philippe et présidente de la maison d'édition arlésienne Actes Sud, disait d'Alain Dery qu'il était « un libraire de plancher » pour évoquer un libraire qui se tient au milieu des livres. Quelle libraire est Florence de Mornac ?
« Je suis une libraire polyvalente, je sais à peu près tout faire, répond-elle. Je veux aussi être en rayons pour être parmi les troupes, donc on peut dire aussi que je suis une libraire de plancher... Chez Sauramps, je serai en quelque sorte un chef d'orchestre. »
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