LA TRIBUNE - Enerfip vient de franchir le cap. Comment vous situez-vous aujourd'hui dans l'écosystème français des plateformes de financement participatif dédiées aux énergies renouvelables ?
LEO LEMORDANT - Enerfip a en effet franchi la barre des 100 millions d'euros collectés en cinq ans, depuis sa création en 2016. Nous sommes aujourd'hui la première plateforme de financement participatif des énergies renouvelables en France, avec 30% de parts de marchés en 2020. Et ça devrait accélérer en 2021.
Comment s'est comporté le financement participatif des EnR en 2020, année Covid, et cette crise sanitaire a-t-elle eu une influence sur le comportement des investisseurs ?
Nous n'avons pas observé de ralentissement. Les collectes ont bien fonctionné. Mais nous avons toutefois constaté, pendant le premier confinement, un net ralentissement du nombre de nouveaux contributeurs qui s'inscrivaient sur la plateforme, qui est tombé à zéro fin mars 2020 alors qu'on est plutôt sur une quinzaine par jour habituellement. C'est reparti très fort à l'automne. Au début de la crise sanitaire, les gens avaient d'autres choses à penser que leur épargne. Puis les mesures de soutien prises par le gouvernement les ont rassurés et ils ont alors été plus enclins à aller vers des solutions du monde d'après. Le montant moyen des investisseurs a un peu augmenté. Mais ce qu'on voit, c'est qu'en ce moment, la quasi-totalité des publicités portent un message "vert" ou "empreinte carbone". On assiste à une sorte de matraquage et les gens commencent à se dire qu'il faut agir, ce qui est de nature à booster notre activité. Ça se voit aujourd'hui sur le nombre de gens qui s'inscrivent sur notre plateforme depuis la fin de l'été 2020 - on est maintenant à une quarantaine d'inscriptions par jour - et sur le temps de réflexion (entre l'inscription sur le site et la contribution à un projet, NDLR) qui est plus court qu'avant. C'est le signal que l'engagement des gens est plus fort. Et ça commence à se voir chez nous puisque nous avons passé cette barre des 100 millions d'euros collectés.
Comment évolue la typologie des contributeurs ?
En moyenne, nous sommes sur des tickets à 1.800 euros, mais comme la moitié des souscriptions font moins de 500 euros, nous observons qu'il y a de plus en plus de gros tickets pour arriver à ce ticket moyen... Le contributeur type est un père de famille de 45-50 ans, issu de la classe moyenne supérieure, qui a un peu d'épargne et veut faire quelque chose d'utile et rémunérateur en même temps. Mais en réalité, il existe une grosse diversité de profils, qui vont de l'étudiant qui met 10 euros sur une collecte coup de cœur près de chez lui jusqu'au directeur de société du CAC 40. Certain viennent chercher l'aspect green, d'autres un produit d'épargne rémunérateur. Depuis trois ans, le profil type n'a pas forcément beaucoup évolué...
Quels sont les projets (solaire au sol et en toiture, éolien terrestre, éolien en mer, méthanisation, etc.) qui ont le plus la cote ?
Récemment, nous avons bouclé le financement d'un projet de méthanisation de 2 millions d'euros en moins d'une heure... La tendance que nous avons observée, c'est qu'il y a moins de projets éoliens terrestres proposés*. En 2018 et 2019, on avait beaucoup de projets d'acceptabilité territoriale en fin de concertation publique, pour asseoir le projet. On en a un peu moins, peut-être parce que les chantiers ont été retardés, les élections municipales ayant clairement mis un frein en 2020. Mais c'est aussi que la dynamique de l'éolien terrestre elle-même est différente du solaire, que c'est plus complexe techniquement et plus lourd administrativement que dans le solaire, que la structure de financement des projets éoliens est différente, et que le risque est plus important dans l'éolien.
Comment évoluent les montants des projets financés ?
Ils ont augmenté. Là où on était à 100.000 ou 150.000 euros il y a quatre ans, on est aujourd'hui rarement en-dessous de 200.000 euros, et 1 million d'euros est fréquent. Nous avons lancé hier (le 11 mai 2021, NDLR) une collecte de 8 millions d'euros en quatre tranches de 2 millions d'euros pour Langa International (développeur et producteur d'énergie renouvelable qui compte RGreen Invest et Bpifrance à son capital, NDLR). La particularité de cette opération, c'est qu'elle est destinée à financer non pas un projet en particulier mais la maison-mère - c'est ce qu'on appelle un financement corporate - avec un portefeuille de projets que cet argent va irriguer.
Justement, il semblerait que ce type de financement corporate soit une véritable tendance ?
Oui en effet, aujourd'hui, les volumes de financements corporate sont significatifs et écrasent un peu le reste. C'est clairement une tendance et qui marche bien. Nous avons déjà réalisé plusieurs collectes de ce type, par exemple, pour le producteur montpelliérain Éléments en février 2020, pour qui nous avons bouclé un financement de 3 millions d'euros en deux ou trois heures. En termes de chiffre d'affaires, ce n'est pas pareil car la rémunération de la plateforme est plus faible, donc il faut les différents types de financements. Le financement corporate fonctionne bien car il est ouvert à tous, contrairement aux collectes CRE (Commission de régulation de l'énergie, NDLR) et d'acceptabilité territoriale qui sont limitées géographiquement. Par ailleurs, ça reste des produits attractifs si on regarde la rémunération par rapport au risque.
En novembre prochain, entrera en vigueur effet l'harmonisation des règles européennes en matière de financement participatif, qui offrira aux plateformes françaises la possibilité de demander un agrément européen pour réaliser des collectes à l'étranger. Ce sera à la fois une opportunité mais aussi potentiellement une menace de concurrence. Comment voyez-vous cette perspective ?
C'est un gros changement qui a été voté par l'Europe à l'automne dernier. Aujourd'hui, on peut financer des actifs physiquement à l'étranger mais on ne peut pas démarcher des investisseurs en dehors de la France. C'est une excellente nouvelle pour le secteur et nous le regardons avec intérêt. Dans des pays comme l'Italie et l'Espagne, où la réglementation est très restrictive, ça devrait booster les affaires. La France est en pointe sur le financement participatif des énergies renouvelables. Et chez Enerfip, nous avons une relation de confiance avec les producteurs et une base de 26.000 citoyens-investisseurs importante et très engagée.
Comment s'annonce l'année 2021 dans votre secteur ?
Nous nous attendons à une très forte croissance. Nous avons fait une croissance de + 50% entre 2019 et 2020 et nous anticipons une croissance de + 100% en 2021.
* Selon le baromètre établi par Green Univers le 28 avril dernier, le solaire (au sol, sur toitures ou flottant) représente 2/3 des projets et des montants financés, tandis que l'éolien terrestre est la seule énergie qui voit le nombre de projets et les sommes collectées diminuer en 2020 et dans des proportions significatives, respectivement - 70% et - 75%.
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