Énergie : "Il faut accroître les efforts dans la recherche si on veut rester dans le peloton de tête" (Jacques Percebois)

INTERVIEW. Il vient de publier "L’énergie racontée à travers quelques destins tragiques", un livre contant l’histoire de l’énergie en empruntant une voie originale et peu académique. Jacques Percebois, professeur émérite à l'Université de Montpellier, profite de ce regard dans le rétroviseur avec cette synthèse historique pour évoquer les grands enjeux à venir dans le très stratégique secteur de l’énergie.
Cécile Chaigneau
Jacques Percebois, professeur émérite à l'université de Montpellier, publie L’énergie racontée à travers quelques destins tragiques.
Jacques Percebois, professeur émérite à l'université de Montpellier, publie "L’énergie racontée à travers quelques destins tragiques". (Crédits : DR)

Jacques Percebois est professeur émérite à l'Université de Montpellier (master en Économie et Droit de l'Énergie). Il enseigne également à l'École des Mines de Paris et à l'IFP-Énergies Nouvelles (IFPEN). Fondateur du CREDEN (Centre de Recherche en Économie et Droit de l'Énergie), il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur les énergies, et vient de publier L'énergie racontée à travers quelques destins tragiques (Éditions Campus Ouvert).

La Tribune - Vous avez choisi une approche originale pour conter l'histoire de l'énergie et ses mutations au fil du temps. Quel est-il ?

Jacques Percebois - J'ai en effet choisi de donner une vision de l'évolution des grands mouvements de l'énergie dans l'histoire à travers des personnages illustres ayant comme point commun d'avoir eu un destin tragique, et que personnellement je trouve attachants, même si on pourrait en trouver d'autres. Les uns ont été assassinés, d'autres sont morts jeunes ou d'autres encore se sont suicidés... Certains sont inconnus ou méconnus, malgré le rôle important qu'ils ont joué. Cela me permet de donner un côté plus narratif, avec des anecdotes. Au lieu de rendre compte de l'évolution des différents types d'énergie de manière académique, ce que j'ai déjà fait dans d'autres ouvrages*, je trouvais original de raconter l'énergie de façon presque romanesque. L'énergie est un sujet austère, mais on peut raconter son histoire de manière attrayante ! Au départ, j'ai écrit cet ouvrage à destination des étudiants et des lycéens en choisissant cette forme pour accrocher leur attention. Mais il peut aussi être un ouvrage pour le grand public...

Vous avez sélectionné dix hommes et deux femmes ayant eu un rôle important dans l'histoire de l'énergie. Qui par exemple ?

J'évoque notamment Conrad Kilian, un géologue ardéchois (né en 1898, NDLR) qui a été le premier à prédire qu'il y avait des gisements de pétrole au Sahara et qui s'est battu pour que la France récupère certains territoires. Il est retrouvé mort en 1950 et on conclut à un suicide, même si la suspicion d'un assassinat est forte... Lise Meitner est physicienne autrichienne, née en 1878, et renommée pour ses travaux sur la radioactivité et la physique nucléaire. C'est elle a eu l'idée de la fission nucléaire, et pourtant, elle a été injustement oubliée au profit de son collaborateur, Otto Hahn, à qui on a attribué le prix Nobel de chimie en 1944. Je voulais réparer cette injustice... Je parle également d'Émilie du Chatelet (mathématicienne et physicienne française née en 1706 à Paris, NDLR), renommée pour sa traduction en français des Principia Mathematica de Newton, et qui a démontré expérimentalement la théorie d'Einstein E=MC2.

Comment cet ouvrage s'inscrit-il dans l'actualité ?

Je profite de l'évocation historique pour faire le lien avec aujourd'hui et parler de la situation actuelle de l'énergie.

Justement, la crise sanitaire impose un nouveau regard sur les rapports entre l'homme et la nature, et sur la nécessité de prendre soin de la planète. Pensez-vous que l'on aborde un virage majeur en termes de transition énergétique ?

En général, on ne sait qu'il y a eu transition qu'après coup... Je pense que ce dont on a pris conscience, c'est la nécessité de modifier certains comportements. Que va-t-il rester des modifications générées par la crise sanitaire du Covid, comme le télétravail par exemple ? Ou les déplacements à l'autre bout de la planète qu'on a supprimés ou diminués ? Car cette crise rend la question du réchauffement climatique de plus en plus importante. L'autre question sera le rôle du progrès technique. Dans l'énergie comme dans le sanitaire ou médical, il subsiste encore beaucoup d'incertitudes, notamment sur l'évolution de la demande d'énergie, en particulier d'électricité. On a un peu le sentiment qu'aujourd'hui, l'électricité va devenir la forme d'énergie la plus importante, car tout marche à l'électricité : le numérique, les mobilités, etc. La crise accélère le fait qu'il faut sortir des énergies fossiles pour aller vers les énergies renouvelables, mais aussi vers d'autres formes d'énergie décarbonée.

Quelle leçon majeure retenez-vous de la crise que l'on traverse ?

