Energies renouvelables : Cemater analyse pourquoi ça coince dans les documents d’urbanisme

La nécessité de développer un mix énergétique ne fait plus débat. Par conséquent, celle d’accélérer sur les énergies renouvelables non plus. Mais le constat est encore frappant : le développement de projets d’énergies renouvelables sur les territoires est toujours empreint d’une importante inertie. Le cluster Cemater, groupement des professionnels de la filière des énergies renouvelables et construction durable en Occitanie, a voulu comprendre pourquoi et s’est penché sur les documents d’urbanisme, pierre angulaire de la planification urbaine.
Cécile Chaigneau
En Occitanie, le nouveau Schéma régional de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR), entré en vigueur en janvier 2023 pour une durée de dix ans, prévoit de doubler la puissance installée des énergies renouvelables à raccorder au réseau de transport et de distribution d'électricité d'ici 2030, soit 6.800 MW d'énergies renouvelables supplémentaires.
En Occitanie, le nouveau Schéma régional de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR), entré en vigueur en janvier 2023 pour une durée de dix ans, prévoit de doubler la puissance installée des énergies renouvelables à raccorder au réseau de transport et de distribution d'électricité d'ici 2030, soit 6.800 MW d'énergies renouvelables supplémentaires. (Crédits : DR)

C'est leur métier et donc leur intérêt. Mais c'est aussi un enjeu majeur. Le développement des énergies renouvelables est plus que jamais sur la table des élus, et le cluster Cemater, groupement des professionnels de la filière des énergies renouvelables et construction durable en Occitanie (90 adhérents), présentait le 6 juin, lors de son assemblée générale, les résultats d'une étude qu'il a confiée au cabinet Neoz sur les blocages au développement des énergies renouvelables, notamment dans les documents d'urbanisme.

«  Des PLUi (plans locaux d'urbanisme intercommunaux, NDLR) qui sont bloquants, des Scot (schémas de cohérence territoriale, NDLR) qui ne sont pas compatibles, etc., les bureaux d'études qui travaillent sur les documents d'urbanisme ne se rendent pas tous compte des enjeux, fait observer Stéphane Bozzarelli, président de Cemater. Il nous faut travailler en amont avec les élus et les bureaux d'études qui font les documents de planification urbaine, pour accélérer le développement des énergies renouvelables.  »

Alors que le pays sort d'un épisode hivernal de crise aigüe de l'énergie et que le contexte international pousse les Etats à travailler leur souveraineté énergétique, le nouveau Schéma régional de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR) de l'Occitanie est entré en vigueur en janvier 2023 pour une durée de dix ans. Il prévoit de doubler, d'ici 2030, la puissance installée des énergies renouvelables à raccorder au réseau de transport et de distribution d'électricité, soit 6.800 MW d'énergies renouvelables supplémentaires.

Mais les professionnels de la filière des énergies renouvelables pointent des blocages et des freins encore à l'œuvre, qui viennent contrecarrer les ambitions nationales en la matière.

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Scot et autres PLUi à la loupe

« Nous sommes un groupement de professionnel et notre objectif est de montrer qu'on peut travailler ces problématiques de façon qualitative, et de faire du conseil et de l'apport d'expérience et de savoir-faire auprès des collectivités, affirme David Chabot, responsable de l'agence toulousaine de Dev'ENR et secrétaire de Cemater. Ces dernières années, malgré les ambitions affichées via la loi de programmation pluriannuelle de l'énergie, nous avons observé un phénomène de blocage sur le développement des ENR et nous voulions voir d'où ils viennent. Cela se joue notamment dans les documents d'urbanisme : PLUi, Scot, charte de parcs naturels régionaux, qui sont des documents de planification dont les collectivités doivent se saisir pour répondre aux politiques publiques nationales... Nous voulions comprendre si les blocages viennent des élus. »

Le cabinet Neoz a alors lancé une enquête sur toute l'Occitanie, une enquête à double entrée, comme l'explique Clément Veyrac, le gérant de Neoz : « Le cœur de l'étude se fonde sur une base documentaire, c'est à dire l'analyse du contenu des principaux documents d'urbanisme et de planification urbaine existant en Occitanie - le SRADDET* et surtout les Scot et PLUi - mais aussi des entretiens avec un échantillon d'acteurs qui agissent sur ces sujets à différents niveaux dans les collectivités, pour voir quelles sont les questions qu'ils se posent... Nous avons ciblé les Scot en vigueur et débutant au plus tard en 2016, ce qui fait que nous avons étudié 35 Scot - soit 55% des communes d'Occitanie -, 30 PLUi relativement récents - soit 15% des communes d'Occitanie, mais par exemple, pas celui de Montpellier qui est en cours de révision - et quatre chartes des parcs naturels régionaux sur huit. ».

« Probablement que cette étude peut faire référence d'un point de vue national car les problématiques d'aménagement sont  les mêmes partout ailleurs », souligne David Chabot.

Des ambitions mais pas d'objectifs

La première observation que souligne l'étude, c'est une intégration « superficielle » des énergies renouvelables dans les documents d'urbanisme.

« Dans l'ensemble des Scot et PLUi, les ambitions politiques sur les énergies renouvelables sont présentes mais sur les Scot analysés, seuls 11 ont des objectifs quantifiés de développement de production énergétique, et les PLUi ne prévoient pas de dispositions opérationnelles - des zonage par exemple - pour prévoir l'accueil d'énergies renouvelables », rapporte Clément Veyrac. On peut donc résumer en disant que les collectivités affichent des ambitions mais pas d'objectifs. »

Le consultant note toutefois « une légère évolution de la maturité des documents : les plus récents sont plus précis que les anciens » mais il observe aussi que « c'est un sujet difficile pour les communes, qui n'ont pas forcément les compétences pour traiter ces questions sur lesquelles il est difficile de trouver des consensus ».

