« L’hôpital doit réinvestir son rôle d’ascenseur social » (Anne Ferrer, DG du CHU de Montpellier)

ENTRETIEN - Anne Ferrer a pris ses fonctions de directrice générale du CHU de Montpellier le 27 mars dernier. Passée par les CHU de Bordeaux puis de Toulouse avant Montpellier, elle arrive forte d’une solide expérience et d'une bonne connaissance de ce type d’établissement. Mais elle arrive aussi dans un contexte de désenchantement préoccupant des personnels de santé.
Cécile Chaigneau
Anne Ferrer, directrice générale du CHU de Montpellier depuis le 27 mars 2023.
Anne Ferrer, directrice générale du CHU de Montpellier depuis le 27 mars 2023. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - L'un des enjeux de votre feuille de route va être de mettre en oeuvre le Livre Blanc du CHU de Montpellier, qui prévoit près d'un milliard d'euros d'investissements d'ici à 2035. Une enveloppe de 250 millions d'euros de crédits d'investissements a été accordé dans le cadre du Ségur de la santé, qui vous permettra de déployer le Schéma directeur immobilier du CHU*. Où en est le process de versement de ces financements ?

Anne FERRER, nouvelle directrice générale du CHU de Montpellier depuis le 27 mars 2023 - Le Ségur est un process avec une dynamique homogène sur tous les territoires Des experts vont auditer la pertinence de notre projet, notamment le schéma directeur immobilier, qui prévoit des étapes et un jeu de chaises musicales car nous sommes en site occupé. Les tranches de financement seront débloquées au fur et à mesure. Notre projet d'établissement à horizon 2036 sera produit en septembre prochain, associant le projet médical, le schéma directeur immobilier, la prise en charge des patients, l'empreinte carbone ou encore la numérisation des prises en charge... Le chantier a déjà commencé avant moi. Par exemple, le CRIBS, Centre de recherche et d'Innovation en Biologie Santé, qui regroupera 22 équipes dans le futur bâtiment unique de biologie du CHU et qui sera livré fin 2024.

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Comment résonne ce vaste chantier dans le contexte actuel de l'hôpital public, qui connaît partout un désenchantement de ses personnels ?

Il y a vrai enjeu d'accompagnement au changement pour qu'il y ait le moins d'urticant possible au quotidien, surtout dans ce contexte de désenchantement des personnels, l'idée étant de faire participer les équipes de façon à ce qu'elles adhèrent au projet...Soutenir le schéma directeur immobilier est important pour les jeunes générations car il agira sur la qualité de vie au travail, dans des bâtis éco-responsables. Cette métamorphose, ce sont des éléments attractifs pour préparer l'hôpital de demain. C'est pour ça que cet alignement est heureux, ce sera notre boussole.

Depuis l'automne 2021, on a donc pu observer une fuite du personnel médical et paramédical dans tous les services hospitaliers. Le CHU de Montpellier a-t-il subi cette hémorragie de compétences ?

Non, on ne parle pas d'hémorragie. Nous ne manquons pas d'effectifs partout de la même façon. Notamment, nous manquons d'infirmières de bloc opératoire, comme beaucoup d'autres établissements hospitaliers, ce qui peut imposer de fermer des plages opératoires. Nous réfléchissons comment leur permettre de travailler sur leur cœur de métier au bloc en les remplaçant sur certaines tâches. Le problème, c'est que ce sont de petites promotions qui sortent tous les ans... Globalement, nous manquons d'infirmières en soins généraux. Mais le CHU de Montpellier est plutôt moins exposé que d'autres établissements. Nous sommes vigilants que cela ne se traduise pas par des absences de soins. Parfois, nous passons certains soins en ambulatoire quand l'indication le permet, et c'est d'ailleurs plébiscité par les patients. Mais nous avons peu de déprogrammation.

Comment le CHU peut-il agir pour redonner des lettres de noblesse au service public de santé, et garder et attirer les personnels de soin ?

Il y a un phénomène qu'il faudra probablement évaluer : quel est l'aval du Covid ? Cette période de crise sanitaire a été le témoignage d'un engagement sans faille des personnels et d'une agilité porteuse de sens. On avançait tous dans le même sens, à porter la même urgence de sauver des vies, mais c'est un moment qui s'est accompagné d'un phénomène de grande lassitude générale dans tous les établissements de soin publics et privés. Les personnels s'interrogent sur leur envie de continuer et il faut leur redonner envie de rester ou de revenir. Certains éléments dépendent de nous mais pas seulement : on s'interroge sur la pénibilité du métier, sur le travail de nuit et le week-end, mais on ne parle pas de ce qui est magnifique, de ceux qui font un travail remarquable et à qui on va permettre de s'exprimer dans le projet d'établissement, sur la gouvernance, sur le sens qu'ils veulent retrouver au travail, sur cette souplesse et agilité qu'on doit conserver pour leur permettre de se recentrer sur le soin. Si on déconnecte les personnels de leurs valeurs, on ouvre le champ du questionnement. Et des projets positifs, comme le projet d'établissement, peuvent leur donner envie... Dans mon management, je m'inspire beaucoup de ce qu'on a vécu durant cette période du Covid : cette porosité entre les acteurs pour un objectif commun est primordiale. Toutes les lignes bougeaient, mais on était tous encordés dans des décisions compliquées à mettre en œuvre mais avec des objectifs partagés. Aujourd'hui, il faut permettre aux personnels de se sortir d'un peu trop de rigidité administrative et d'un peu trop de process pour se focaliser sur les patients.

