Pyrénées-Orientales : le mur de la sécheresse

Le mois de mars était en quelque sorte la dernière chance pour que l’année puisse se passer sans trop de casse. Mais il n’a pas plu. Tout le département des Pyrénées-Orientales est aujourd’hui au pied du mur, agriculture en tête, et la dérogation du préfet pour de diminuer les débits réservés sur la Têt n’y change rien.
David Massot, président de l'ASA du canal de Thuir (l'une des associations autorisées qui gèrent les canaux et les systèmes d'irrigation sous pression) lors d'une réunion le 6 avril à Saint-Estève, regrette qu'on ait laissé couler l'eau dans la rivière cet hiver au lieu de remplir les barrages.
David Massot, président de l'ASA du canal de Thuir (l'une des associations autorisées qui gèrent les canaux et les systèmes d'irrigation sous pression) lors d'une réunion le 6 avril à Saint-Estève, regrette qu'on ait laissé couler l'eau dans la rivière cet hiver au lieu de remplir les barrages. (Crédits : Yann Kerveno)

Sans pluies notables depuis près d'un an maintenant - il est tombé 300 millimètres à Perpignan au lieu de 600 en moyenne -, le département des Pyrénées-Orientales est aujourd'hui au pied du mur. Un mur très haut en premier lieu pour l'agriculture.

L'ensemble du territoire est en alerte renforcé depuis l'été dernier, dernier niveau avant le stade de crise qui priorise l'eau potable sur tout le reste, comme l'a rappelé Nicolas Gracia, vice-président du Conseil départemental des Pyrénées-Orientales, en charge de l'eau, lors d'une réunion tenue à Saint-Estève à l'instigation du journal hebdomadaire L'Agri le 6 avril.

Du côté des réserves, c'est presque cale sèche. Moins de 4 millions de mètres cubes sur une quinzaine au Lac des Bouillouses qui a dû, et c'est une première, stopper la production d'électricité en mars. Seulement 8 millions de mètres cubes au lac de Vinça sur 18, et le lac de Caramany est loin d'être à moitié plein...

Le problème des canaux d'irrigation rendus étanches

« C'est la faute aux écologistes puisqu'il a fallu laisser couler l'eau dans la rivière cet hiver au lieu de remplir les barrages », s'emportait David Massot, président de l'ASA du canal de Thuir, l'une des associations autorisées qui gèrent les canaux et les systèmes d'irrigation sous pression, au cours de la même réunion.

En novembre dernier, le tribunal administratif de Montpellier avait en effet cassé un arrêté préfectoral abaissant le débit réservé de la Têt, fleuve dont dépend une grande parie du maraîchage et de l'arboriculture, à 600 litres par seconde au lieu de 1.200 en période d'étiage : ce débit réservé est donc ramené à 1.500 litres, quand France Nature Environnement réclamait 2.000 litres...

« Un tel débit réservé ne pose pas de problèmes pour une année pluvieuse, une année "habituelle" mais cela va être très compliqué, pour une année comme 2022, ce sera même catastrophique pour l'agriculture », analyse alors Jean Bertrand, en charge du dossier eau à la Chambre d'agriculture des Pyrénées-Orientales.

Si l'État a fait appel de la décision du tribunal, poussé et accompagné par la Chambre d'agriculture, celui-ci n'est pas suspensif.

Ironie de l'histoire, la recharge des nappes phréatiques de surface est, pour partie, assurée par les fuites des canaux d'irrigation, en partie empêchés de fonctionner cet hiver.

« L'État et l'Agence de l'eau nous ont aidés à bétonner les canaux donc à assécher les nappes, ironisait Jean Bertrand. Lorsqu'on nous demande de faire circuler de l'eau dans les canaux pour recharger les nappes, c'est nous qui la payons, cette eau, alors que nous n'en avons pas besoin ! »

Et la décision attendue du préfet de diminuer les débits réservés de 1.500 à 1.000 litres secondes sur la Têt pour le mois d'avril ne changera absolument rien à la donne pour l'agriculture. Elle aura pour seule vertu de continuer à remplir de barrage de Vinça, dans l'optique de constituer une réserve accessible aux canadairs en cas d'incendies importants...

Les moyens de ne pas tout perdre

« La dérogation a en effet réduit à 1.000 litres le débit réservé au point T6, expliquait Fabienne Bonet, présidente de la Chambre d'agriculture, évoquant un des points de mesure placés sur la Têt en aval des prises d'eau des principaux canaux. Mais elle ne parle pas du point suivant, T7, qui lui reste à 1.200 litres secondes... »

Les mathématiques font le reste : avec un débit limité à 1.600 litres en sortie de barrage pour tenter de le remplir, et un débit réservé à 1.200 litres au point T7, il ne reste plus que 400 litres/secondes pour l'irrigation et la recharge des nappes, contre 600 litres/seconde la semaine dernière...

Dans les exploitations agricoles on cherche aujourd'hui les moyens de ne pas tout perdre. Certains essayent de faire des réserves quand l'eau coule dans le canal, d'autres ont priorisé certaines parcelles plus que d'autres.

« Pour l'instant, j'ai de l'eau, explique Joël Ormeno, arboriculteur, à la sortie de la réunion. Mais je ne suis pas sûr que cela dure. Ma stratégie, c'est d'essayer de porter les vergers jusqu'à la récolte et de couper l'eau juste après sur ces parcelles. Ce qui me fait peur, c'est l'année prochaine, parce que sans eau après la récolte, les arbres ne pourront pas faire de mises en réserves... »

Et qui dit absence de mise en réserve dit aussi récolte suivante largement amputée. L'année 2023 sera celle de la bataille de l'eau.

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