Canal du Rhône à Sète : quels enjeux économiques, écologiques, touristiques, et quel avenir ?

Le canal du Rhône à Sète porte une double vocation : économique (fret) et touristique (fluvial). Cette infrastructure, longue de 68 km entre le Gard et Sète et qui traverse des zones naturelles remarquables, a aussi un rôle écologique majeur. Une concertation territoriale vient d’être lancée en vue du prochain Contrat de Plan Interrégional État-Régions (CPIER), afin d’examiner les orientations possibles pour le devenir de cette voie navigable. Entretien avec le préfet François Lalanne, chargé d’animer cette concertation.
Cécile Chaigneau
La péniche le Hercule, transportant 1 400 tonnes de gravière, descend le Canal du Rhône à Sète (ici à Carnon) pour se rendre sur le port maritime de Sète.
La péniche le Hercule, transportant 1 400 tonnes de gravière, descend le Canal du Rhône à Sète (ici à Carnon) pour se rendre sur le port maritime de Sète. (Crédits : Voies Navigables de France)

Le canal du Rhône à Sète relie le Petit-Rhône, dans le Gard, au port maritime de Sète, dans l'Hérault. Sur une 68 km de linéaire, il irrigue 20 communes pour environ 200 000 habitants concernés, et traverse des zones naturelles remarquables et des chapelets de lagunes méditerranéennes.

Le trafic actuel de vracs solides diversifiés sur ce canal est d'environ 250 000 tonnes/an (en moyenne sur 5 ans). Le tourisme fluvial, selon les chiffres enregistrés aux deux extrémités du canal, est de l'ordre de 4 000 bateaux/an à Frontignan, et de l'ordre de 1 300 bateaux/an à l'écluse de Saint-Gilles.

Le canal est ainsi un objet singulier dans le paysage fluvial national, au carrefour d'enjeux économiques et écologiques... Une concertation territoriale vient d'être lancée par Étienne Guyot, préfet de la région Occitanie, afin de réinterroger les orientations stratégiques du canal du Rhône à Sète. Animée par le préfet François Lalanne, elle associe tous les acteurs concernés du territoire : acteurs économiques, collectivités et élus locaux, acteurs environnementaux, Voies navigables de France et services de l'État, associations et habitants. Il s'agit en particulier de proposer une stratégie pour la gestion des sédiments de dragage et d'examiner, en vue du prochain Contrat de Plan Interrégional État-Régions (CPIER), les orientations possibles pour le devenir de cette voie navigable.

Comment va s'organiser la concertation d'ici à fin novembre ?

François Lalanne : « Sous la forme de quatre ateliers, en présentiel et en distantiel. Le premier aura lieu avec les élus locaux le 4 novembre à Beaucaire pour évoquer les compétences, notamment les compétences économiques des EPCI dont celle de la Métropole de Montpellier, ainsi que la compétences GEMAPI (Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations, compétence confiée depuis le 1ᵉʳ janvier 2018 aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, NDLR). Le 6 novembre, l'atelier "Territoires et environnement" se tiendra à Villeneuve-lès-Maguelone. Le 10 novembre, l'atelier "Fret et économie", à Sète, interrogera les besoins du port de Sète. Et enfin l'atelier "Tourisme" aura lieu le 20 novembre à Saint-Gilles. »

Quel est l'objectif de cette concertation ?

F. L. : « C'est la première fois qu'on réunira le Conseil régional, les deux Conseils départementaux, les 8 EPCI et les 15 communes traversées par le canal. Le problème aujourd'hui, c'est que nous avons une vision du canal morcelée et c'est ça que nous voulons changer. Il faut aller vers une gouvernance partagée et créer une vision commune des élus de l'Hérault et du Gard... Les conclusions de la concertation feront l'objet d'une synthèse et d'une restitution, sans doute fin 2020, début 2021. Il s'agira ensuite d'arbitrer entre 5 scenarii figurant dans le rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable "Canal du Rhône à Sète, quel devenir ? " (présenté le 15 octobre dernier lors d'une conférence au Pont du Gard, NDLR), et portant sur le gabarit des bateaux qui empruntent le canal. »

Quelle est la problématique majeure sur le canal ?