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Un débat agite actuellement le secteur hospitalier : l'application du plafonnement de la rémunération des médecins intérimaires, qui risque de priver certains établissements de leur présence et donc d'affecter les soins. Le CHU de Montpellier est-il concerné ?

Pas directement : par solidarité, nous sommes vigilants aux difficultés qu'il pourrait y avoir sur le territoire, même si pour le moment, il n'y en a pas. Nous avons des partenariats durables avec d'autres établissements, le centre hospitalier de Sète notamment, avec des équipes communes ou avec des professionnels qui sont "bi-appartenant".

Vous qui avez exercé dans d'autres CHU, quelle est la valeur ajoutée d'un projet comme celui de MedVallée pour une structure hospitalo-universitaire ?

Un CHU, pour répondre à ses missions de recherche et d'innovation, travaille régulièrement sur des collaborations avec les partenaires académiques - université, laboratoires de recherche - et les industriels positionnés sur de la R&D en santé. A Montpellier, c'est une culture forte et ancienne. MedVallée est un catalyseur de cette dynamique, en proposant des lieux de rencontre et de co-construction entre les acteurs, en identifiant des sites immobiliers pour construire des espaces pour des laboratoires communs et des incubateurs, ou en aidant la réalisation des projets des structures partenaires.

Dans le cadre du plan France 2030, le gouvernement a décidé de créer jusqu'à six nouveaux Instituts Hospitalo-Universitaires (IHU), futurs pôles d'excellence en matière de recherche, de soin, de prévention, de formation et de transfert de technologies dans le domaine de la santé. Le CHU de Montpellier a candidaté : savez-vous où en est la procédure ?

Nous ne saurons probablement rien avant la mi-avril ou fin avril, voire au-delà... Actuellement dans le sud de la France, il existe des IHU à Bordeaux et Marseille mais il n'y en a pas en Occitanie. Tous les projets candidats sont des projets d'excellence. Cela se jouera notamment sur la qualité de la recherche fondamentale ou la soutenabilité du projet dans le temps.

* Le patrimoine immobilier du CHU de Montpellier, réparti sur cinq sites au nord de la ville (La Colombière, Saint-Eloi, Gui de Chauliac, Lapeyronie et Arnaud de Villeneuve) est vieillissant.

Le CHU de Montpellier en chiffres

  • 7e CHU de France en taille
  • 5e CHU de France en recherche sur la pluridisciplinarité
  • 12.000 personnels, dont près de 3.000 médecins
  • 1.945 lits
  • 37.476 interventions en 2022 au bloc (hors lithotripsie et intervention du secteur digestif)
  • Encours de dette (au 31 décembre 2022) : 273,5 millions d'euros.

Un plan d'attractivité et de fidélisation

Afin de booster son attractivité, le CHU de Montpellier a mis en œuvre un plan d'action dont les mesures « ont commencé à porter leurs fruits, avec en 2022, plus de 1.200 personnes tous métiers confondus (dont 360 infirmiers et infirmières, NDLR) qui ont rejoint les rangs du premier employeur de l'Hérault, un record pour l'établissement », indique la direction des ressources humaines.

« Le CHU a besoin de continuer à recruter massivement des infirmiers en soins généraux et des infirmiers spécialisés - infirmiers anesthésistes, infirmiers de bloc opératoire -, ajoute la DRH. En 2023, 400 nouvelles recrues sont attendues pour répondre à cet objectif. »

Un protocole d'accord signé le 14 juin 2022 entre la Direction générale et toutes les organisations syndicales représentatives du personnel prévoit une revalorisation des grilles salariales, un élargissement du recours au CDI, une réduction des délais d'accès au statut de fonctionnaire, l'octroi de bourses d'études à certaines catégories d'étudiants en santé, le développement de l'apprentissage. Mais aussi l'amélioration des conditions de travail : renforcement de l'accompagnement des parcours d'évolution professionnelle, facilitation de la mobilité interne.

La direction du CHU dit travailler sur d'autres actions, et a lancé en janvier dernier une expérimentation : le principe d'une "prime de cooptation" afin de mobiliser tous ses personnels pour soutenir le recrutement d'infirmiers diplômés d'Etat (IDE), infirmiers de bloc opératoire (IBODE) et infirmiers anesthésistes (IADE). 
Soit une prime de 600 euros bruts à tout agent de l'établissement qui, d'ici au 30 juin 2023, parvient à convaincre une personne qualifiée de rejoindre l'établissement. 


Cécile Chaigneau

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