« La conséquence, c'est que les collectivités formulent des ambitions mais ne prévoient pas d'espaces et gèrent au cas par cas, quitte à envisager des modifications des documents d'urbanisme dans le temps », conclut-il.

Peut-on parler de frilosité des élus ? David Chabot rappelle qu' « il y a toujours un décalage entre les ambitions nationales et l'application sur les territoires : ça a été le cas pour le logement social par exemple et c'est la même chose sur les énergies renouvelables... On est sur un nouveau temps d'adaptation de la politique énergétique, avec le développement d'un système plus décentralisé, ce qui entraîne des questionnements et peut-être une certaine frilosité ».

Clément Veyrac pondère la notion de frilosité : « Il y a une appropriation qui prend du temps, d'autant qu'on est sur un contexte réglementaire très mouvant, avec beaucoup de débats au niveau national... Et l'absence d'un cadre clair pour demain n'incite pas à se projeter, même si le besoin est repéré par les élus. D'où les ambitions affichées dans les documents de planification ».

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Acceptabilité et sens

Mais le développement des énergies renouvelables sur les territoires pose aussi la question citoyenne, avec en toile de fond la question du paysage qui évolue au gré des parcs solaires ou éoliens, et la question de l'acceptabilité.

« La question de l'acceptabilité a été assez peu évoquée dans nos échanges ou dans l'analyse des documents d'urbanisme, déclare Clément Veyrac. Même si nous étions sur un échantillon peu représentatif, l'acceptabilité est apparue comme l'une des sources de difficulté de ces dossiers mais une parmi bien d'autres, notamment le problème des compétences. La moitié est personnes interviewées disent qu'il faut en sortir et apprendre à travailler sur les processus en amont... »

Le consultant pointe plus volontiers un autre enjeu : le sens que les territoires donnent aux énergies renouvelables.

« Par exemple, 12 Scot formulent une ambition de transition énergétique et de territoire à énergie positive, 8 Scot affiche une ambition de développement économique via des énergies renouvelables, 4 Scot précisent des ambitions de développement des énergies renouvelables sans optique particulière, et 1 Scot qui inscrit vraiment les énergies renouvelables dans une optique d'adaptation aux enjeux climatique et de résilience du territoire », énumère Clément Veyrac.

Mais ils ont un point commun, un travail de spatialisation peu développé : « Quelques Scot renvoient à d'autres documents, comme le PCAET (Plan climat-air-énergie territorial, NDLR), et même 14 Scot prescrivent au PLUi de spatialiser ou renvoient à des cartographies des services de l'Etat ».

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Travailler le "comment on fait"

Si l'étude révèle une prise de conscience grandissante des enjeux énergétiques par les élus, quelles pistes préconisent le cabinet conseil et Cemater pour améliorer l'anticipation des énergies renouvelables dans les documents d'urbanisation ?

« Des évolutions se dessinent : à partir de 2024, le travail de planification sera fait à échelle régionale, par les préfets et la Régions, et la Loi climat et résilience prévoit la mise en œuvre de comités régionaux de l'énergie dans chaque région, analyse Clément Veyrac. Ce sera sans doute une opportunité pour travailler différemment et que les territoires trouvent des réponses dans ce cadre. Ce sera aussi l'opportunité pour que ce sujet du "comment on fait", et non plus du "est-ce qu'on fait", soit mieux travaillé. »

Les observations consignées par l'étude donnent des idées de leviers de travail : celui de l'appropriation des enjeux et des objectifs pour permettre aux élus de se projeter, et celui des montées en compétences des collectivités pour mieux appréhender les enjeux techniques et technologiques et mieux les intégrer au schéma de développement du territoire, « ce qui entre en résonnance avec les actions que Cemater mène avec les élus en matière d'acculturation et de connaissance », assure David Chabot.

« Les acteurs privés de l'énergie ont aussi leur rôle à jouer pour assurer un bon niveau de dialogue avec les collectivités, et doivent développer de bonnes pratiques, ajoute Clément Veyrac. Il faut aussi travailler la traduction des PCAET, qui sont encore peu matures, dans les documents d'urbanisme. »

Déclic

 « Il y a aussi un levier sur la façon de travailler avec les services de l'Etat, préconise David Chabot. On est dans une grande région de 13 départements, avec 13 directions départementales des territoires (DDT, ndlr), 13 façons de travailler, 13 façons d'aborder les sujets. Il faut maintenant voir comment l'Etat peut mieux accompagner les territoires dans le travail de rédaction des documents d'urbanisme sur ces sujets. »

Clément Veyrac mise sur les effets durables de la crise énergétique et évoque « un déclic l'été dernier quand le prix de l'électricité a fortement augmenté ».

« La conclusion, c'est qu'il y a un chemin amorcé, la nécessité d'agir sur différents leviers, et de l'investissement à mettre, conclut-il. Il sera intéressant pour la DDT d'avoir cette étude. On espère que ça fera un déclic. »

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* Schéma Régional d'Aménagement, de Développement Durable et d'Égalité des Territoires, porté par la Région à horizon 2040, adopté le 30 juin 2022 et fixant notamment les objectifs de moyens et longs termes de la Région Occitanie en matière de maîtrise et de valorisation de l'énergie.

Cécile Chaigneau

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