À Montpellier, Muhammad Yunus affirme : "Pas de justice sociale, pas de paix ! "

Muhammad Yunus, surnommé le « banquier des pauvres », a inventé et institutionnalisé le microcrédit pour aider les populations exclues des systèmes financiers traditionnels et lutter contre la pauvreté. Il est venu à la rencontre des étudiants de Montpellier Business School le 4 mars.
Cécile Chaigneau
Muhammad Yunus, invité de Montpellier Business School, le 4 mars

En inventant le microcrédit, Muhammad Yunus, professeur d'économie bangladais, est devenu le « banquier des pauvres ». Dans le cadre de son YY (Yunus and You) Campus Tour organisé par le Centre Yunus Paris, il sillonne actuellement les campus français à la rencontre des étudiants, racontant inlassablement son histoire, semant les graines du « social-business » et distillant les ingrédients d'une utopie, celle d'un autre monde possible en parallèle d'un capitalisme effréné.

Le 4 mars, ce Prix Nobel de la paix (2006) était de passage à Montpellier, où il était l'invité de marque de Montpellier Business School.

« Mon enseignement était inutile »

L'aventure devenue mondiale a débuté en 1974 dans un petit village du Bangladesh, pays d'origine de Muhammad Yunus, alors en proie à la famine et la pauvreté.

« J''étais professeur d'économie et j'ai réalisé que mon enseignement était complètement inutile, souligne-t-il en préambule. J'ai réfléchi comment aider ces populations en difficulté, et j'ai imaginé prêter un peu de mon argent, des sommes minuscules. C'est comme ça que tout a démarré. Puis les choses se sont emballées ! J'ai décidé de fonder ma propre petite banque, devenue nationale puis internationale. »

C'est ainsi que Muhammad Yunus inventa le microcrédit, un système qui permet à des porteurs de projets peu fortunés - des femmes principalement - de bénéficier de prêts que leur refuse le système bancaire traditionnel. Il institutionnalise ce dispositif en 1983, en fondant la Grameen Bank, dite la « banque des pauvres ». Le microcrédit est aujourd'hui reconnu dans le monde entier comme un moyen efficace de lutte contre la pauvreté.

« Une bombe prête à exploser »

« Le système bancaire traditionnel est fondé sur le manque de confiance, scande-t-il. À l'inverse, avec le microcrédit, nous créons un système basé sur la confiance. La Grameen Bank est la seule banque au monde sans avocat et ça fonctionne ! Aujourd'hui, nous avons accordé 9 millions de prêts, 97 % de nos emprunteurs sont des femmes, le taux de remboursement est de plus de 99 %. Et ça marche aux États-Unis, un pays où on ne fait pas confiance aux autres. »

L'économiste prône volontiers un chamboulement des règles établies et exhorte les jeunes étudiants à bousculer les modèles : « Aujourd'hui, on dit qu'on ne prête qu'aux riches... Nous avons retourné la situation. Vous les jeunes, si vous acceptez le système précédent, vous vivrez demain dans le même monde qu'il y a vingt ans ! Rendez-vous compte : 90 % de la richesse mondiale est dans les mains de moins de 1 % de la population mondiale. C'est une source d'inquiétude extrême, une bombe prête à exploser à tout moment ! Ce système va s'effondrer d'ici trente ou quarante ans car cela crée énormément de tension. Pas de justice sociale, pas de paix ! Le microcrédit est une solution.  Si on veut changer le monde, il faut réinventer les choses. L'ancien système a créé un clivage entre riches et pauvres et ça empire. ».

Sortir du cadre

Pointant les problématiques d'aujourd'hui (écologie en détresse, IA menaçant l'emploi), « que l'homme a lui-même créées », Muhammad Yunus invite à réfléchir à un autre modèle que le capitalisme.

« Doit-on toujours chercher plus de profits seulement ? Ou bien l'entreprise peut-elle aussi être là pour résoudre les problèmes sociétaux ? C'est ça, le social-business... Le capitalisme est parti sur de mauvais fondamentaux : on a bâti un système pour satisfaire notre égoïsme, et c'est en cumulant du profit sans s'occuper des autres qu'on a créé des inégalités, des exclusions, des pauvres. Or l'être humain est une combinaison d'altruisme et d'égoïsme. On peut donc très bien imaginer créer des entreprises pour aider la société et d'autres pour faire de l'argent. Les deux solutions sont possibles, il faut juste savoir ce que l'on veut faire de sa vie. »

Mais l'homme l'assure : « Je ne donne pas de leçon... Le social business est d'abord une entreprise qui doit être rentable. Sinon c'est une œuvre caritative ! Il faut donc résoudre cette équation. Les jeunes doivent penser différemment. Il faut casser les directives, les formules, les méthodologies, sortir du cadre.  On pourrait alors créer un tout autre monde ! ».

Malgré son enthousiasme, Muhammad Yunus est lucide sur l'état du monde.

« Après 42 ans de microcrédit, le système financier n'a pas changé et la microfinance n'est pas considérée par les acteurs du système bancaire traditionnel car ils ne souhaitent pas nous laisser de place ! Au Bangladesh, nous travaillons dans un environnement très hostile et nous n'abandonnons jamais ! »

Une chaire et un Centre Yunus à Montpellier

En octobre dernier, Montpellier Business School créait une chaire sur la microfinance dans les pays développés, en partenariat avec l'Institution de Microfinance (IMF) Créa-Sol. « Directement inspirée des travaux de Muhammad Yunus », elle est pilotée par le professeur-enseignant Anastasia Cozarenco.

Après la conférence du Professeur Yunus, la chaire participera aussi à l'organisation de la 6e European Research Conference on Microfinance en juin 2019, en partenariat avec l'Université Paris-Dauphine et l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD).

Montpellier Business School annonçait, ce 4 mars, son ambition de créer un Centre Yunus à Montpellier, afin de promouvoir le social business. Il existe actuellement une soixantaine de centres Yunus dans le monde, dont un en France, à Paris.

Cécile Chaigneau

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