Informatique, robotique, microélectronique : le LIRMM, 30 ans de recherche à la pointe

ENTRETIEN - Le laboratoire d’Informatique, de Robotique et de Microélectronique de Montpellier (LIRMM) fête ses 30 ans ce 30 septembre. S'il a été précurseur sur de nombreux sujets toujours à la pointe, comme l’IA, la science des données, la robotique ou la conception de systèmes embarqués, le LIRMM est aussi un des tous premiers laboratoires français en terme de création et d’accompagnement de startups. Echange avec Philippe Poignet, son directeur.
Philippe Poignet, directeur du Laboratoire d’Informatique, de Robotique et de Microélectronique de Montpellier (LIRMM).
Philippe Poignet, directeur du Laboratoire d’Informatique, de Robotique et de Microélectronique de Montpellier (LIRMM). (Crédits : DR)

Le Laboratoire d'Informatique, de Robotique et de Microélectronique de Montpellier (LIRMM) fête ses 30 ans d'existence. Unité Mixte de Recherche ayant pour tutelles principales l'Université de Montpellier et le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), il bénéficie de tutelles secondaires - l'Université de Perpignan et l'université Paul Valery Montpellier - et de partenariats avec l'Inria. Une journée scientifique célèbre cet anniversaire ce 30 septembre

LA TRBUNE - Dans quel contexte est né le LIRMM ?

Philippe POIGNET, directeur du LIRMM - Le LIRMM est le résultat de la fusion de deux laboratoires montpelliérains : le Centre de recherche en informatique et le Laboratoire d'Automatique et de Microélectronique de Montpellier. Sous l'impulsion du Pr Durante et de quelques autres personnalités, le laboratoire a été labellisé comme une Unité de Recherche, avec déjà à l'époque les trois disciplines d'aujourd'hui :  informatique, robotique et microélectronique.

Combien de chercheurs compte actuellement au LIRMM, pour quel budget de fonctionnement ?

Le laboratoire regroupe 160 chercheurs et enseignants-chercheurs, mais aussi une quarantaine de personnels administratifs et techniques, plus de 150 doctorants et post-doctorants, soit au total près de 400 personnes. Réparti en trois départements avec 21 équipes de recherches, le laboratoire dispose en ressources propres contractuelles, de type projets de recherche nationaux, européens ou contrats industriels, d'un budget annuel de 6 millions d'euros hors dotations des tutelles (10% du budget, NDLR).

En trente ans, quelles ont été les avancées les plus marquantes issues du LIRMM ?

Comme je le dis souvent, le LIRMM a été précurseur sur un bon nombre de sujets qui sont toujours d'actualité : la science des données, le génie logiciel, la conception et la commande de nouveaux robots, la conception et le test de circuits intégrés et de systèmes embarqués... A la différence près que ces thématiques ne se traitent pas aujourd'hui avec les mêmes outils mathématiques ou n'utilisent pas les mêmes technologies.

Quel spectre d'activités couvre le département informatique ?

Le département regroupe à lui seul plus d'une centaine de chercheurs et enseignants-chercheurs et plus de 70 doctorants et post-doctorants. Son spectre d'activités est donc très large et couvre globalement l'essentiel de la recherche actuelle en informatique et ses applications. Cela va de l'intelligence artificielle à l'apprentissage automatique ou profond, en passant par la bio-informatique (analyse de séquences génomiques, étude de l'évolution des espèces, NDLR), la théorie du calcul (graphe, cryptographie, NDLR), le traitement des images ou encore les jeux sérieux.

Concrètement, ces recherches ont donné lieu à quel type d'applications ?

Nous avons par exemple développé, dans le cadre d'un projet européen, une plateforme de visualisation pour le suivi de données épidémiologiques permettant de naviguer dans ces données d'un point de vue spatial et temporel. En bioinformatique, le laboratoire travaille sur les modèles mathématiques qui décrivent les mutations pouvant s'accumuler au sein de l'ADN et se transmettant de génération en génération... Ces techniques pour analyser les données génétiques ont par exemple servi à identifier le génome du virus de la Covid, ou le 10e gène du VIH.

En termes d'IA, vous évoquez le machine-learning. Sur quelles évolutions travaillez-vous ?

Au cours de ces dernières années, les algorithmes de machine-learning se sont énormément développés et ont permis d'accélérer le traitement de grands volumes de données. Mais il reste beaucoup à comprendre sur leur fonctionnement et pour avoir des résultats pleinement reproductibles et explicables. Le laboratoire travaille donc sur la compréhension et la bonne utilisation de ces outils-là.

Dans le domaine de la robotique, quelles sont vos sujets de recherche ?

