Eoliennes de Lunas : nouvelle étape dans le ping-pong judiciaire sur la demande de démantèlement

Comme souvent en justice, c’est un dossier au long cours qui se déroule dans l’Hérault, depuis les hauteurs du massif de l’Escandorgue où tournent sept éoliennes depuis 2016. Des éoliennes dont le permis de construire avait été délivré en 2003 et qui, depuis lors, sont l’objet d’un ping-pong judiciaire. Alors que la Cour de cassation vient de rendre un nouveau jugement, La Tribune fait le point avec l’avocat des associations de défense de la biodiversité.
Cécile Chaigneau
Sept éoliennes tournent depuis 2016 à Bernagues, sur la commune de Lunas (Hérault), sur les crêtes du massif de l'Escandorgue.
Sept éoliennes tournent depuis 2016 à Bernagues, sur la commune de Lunas (Hérault), sur les crêtes du massif de l'Escandorgue. (Crédits : Association Sites et Monuments)

A Bernagues sur la commune de Lunas (Hérault), sur les crêtes du massif de l'Escandorgue surplombant Lodève, sept éoliennes tournent depuis 2016, installées par la société Énergie Renouvelable du Languedoc (ERL), filiale du groupe Valeco, lui-même filiale du groupe allemand EnBW depuis juin 2019. Mais sur cette zone, classifiée zone naturelle d'intérêt écologique faunistique et floristique (ZNIEFF), vivent des rapaces, notamment le vautour-moine ou l'aigle royal.

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Or, selon un collectif d'une soixantaine d'associations, le collectif "Pour la protection des paysages et de la biodiversité dans l'Hérault", l'existence d'un couple d'aigles royaux vivant sur ce territoire n'a pas été prise en compte dans les études d'impact réalisées en vue de construire le parc éolien. Le collectif réclame donc la démolition des éoliennes et la bataille juridique fait rage.

« Le cœur du domaine vital de ce couple d'aigles royaux est sur ce site de Bernagues, qui est donc son territoire de chasse, explique Marjolaine Villey-Migraine, porte-parole du Collectif 34. Or l'existence de l'aigle royal n'a pas été mentionnée dans l'étude d'impact. Il s'agit d'une espèce protégée et d'autres rapaces vivent là. Les naturalistes ont dit que ces rapaces ne pourraient pas survivre à la présence des éoliennes... D'ailleurs, le parc éolien avait eu interdiction de fonctionner depuis 2020 suite à la mort, à cet endroit, d'un vautour-moine, une espèce en voie d'extinction. Les exploitants des éoliennes ont installé un système d'effarouchement des oiseaux et ont eu droit de les relancer en octobre 2022. »

Un aigle royal trouvé mort au pied des éoliennes

La Cour de cassation a rendu, le 11 janvier dernier, une décision cassant le jugement de la Cour d'appel de Montpellier, donnant ainsi raison au collectif qui demande la démolition des éoliennes, et renvoyant l'affaire devant la Cour d'appel de Nîmes.

Malheureuse coïncidence, Marjolaine Villey-Migraine annonce que « le 16 janvier, cinq jours après cette décision de justice, le mâle du couple d'aigles royaux est mort au pied des éoliennes de Bernagues d'après les données de sa balise GPS. Une autopsie est en cours par l'Office français de la biodiversité ».

Le recours judiciaire est porté par trois associations : l'association Vigilance patrimoine paysager et naturel (créée par le Collectif pour la protection des paysages et de la biodiversité dans l'Hérault), l'Association protection des paysages et ressources de l'Escandorgue et du Lodèvois (APPREL) et l'association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF) - sites et monuments.

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Permis de construire annulé plusieurs fois

La première incongruité de ce dossier, ce sont des éoliennes qui tournent alors que leur permis de construire a été annulé.

