Faut-il s’alarmer de l’état de santé de l’écosystème tech régional ?

La crise énergétique ou l’inflation frappent aussi les jeunes pousses innovantes au moment où elles doivent trouver leur modèle économique ou accélérer. L’écosystème tech régional encaisse les coups, sous l’œil attentif des structures d’accompagnement. Quatre points de vigilance émergent : la santé financière des entreprises, le moral des dirigeants, l’accès aux financement et les compétences. Clément Saad (French Tech Méditerranée), Isabelle Prévot (BIC) et Frédéric Planche (Nextinnov à la Banque Populaire du Sud) livrent leurs observations à La Tribune.
Cécile Chaigneau
Clément Saad (président de la French Tech Méditerranée), Isabelle Prévot (directrice du BIC) et Frédéric Planche (directeur de Nextinnov startup-PME de croissance à la Banque Populaire du Sud).
Clément Saad (président de la French Tech Méditerranée), Isabelle Prévot (directrice du BIC) et Frédéric Planche (directeur de Nextinnov startup-PME de croissance à la Banque Populaire du Sud). (Crédits : DR)

« Au moment de la crise sanitaire du Covid, nous avions constitué une sorte de task force entre la French Tech Méditerranée, les banques, les cabinets comptables, les cabinets d'avocats et les incubateurs, afin de repérer les entreprises qui seraient en difficulté avant qu'il ne soit trop tard, observe Clément Saad, président de la French Tech Méditerranée, en cette fin d'année 2022. Alors que le Covid avait plutôt boosté les boîtes, surtout dans le numérique, n'engendrant que très peu de casse, on voit qu'aujourd'hui, avec les différentes crises sur l'énergie, l'inflation générale - par exemple, les frais d'hébergement qui ont augmenté de 10%, ce qui n'est pas neutre pour une startup -, l'augmentation des taux bancaires, les difficultés de recrutements, ça commence à tirer... Les différents dispositifs d'aide ont agi comme des perfusions, notamment pour les entreprises qui n'allaient pas bien, et maintenant qu'il faut rembourser, on commence à voir des difficultés, au point que certaines risquent la procédure de sauvegarde ou même la liquidation. »

Si l'ensemble du monde économique est inquiet, particulièrement les TPE et PME, l'ambiance n'est pas tout à fait au beau fixe non plus dans la tech... Le président de la French Tech Méditerranée n'avance pas de chiffres sur les procédures de sauvegarde mais assure que « c'est plus que l'année passée » au regard des remontées terrain. Les différentes crises semblent toutefois ne pas avoir douché les envies d'entreprendre puisque Clément Saad affirme qu'il n'y a pas moins de créations d'entreprises.

Des taux de défaillance d'entreprises inédit

« Le dynamisme de la création d'entreprise est toujours d'actualité, mais c'est vrai qu'après deux ans de crise sanitaire, de confinement et de stop-and-go, certains entrepreneurs sont fatigués, confirme Isabelle Prévot, la directrice du Business Innovation Center (BIC) de Montpellier. Il y a une sorte d'effet de rattrapage sur les défaillances d'entreprise, les PGE ayant permis de retarder le moment fatidique pour certaines entreprises. Mais dans l'absolu, le bilan n'est pas alarmant, même si tout l'environnement concourt à mettre la pression sur la startup pour trouver son modèle économique rapidement... ».

Du côté des banques, on scrute aussi avec attention le bilan de santé des jeunes pousses innovantes. A la Banque Populaire du Sud, Frédéric Planche, directeur de Nextinnov startup-PME de croissance à la Banque Populaire du Sud, fait un constat inédit : « Chez les startups et les boîtes innovantes qui cherchaient leur modèle économique, on rencontre des taux de défaillance d'entreprises qu'on n'a pas rencontrés depuis une dizaine d'années... Les boîtes en difficulté sont celles qui ont plus de cinq ans : on sait que les entreprises pourront être en difficulté entre la 4e et la 7e année, mais c'est accéléré par le contexte de crise financière liée à l'inflation. On voit en effet les taux d'intérêt augmenter et certaines banques vont peut-être resserrer leurs critères de financement. Les entreprises doivent commencer à rembourser leur PGE et elles retrouvent les problèmes d'avant Covid car leur chiffre d'affaires ne s'est pas développé. Et ce qui devait arriver avant arrive maintenant ».

Refusant la seule considération d'un contexte morose, il s'efforce pourtant de voir aussi le verre à moitié plein et évoque l'attractivité des entreprises de la Med Vallée, cette filière économique territoriale axée sur la santé globale ("santé, alimentation, environnement") que booste la Métropole de Montpellier : « Les bons projets sont au rendez-vous de la réussite, par exemple Microphyt qui vient de lever 15 millions d'euros pour accélérer son développement industriel, avec notamment un partenariat avec le groupe L'Oréal ».