Le département travaille sur la conception de robots et des outils permettant de contrôler  leurs mouvements ou leurs interactions avec l'environnement, ce qu'on appelle la "cobotique". Il faut donc être capable de modéliser les interactions physiques entre l'homme et les robots, de les piloter en se servant de différents capteurs. La robotique sous-marine est aussi un de nos axes de recherche forts : elle permet, par exemple, d'aller explorer les réseaux karstiques dans lesquels circulent les eaux douces. C'est le sens même du projet montpelliérain Lez2020. En archéologie sous-marine, il est désormais possible d'accompagner des archéologues dans des fouilles d'épave situées à grande profondeur, l'objectif étant d'aller jusqu'à 2.500 mètres de profondeur... Nous travaillons également sur la robotique parallèle, notamment les robots à câbles aux dimensions décuplées qui seraient utilisés, par exemple, dans la construction, la maintenance ou la réparation de grands bâtiments. Et bien sûr, il y a tout le volet robotique chirurgicale.

Vous êtes d'ailleurs cofondateur d'AcuSurgical, spécialiste de la microchirurgie rétinienne. Comment en êtes-vous arrivé là ?

C'est le résultat d'une expertise de trente ans ! Je suis certes directeur de laboratoire mais j'ai toujours une activité d'enseignant et de chercheur. Entre 2018 et 2020, nous avons eu un financement de la SATT AxLR pour faire la maturation d'une idée de robot assistant un chirurgien opérant sur une rétine. Nous avons travaillé sur le développement de ce nouveau robot et lorsque la startup a été créée, j'ai monté un dossier en tant que chercheur pour être en concours scientifique, c'est  à dire consultant longue durée.

Quels autres résultats le LIRMM a-t-il à son crédit en matière de robotique chirurgicale et sur quels projets travaillez-vous actuellement ?

Il y en a beaucoup. Je pourrais citer notre travail avec le CHU de Nîmes et la société Sterlab sur un robot destiné à faire de la destruction de calculs rénaux : nous avons réussi à transformer le geste manuel difficile en un geste assisté par robot... Nous menons actuellement un projet en médecine générative sur le traitement des brûlures. En 2002, nous avions conçu un robot capable de faire des prélèvements de greffons chez les grands brûlés, greffons utilisés ensuite pour recouvrir les plaies. Vingt ans plus tard, nous venons d'être contactés par la startup lyonnaise Lab Skin, spécialiste de la culture de cellules tissulaires, pour faire de la bioimpression, c'est-à-dire qu'on dépose des cellules tissulaires sur les plaies. Il faut donc être capable de reconstruire la topologie de la plaie en utilisant des capteurs de type camera 3D avec couleur et profondeur, et de déplacer le robot de manière autonome avec une très grande précision.

Sur le dernier volet, la microélectronique, quels sont les enjeux ?

Tester et garantir la fiabilité des circuits intégrés ou des systèmes embarqués avec un compromis le meilleur possible entre coût et efficacité. Nous travaillons également sur des systèmes embarqués adaptatifs qui permettent de garantir une meilleure efficacité énergétique. On est au cœur des enjeux de la transition énergétique.

Quelle est selon vous la spécificité du LIRMM ?

Le laboratoire se distingue par sa pluridisciplinarité, avec notamment des projets qu'il développe avec d'autres domaines tels que la santé, la biologie, l'agronomie... Cela favorise la production de résultats innovants souvent valorisés. D'ailleurs, à l'échelle nationale, le laboratoire est sans doute un des tous premiers en termes de créations et d'accompagnement de startups. Sur les cinq dernières années, nous en avons accompagné une trentaine.

Vous jouez donc un peu le rôle d'un incubateur ?

Oui, toutes les startups ont une interaction avec le laboratoire, soit sous la forme d'un contrat de collaboration, soit parce qu'elles ont été cofondées par des gens de chez nous. J'ai parlé d'AcuSurgical, mais on peut aussi évoquer Neurinnov, fabricant d'implants de neurostimulation, Zimmer Biomet (ex-Medtech, rachetée par l'Américain Zimmer Biomet, NDLR), fabricant de robots pour la chirurgie orthopédique, Neocéan et son bateau électrique Overboat, Pradeo qui développe des solutions de sécurité mobile, ou encore Anatoscope, deeptech proposant des logiciels pour reconstruire et simuler en 3D le corps du patient. En ce moment, nous hébergeons Ninja Lab qui travaille sur la sécurité des circuits, et Reeds, société de service de robotique sous-marine.

Quelle est votre vision prospective ?

Les projets en cours sont financés sur les trois à cinq ans à venir. On peut se donner rendez-vous dans dix ans et il est fort probable que nous parlerons des mêmes sujets, avec cependant une prise en compte très fortes des problématiques sociétales et environnementales. Car le LIRMM est aussi un laboratoire résolument engagé sur ces questions à travers les actions qu'il mène, notamment sur le développement durable, la médiation scientifique, l'égalité et la parité.

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