« Ce permis de construire a été délivré en 2003, l'APPREL avait fait un recours et obtenu son annulation devant Tribunal administratif, une décision confirmée en 2010 par le Conseil d'Etat, rappelle aujourd'hui Me Nicolas Gallon, qui défend les associations. Il a été annulé une 2e fois par un arrêt du Conseil d'Etat du 7 novembre 2012, s'appuyant sur l'insuffisance de l'étude d'impact, et une décision définitive d'annulation de ce permis de construire a été rendue en novembre 2017... Le parc éolien avait été construit par ERL alors qu'un contentieux était en cours. Ils ont joué et ils ont perdu ! »

Ces annulations du permis de construire de ces éoliennes ne suffisent toutefois pas pour exiger leur démantèlement. Pour l'obtenir, il faut que la justice civile l'ordonne.

« Une action en démolition a été engagée devant le tribunal judiciaire en juillet 2018, se fondant sur un texte prévoyant de demander la démolition d'une construction quand elle a été édifiée illégalement, selon l'article L480-13 du code de l'urbanisme », précise Me Nicolas Gallon.

Le 15 février 2021, la justice de première instance tranchait en faveur de la démolition des éoliennes d'ERL.

« Ce jugement enjoignait ERL, dans un délais de quatre mois, de démolir les éoliennes, avec une astreinte assez forte de 3.000 euros par association et par jour de retard, soit 9.000 euros. C'était une décision inédite... »

Energie Renouvelable du Languedoc faisait appel et en juin 2021, la Cour d'appel de Montpellier lui donnait raison, estimant qu'il n'y avait pas matière à ordonner la démolition car le promoteur ne méconnaissait pas les règles d'urbanisme en construisant ces éoliennes. Les associations se pourvoyaient alors en cassation.

« Le contentieux éolien le plus avancé »

Le 11 janvier dernier donc, la Cour de cassation cassait ce jugement, jugeant que l'étude d'impact fait partie des règles d'urbanisme et que son insuffisance, au sujet de la présence de l'aigle royal sur le site éolien, suffisait à justifier la démolition. Elle renvoyait l'affaire devant la Cour d'appel de Nîmes pour être à nouveau jugée au fond.

 « La Cour de cassation dit que la Cour d'appel de Montpellier a mal statué mais ne juge pas à sa place et renvoie sur la Cour d'appel de Nîmes car elle ne renvoie jamais devant la même Cour », explique Me Nicolas Gallon qui se veut optimiste et ajoute que « la Cour d'appel de Nîmes devrait nous suivre ».

Sollicité par la rédaction, Valeco a communiqué sa réponse  par mail : « C'est un 3ème épisode juridique, l'affaire est renvoyée devant la Cour d'appel et nous attendons dans les semaines à venir sa décision. Dans le respect de cette échéance, nous ne pouvons commenter davantage ».

Me Gallon confirme ce qu'avancent les associations, à savoir que « de tous les contentieux éoliens  en cours en France, celui des éoliennes de Bernagues-Lunas est le plus avancé, et le seul où la démolition d'aérogénérateurs pourrait être décidée ». L'affaire pourrait ainsi créer une jurisprudence.

La décision de la Cour d'appel de Nîmes signera-t-elle la fin du feuilleton judiciaire ? Selon Me Gallon, « la décision sera rendue sous six à huit mois, et il sera encore possible pour l'une des parties de faire un pourvoi. Mais en cas de pourvoi sur renvoi après cassation, ce qui est rare mais pas inenvisageable vu l'enjeu du dossier, il y a des délais raccourcis pour que la Cour de cassation statue ».

En attendant, sur les hauteurs du massif de l'Escandorgue, les géants ailés sont à l'arrêt. Ordre de la Direction régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement (DREAL) suite à la mort de l'aigle royal...

Cécile Chaigneau

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Commentaire 1
à écrit le 01/02/2023 à 20:47
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C'est à la fois kafkaïen et un énorme gâchis. Kafkaïen car à l'heure où on craint la pénurie d'électricité, un couple d'oiseux, fût-il royal, ne pèse pas lourd face à 7 éoliennes géantes. Gâchis car on n'aurait jamais dû construire des éoliennes qu...

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