Crise et épuisement : les dirigeants de PME auront-il les capacités de rebond ?

La crise du Covid-19 menace l’économie mais aussi la santé mentale du chef d’entreprise. Une 2e enquête nationale de l'Observatoire Amarok confirme l’augmentation du niveau d’épuisement des dirigeants de TPE et PME, et pointe une vigilance entrepreneuriale en berne, qui pourrait bien obérer les conditions de la reprise économique. Décryptage.
Cécile Chaigneau
Selon l'enquête de l'Observatoire Amarok, 17,5% des dirigeants d'entreprises ressentaient un sentiment d'épuisement avant la crise en 2019, contre 36,7% aujourd'hui.
Selon l'enquête de l'Observatoire Amarok, 17,5% des dirigeants d'entreprises ressentaient un sentiment d'épuisement avant la crise en 2019, contre 36,7% aujourd'hui. (Crédits : DR)

Un niveau d'épuisement élevé jamais observé, une fatigue à un niveau record, l'émergence inédite d'un syndrome d'empêchement et une vigilance entrepreneuriale atrophiée qui pourrait obérer les conditions de la reprise économique.

Ce sont les grandes conclusions de l'enquête menée par l'Observatoire Amarok, basé à Montpellier et spécialisé sur la santé des dirigeants des TPE-PME, en partenariat avec le Labex Entreprendre de l'Université de Montpellier.

Baptisée « Entrepreneuriat français, relance économique et vaccination », cette 2e enquête nationale Covid-19, dont les résultats ont été dévoilés le 26 février, étudie l'état de santé (et surtout le niveau d'épuisement) des dirigeants d'entreprises un an après le début de la crise Covid-19, et interroge leur capacité de rebond.

La menace du burn-out

« Parmi les dangers en termes de santé mentale, c'est le risque d'épuisement qui est le plus massif », souligne Olivier Torrès.

Le risque d'épuisement professionnel (burn-out) est en effet une menace qui enfle dans les entreprises, tant chez certains salariés qui ont augmenté leur charge de travail en télétravail, que chez les dirigeants de TPE-PME qui, pour certains, se sont vus contraints de réduire voire de stopper leur activité.

Sur la base d'un échantillon représentatif des chefs d'entreprise en France constitué en mars 2019 (1.490 répondants dont 41,8% de femmes), l'étude établit des comparaisons avec un échantillon construit en avril 2020 (2.297 répondants dont 38,6% de femmes) et un autre en janvier-février 2021 (1.065 répondants dont 41,8% de femmes).

Selon cette deuxième enquête, il apparaît clairement que le niveau d'épuisement des dirigeants a augmenté.

« 17,5% des répondants ressentaient un sentiment d'épuisement avant la crise en 2019, 34,65% en avril 2020 et 36,7% aujourd'hui, autrement dit, on a doublé, décrit Olivier Torrès. Quant à ceux qui sont en danger de burn-out et qui auraient besoin d'aide, ils sont passés de 1,75% à 9,18 puis10,41% aujourd'hui. »

Selon lui, les dirigeants d'entreprises les plus âgés et les hommes présentent moins de prévalence au risque d'épuisement professionnel, « ce qui ne veut pas dire que les femmes font plus de burn-out : elles sont plus exposées à l'épuisement mais les hommes sont plus exposés à une attitude de cynisme (envers le travail, les collègues et/ou la clientèle, NDLR), l'une des trois caractéristiques du burn-out avec l'épuisement et la perte d'efficacité ».

Syndrome « colin-maillard »

Outre une augmentation du niveau de l'épuisement professionnel, l'enquête constate que la nature de l'épuisement s'est transformée : l'épuisement lié à une suractivité a muté en un épuisement d'empêchement avec une exacerbation du sentiment d'impuissance (à même d'altérer la capacité d'initiative future) et du sentiment d'être coincé.

« Les chefs d'entreprises sont plutôt une population hyper active, avec une forte internalité, c'est à dire le sentiment qu'on maîtrise son destin, explique Olivier Torrès. La seconde vague a suscité un confinement moins contraignant, avec possibilité d'agir malgré les couvre-feux. Pour autant, aujourd'hui, ils se débattent avec une lisibilité faible et une incertitude systémique. »

L'universitaire soumet une image : les chefs d'entreprises se débattent les yeux bandés dans un espace parsemé d'obstacles, sorte de syndrome « colin-maillard », altérant l'image de soi et occasionnant une fatigue record durant cette seconde vague.

« La relance, ce n'est pas que de l'argent »

L'universitaire pose alors la question de l'impact que pourrait avoir cet état d'épuisement et d'empêchement sur la relance économique.