F. L. : « Nous avons fait faire ce rapport, car nous avons réalisé que le dragage des sédiments a été sous-estimé il y a 15 ans et que ces opérations, qui au départ étaient considérées comme une dépense d'entretien, constituent aujourd'hui une dépense majoritaire. Le dragage des sédiments avait été estimé à 40 000 m2 dans les années 1990, or aujourd'hui, il faut retirer 100 000 m2 de sédiments tous les ans. C'est très coûteux (de l'ordre de 40 €/m3, NDLR) et cette dépense doit être ré-envisagée aujourd'hui comme une dépense d'investissement. D'autant qu'il y a une dizaine d'années, il a été décidé que le canal du Rhône à Sète deviendrait un canal pour bateaux de fret de grand gabarit, c'est-à-dire de plus de 1 000 tonnes. Cette augmentation des gabarits a entraîné une poussée des péniches et barges sur les berges, ce qui les a fragilisées et a favorisé leur érosion. Or ce canal n'est pas un canal ordinaire : il est traversé perpendiculairement par 24 passes hydrauliques - rares sur d'autres canaux - qui permettent d'écouler les sédiments des étangs dans la mer. Mais les sédiments se déposent à la traversée des passes. C'est un ouvrage d'art polyvalent, mais à force de lui demander de faire deux choses - faciliter la navigation et supporter 24 passes - il est plus coûteux à entretenir*. Et sa fonction GEMAPI n'a pas été reconnue jusqu'à présent, car cette compétence est récente. Il faudra donc l'intégrer. »

Quels sont les enjeux économiques, écologiques et touristiques du canal du Rhône à Sète ?

F. L. : « Sur le plan économique, il s'agit d'éviter l'arrêt du canal et de maintenir une activité fret mais à un coût d'investissement et d'entretien soutenable. Il y a donc une trajectoire d'investissement à poursuivre. Le plus difficile, c'est d'envisager que les berges méritent de gros travaux dans l'Hérault car elles ont aussi une fonction de digues, et que c'est donc bien de l'investissement... Au plan écologique, la question majeure est celle du réemploi des sédiments. Sur les cinq dernières années, on a stocké 350 000 m2 de sédiments, suite aux dragages, dans des casiers le long du canal. Il devient difficilement envisageable de multiplier encore le nombre de ces casiers. Il faut qu'ils soient vidés et il faut trouver un débouché aux sédiments, qui ne sont pas dangereux mais pas inertes car ils contiennent encore du sel. Ils peuvent servir à des plateformes de déblais-remblais. Le port de Sète ou la Métropole de Montpellier, par exemple, ont des besoins énormes en la matière. Si on arrive à créer un consortium, peut-être qu'on aura une commande publique groupée qui permettra de réutiliser ces sédiments et ainsi réduire le coût du dragage. Il faut aussi se pencher sur la fonction GEMAPI de ce canal : le canal a une fonction économique de fret mais aussi de protection du littoral contre les risques de submersion marine ou de maintien des sédiments dans les étangs. La solution sera peut-être collective... Enfin, sur les enjeux touristiques, il s'agirait de multiplier les points d'accueil dans les ports de plaisance. Dans l'Hérault, il est plus facile de naviguer et de s'arrêter mais dans le Gard, on manque de place pour accueillir les péniches. Un standard de qualité a été atteint par le Canal du Midi, qui pourrait inspirer le canal du Rhône à Sète. L'objectif est de créer une seule organisation des ports en réseau avec une animation collective sur tout le canal. Il ne faut pas s'arrêter aux frontières des départements. »

Quels sont donc les 5 scenarii envisageables pour l'avenir du canal, et à quel coût ?

F. L. : « Un canal pour des bateaux chargés à 2 500 tonnes, ce qui coûterait 225 M€ sur sept ans. Un canal avec un tirant d'eau moindre et des bateaux de 1 400 tonnes, soit 110 M€. Un canal accueillant l'essentiel des bateaux actuels de 1 000 tonnes, soit 70 M€. Un canal pour les colis lourds, le fret de niche et le tourisme fluvial, soit 32 M€. Et enfin un canal dédié uniquement à la pêche et loisirs locaux, soit 10 M€. Au vu de ce qui s'est dit le 15 octobre, nous allons probablement écarter les solutions extrêmes... L'objectif de la concertation est d'éclairer le gouvernement et Pascal Mailhos - le préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes, également coordonnateur du plan Rhône-Saône - sur les décisions d'investissement à prendre dans le cadre du Plan Rhône-Saône et du prochain contrat de plan Occitanie État-Région 2021-2027.

* Le canal fait l'objet d'un programme de modernisation, estimé à 110 M€, validé par une déclaration d'utilité publique prolongée pour cinq ans en janvier 2015. Les crédits engagés sur les CPIER ont permis la réalisation de la moitié du programme, avec un soutien de l'Union européenne.

Cécile Chaigneau

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