En France, on a trop oublié que l'industrie restait une activité dominante, et on a cru que les sociétés modernes devaient être des sociétés de services. Ne pas avoir été suffisamment performants sur l'industrie nous rend dépendants ! Ce qui compte, c'est la recherche. En tant qu'universitaire, je pense qu'il faut accroître les efforts dans la recherche fondamentale et la R&D, et ce dans tous les domaines. Par exemple sur le stockage de l'énergie. Si je devais encourager les étudiants, ce serait dans les études d'ingénieurs, de techniciens. Je suis frappé qu'à l'école des mines, beaucoup aillent vers la finance... En France, on est un peu déclassé en matière de recherche, de brevets. Or dans le domaine énergétique, il est important de rester dans le peloton de tête : dans le nucléaire, on reste parmi les très bons mais on a abandonné le nucléaire 4e génération et ce qui sera décidé dans les prochains mois sera déterminant. Et si on veut rester dans la course, il ne faut pas sacrifier l'entreprise EDF. Le projet Hercule (projet de restructuration qui pourrait se traduire par une scission du groupe en trois entités : une entreprise publique pour les centrales nucléaires, une autre cotée en Bourse pour la distribution d'électricité et les énergies renouvelables, et une troisième qui chapeauterait les barrages hydroélectriques, NDLR) est destiné à trouver des solutions pour financer le nucléaire, mais attention à tout ce qui pourrait être à l'origine d'un démantèlement d'EDF. Je suis inquiet. Et je l'exprimerai, car je vais être auditionné par des sénateurs sur le sujet la semaine prochaine.

Quels sont, selon vous, les grands bouleversements à venir dans le secteur de l'énergie ?

L'hydrogène est une solution mais elle ne peut pas être la seule. Il y a aussi de la recherche fondamentale sur les véhicules autonomes, sur la nouvelle façon de produire de l'électricité dans le nucléaire autour de la fusion nucléaire, mais surtout autour des réacteurs de petites dimensions, un sujet beaucoup traité par les Chinois, les Russes et les Américains.

A quelles évolutions peut-on s'attendre du côté des acteurs de l'énergie, où on observe un phénomène de concentration chez les développeurs français, un virage important pris par les géants du pétrole vers les énergies renouvelables, etc. ?

Tous les acteurs ont tendance à se précipiter vers l'électricité, y compris les pétroliers qui deviennent aujourd'hui des électriciens. Mais il ne faut pas oublier les acteurs du numériques, les GAFAM, qui se lancent de plus en plus vers ces activités et qui demain, vu leur poids, deviendront les grands concurrents sur le marché de l'énergie. Les entreprises d'aujourd'hui seront un peu déclassées par ces nouveaux acteurs.

Selon un rapport de France Stratégie, les difficultés de RTE en matière de sécurité d'approvisionnement électrique pourraient croître en raison du déclassement de moyens de production pilotables au profit des énergies renouvelables qui ne pourront pas compenser...

Cela montre que les réseaux restent tout à fait stratégiques. On a besoin de centrales pilotables pour que l'offre s'adapte à la demande. Il existe un seuil pour les renouvelables et tant que le stockage n'est pas possible, il faut maintenir des centrales pilotables, c'est à dire des barrages hydrauliques, des centrales nucléaires ou des centrales à gaz, moins polluantes que les centrales à charbon. On pourra jouer demain sur l'effacement de la demande grâce au numérique, mais il y a des limites... En France, avec la crise sanitaire, on a décalé la maintenance des centrales nucléaires, et aujourd'hui, la centrale de Fessenheim nous manque. Il ne faut pas perdre de vue que l'interconnexion avec nos voisins européens n'est pas une garantie. Encore une fois, ce qu'il faut retenir de la crise que nous traversons, c'est qu'il ne faut pas sous-estimer les questions de l'indépendance, et surtout pas concernant l'énergie, qui est stratégique. La stratégie dans l'énergie, c'est aussi les réseaux ou les matières premières pour produire les équipements comme les panneaux photovoltaïques. Ne sous-estimons pas les limites de la mondialisation. Les dangers viennent notamment de la Chine...

La région Occitanie dispose d'atouts sur les énergies renouvelables (soleil, vent, éolien en mer) et se positionne aussi sur l'hydrogène, comme beaucoup de régions. Que pensez-vous des différentes initiatives lancées sur ce sujet ?

L'hydrogène est indiscutablement une énergie qui a de l'avenir mais attention à ne pas croire que c'est une situation universelle. Il faut maintenir une diversité dans les choix technologiques et ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Et même si chaque région a une carte à jouer, tout doit se faire en solidarité avec les autres régions. Car chaque région ne peut pas être autonome et exportatrice, car alors qui importe l'électricité ? Cela suppose que cette stratégie soit assise sur du financement, de la formation et de la recherche fondamentale. On revient à l'importance de la recherche...

* 12 ouvrages et 141 articles publiés en français, anglais, espagnol ou allemand.

Cécile Chaigneau

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