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« La French Tech pourrait-elle être un Tinder entre startups ? »

A la French Tech, Clément Saad fait aussi un autre constat : « Ce qui ressort également de cette période, c'est que le moral des dirigeants, voire des équipes, n'est pas bon car il n'y a pas de visibilité ».

« C'est vrai, ils sont usés moralement et psychologiquement, confirme Frédéric Planche. Et c'est un signal faible car en général, ils ont du mal à avouer qu'ils traversent une période difficile, et le problème bien connu, c'est que si on attend trop, c'est trop tard pour l'entreprise... »

Une fois ces constats faits, quelles solutions développer pour soutenir l'écosystème de l'innovation ? A la French Tech, une idée émerge, selon Clément Saad : « Certaines entreprises ont développé une belle technologie : on aimerait explorer la possibilité d'un "mariage" entre une entreprise en difficulté et une entreprise qui va bien pour sauver cette technologie. La French Tech pourrait-elle être un Tinder entre startups, ou entre startups et boîtes plus traditionnelles ? L'idée étant de faire des rapprochements aussi parce que ça a du sens et que ça peut être producteur de valeur ».

« C'est une piste intéressante, mais on ne peut pas le faire seul, il faut plusieurs partenaires », note Isabelle Prévot.

« J'invite en effet les gens à échanger davantage, acquiesce Frédéric Planche. Il faut que ce soit fait dans une logique des affaires mais aussi des compétences des uns qui peuvent servir aux autres, avec du partage de salariés, de la mutualisation. Et pour ça, il faut se connaître, c'est une culture de proximité qu'il faut améliorer. »

Des liquidités disponibles, mais du filtrage

Sur le financement des startups, s'il y a vigilance, on ne peut pas encore parler réellement de crispation. Frédéric Planche l'assure : « Il y a des liquidités chez les fonds d'investissement, il y a encore de l'argent dans les banques... Ainsi, la Banque Populaire du Sud a décidé de ne pas fermer le robinet, et nous allons faire de gros efforts sur la transition énergétique mais il y aura un filtrage : nous serons plus regardants sur l'impact sur l'environnement... Montpellier souffre un peu de sa trop grande exposition au numérique : il y a beaucoup de plateformes numériques, d'applications. Une bulle s'est créée et beaucoup ne trouvent pas leur modèle économique et leur marché. Chez Ocseed (société d'investissement créée par la Région Occitanie, la Banque Populaire Occitane, la Banque Populaire du Sud, la Caisse d'Epargne Languedoc-Roussillon et la Caisse d'Epargne Midi-Pyrénées, destinée à soutenir financièrement les jeunes pousses régionales, NDLR), ce n'est pas formel, mais nous avons mis un point de vigilance sur les dossiers de financement de ce type de projets ».

« On voit plus de bridges pour des phases de transition que de levées de fonds, mais il y a encore des opérations, rassure aussi Clément Saad. Ce qui se durcit, ce sont les valorisations pour lesquelles on observe une contraction après un emballement au moment du Covid. »

Le marché de la débauche

Enfin, les startups comme toutes les entreprises font face elles aussi aujourd'hui à une problématique de compétences et de recrutements.

« Le marché de la débauche s'est intensifié », confirme Frédéric Planche.

Au BIC, Isabelle Prévot côtoie tous les jours des startups en phase de développement : « Oui, l'écosystème des startups est touché... Le télétravail fait que les salariés peuvent accepter des postes dans des entreprises mieux disantes et c'est difficile de lutter pour une startup qui n'a pas encore d'image de marque ».

« Aujourd'hui, pour que les jeunes viennent travailler dans une entreprise, il faut que ça en vaille la peine, ajoute Clément Saad, avec sa double casquette de président de la French Tech Méditerranée et de CEO de l'entreprise montpelliéraine Pradéo (cybersécurité). Les startup sont en concurrence avec les grands groupes. Avant, la première question, c'était le salaire, et aujourd'hui, c'est l'aménagement des horaires, le télétravail et ce que fait la boîte, avec quel impact. Ils veulent mettre du sens... Chez Pradeo, on commence à recruter des gens à Grenoble par exemple, et on réfléchit à recruter dans d'autres pays. L'environnement est très compétitif dans le numérique et désormais, il faut "vendre" sa boîte ! Les rapports de force entre candidats et recruteurs s'est nettement équilibré. »

Cécile Chaigneau

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Commentaire 1
à écrit le 17/12/2022 à 17:29
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Écosystème montpelliérain surtout 😉

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