Levées de fonds : l'exaspération des startuppeuses

La création, le 3 décembre, du mouvement national #SISTA réclamant plus de mixité dans l'accès aux fonds d'investissement suscite des réactions au sein de la French Tech Montpellier. Les startuppeuses de l'écosystème héraultais font un constat souvent tout aussi sévère.
En France, seules 2,6 % des entreprises financées par les fonds d'investissement sont dirigées par des femmes
En France, seules 2,6 % des entreprises financées par les fonds d'investissement sont dirigées par des femmes (Crédits : DR)

Le mouvement national #SISTA a été lancé, le 3 novembre, avec l'ambition de favoriser plus de mixité dans le financement de l'économie numérique et l'accès aux fonds d'investissement. Il est porté, à cette heure, par un groupe de 22 femmes chefs d'entreprises innovantes ou startuppeuses, parmi lesquelles Mercedes Era (cofondatrice BETC), Françoise Mercadal-Delasalles (directrice générale Crédit du Nord), Catherine Barba (fondatrice CB Group), Céline Lazorthes (fondatrice Leetchi et Mangopay), Roxanne Varza (directrice Station F), Alice Zagury (co-fondatrice The Family), etc.

"Un modèle paternaliste"

Ce collectif s'engage sur la base d'un constat édifiant : en France, seules 2,6 % des entreprises financées par les fonds d'investissement sont dirigées par des femmes (alors que 10 % des start-ups sont créées par des femmes). Cette prise de parole trouve un certain écho au sein de la French Tech Montpellier, où La Tribune a interrogé des startuppeuses emblématiques sur l'expérience retirée de leur propre parcours de financement.

Maryam Bini, cofondatrice de Soledge (solutions hi-fi connectées haut de gamme) : "J'ai essayé de lever des fonds à l'époque où c'était la mode. J'ai vu des femmes business angels (BA), pensant qu'elles seraient plus bienveillantes. En fait, j'ai vite compris qu'elles non plus n'ont pas la même écoute dès lors qu'une femme se présente. Cela tient d'abord au manque d'éducation à la technologie, car j'ai eu des questions sur ce sujet alors que ce n'est pas ma partie. Cela a été vu comme un manque de crédibilité, au point que les BA ont voulu voir "un autre responsable". Ensuite, il y a toujours des a prioris sur la représentativité des femmes dans la tech, où les roles models sont peu nombreuses. Le moindre événement tech est fréquenté par les mêmes femmes, et quand des nouvelles arrivent, elles sont dissuadées de beaucoup de choses. C'est un modèle paternaliste. Finalement, nous n'avons pas persisté. Le plus important est la conquête de chiffre d'affaires."

Bénédicte Laurent, présidente de Namae Concept (logiciel de naming) : "J'ai plusieurs parcours de financement avec des BA et des fonds où souvent, j'ai réussi. Lors des premiers contacts, je n'ai rien vu de spécial, pouvant en plus me prévaloir de l'accompagnement du BIC Montpellier. Mais lors des premiers entretiens, beaucoup de choses se jouent. Les femmes n'inspirent jamais autant confiance que les hommes. Elles ont les mêmes ambitions d'eux, mais elles les affichent différemment. Notre seule façon de présenter nos objectifs fait que nous perdons souvent des chances de passer au cycle suivant. D'où une suite de faux arguments qui m'ont été opposés. Si j'affiche des objectifs moindres, c'est que je n'ai pas tout mis sur la table. Si j'ai seulement un CV de linguiste et si je n'ai pas de CTO, je ne peux pas vendre mon logiciel. Si je parle de mes grossesses, je compromets mes chances..."

Laure Vidal, fondatrice de Il Était un Fruit (snacking 100 % naturel) : "Il y a deux façons de voir le problème. D'une part, les femmes n'imaginent pas spontanément qu'elles peuvent accéder à certaines choses, certains financements, alors que les hommes n'ont pas ce genre de barrière mentale. D'autre part, il est vrai que nous pouvons nous heurter à un regard de financeurs qui est très majoritairement biaisé, surtout en phase "early stage". Lors d'une première levée de fonds, j'ai eu des remarques de BA sur mon "joli sourire", qui ne suffirait pas pour boucler le dossier. Lors d'une demande de prêt, on m'a demandé ce que faisait mon mari. Mais c'est une question de personnes. Par la suite, cela change. Quand les femmes arrivent à présenter leur dossier normalement, on rentre dans une discussion objective. Au final, j'ai réussi ma première levée de fonds. Mes partenaires me considèrent normalement."

Quelle mixité ?

Ainsi, le mouvement #SISTA propose notamment que plus de femmes soient intégrées aux gouvernances des écosystèmes numériques, et qu'elles figurent en meilleure place dans les comités d'investissement. Avec cet objectif, à terme : que 10 % des fonds déployés soient levés par des start-ups fondées par des femmes.

Laure Vidal : "Il est bon en général de diversifier les personnalités dans les comités. C'est toujours choquant d'être la seule femme au milieu des hommes, comme je peux le voir alors que je m'implique aujourd'hui dans la French Tech Montpellier. Il peut être positif de féminiser, mais plus que le ratio femmes/hommes, ce sont les parcours différents qu'il faut privilégier, afin de ne pas rester sur une ligne monolithique."

#SISTA va même plus loin, et envisage ouvertement la création d'un fonds d'investissement dédié aux entreprises fondées ou dirigés par des femmes, à l'image de dispositifs similaires existants à l'étranger. Une proposition plus clivante, y compris parmi les principales intéressées.

Bénédicte Laurent : "À une époque, j'aurais dit non à une telle proposition. Il est toujours gênant de repartir sur ces considérations car elles nourrissent la dichotomie. Mais si c'est un chemin qui nous permet d'accéder plus facilement aux financements, pourquoi pas ? Il faut bien trouver le moyen de sortir de la situation actuelle."

Maryam Bini : "J'y suis opposée car c'est un peu du ségrégationnisme. Le travail à faire doit être mené dans les fonds existants en y amenant d'autres cultures et plus de féminisation afin de favoriser l'inclusion. Une autre solution serait de favoriser des quotas, afin de forcer les fonds à investir 10 ou 20 % dans les entreprises créées par des femmes."

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