« On s'appuie sur le concept de la vigilance entrepreneuriale, c'est à dire la capacité d'un individu à identifier et saisir des opportunités, précise-t-il. Ce processus se nourrit de trois phases : la recherche d'information, la production d'idées nouvelles, et l'évaluation et le jugement pour passer de l'idée à l'opportunité. Or aujourd'hui, on constate une distorsion de la vigilance entrepreneuriale des dirigeants, caractérisée par un affaissement de la dernière phase. Et c'est un danger pour l'économie. Le sentiment d'impuissance a un impact positif sur la recherche d'information, mais un effet régressif sur la phase d'évaluation des opportunités. Or la relance économique, ce n'est pas que de l'argent, il faut des hommes et des femmes capables de transformer l'argent en projets d'opportunité pour créer de la croissance et de l'emploi. »

Car un problème de santé chez un dirigeant peut impacter immédiatement le système de gestion d'une petite entreprise.

Le rapport existentiel des entrepreneurs à leur travail

Les capacités à rebondir des petites entreprises pourrait donc être affectées. Or Olivier Torrès insiste sur un fait, « trop souvent occulté par les économistes » selon lui : « les PME, pris dans leur diversité, représentent 10 millions d'emplois lorsque les grands groupes occupent 4,5 millions d'emplois et la fonction publique 5,6 millions ».

Enfin, l'étude révèle que le risque de dépôt de bilan est plus nocif pour les dirigeants que la perspective de contracter une forme grave du Covid-19, « ce qui ne fait que confirmer le rapport existentiel que les entrepreneurs vouent à leur travail et à leur entreprise ».

D'ailleurs, si l'annonce de l'arrivée sur le marché du premier vaccin a été unanimement saluée par le monde économique et si la vaccination reste porteuse d'espoir, son impact sur l'état de santé du chef d'entreprise est « neutre, peu significative », rapporte Olivier Torrès.

« Selon différents facteurs, plus le chef d'entreprise a de salariés, et donc de responsabilité sociale, et plus il est investi dans le capital de son entreprise, plus son intention d'aller se faire vacciner est forte », précise-t-il.

Aller chercher de l'aide

Une fois le diagnostic de l'épuisement professionnel posé, qu'en faire ? Car l'on sait par expérience qu'aller chercher de l'aide quand il est en difficulté n'est pas naturel pour le chef d'entreprise. Le peu d'appels sur les différents numéros verts mis en place le prouvent...

Les chefs d'entreprises qui ont répondu à l'étude de l'observatoire Amarok et qui sont en souffrance aujourd'hui vont-ils chercher de l'aide ? L'étude ne répond pas à la question. Mais Olivier Torrès évoque deux pistes.

La première est la stratégie de "sentinellisation" de l'écosystème entrepreneurial, comme la démarche mise en œuvre depuis plusieurs années par le réseau APESA-France, avec des sentinelles exercent un rôle de "capteurs" de proximité et établissent une fiche d'alerte en cas de détection de souffrance d'un dirigeant.

« De la main tendue à la main saisie »

L'autre stratégie consiste à interroger le dirigeant d'entreprise directement. L'Observatoire Amarok vient de lancer et expérimente actuellement un outil numérique d'évaluation de la santé des dirigeants, baptisé Amarok e-santé, doté d'un système intégré de dépistage du risque du burn-out. Les dirigeants répondent à un questionnaire de 58 questions portant sur les événements de vie professionnelle positifs et négatifs auxquels ils ont été confrontés, et obtiennent des scores de stress et de satisfaction au travail calibrés et validés par l'Observatoire Amarok.

En fonction du résultat global, le chef d'entreprise est guidé vers des tests rapides et appropriés, et si et seulement si c'est nécessaire, lorsqu'un seuil d'alerte est atteint, le dirigeant reçoit une invitation à contacter un service d'écoute.

« L'Agefice (Fonds d'Assurance Formation du Commerce, de l'Industrie et des Services, NDLR) va utiliser cet outil, ainsi que tous les services de santé au travail de l'Occitanie, annonce Olivier Torrès. Il va être envoyé aux chefs d'entreprises par mail, et je fais le pari que s'ils se rendent compte que ça ne va pas, on passera de la main tendue à la main saisie. »

Une politique PMiste

Alors que la situation sanitaire n'affiche pas, pour l'heure, d'amélioration, que préconise l'universitaire ?

 « Le plus compliqué, c'est le stop and go, répond-il. L'épuisement risque de continuer à augmenter et donc le risque de burn-out aussi... Les pouvoirs publics ont mené une politique PMiste allant dans le bon sens, et les corps intermédiaires comme les chambres consulaires font aussi un travail remarquable. Mais mon petit doigt me dit qu'il va y avoir une campagne importante lancée par la DGE (direction générale des Entreprises, une direction du ministère de l'Économie et des Finances, NDLR) sur l'importance de rebondir et donc de se remettre en dynamique entrepreneuriale. »

Cécile Chaigneau

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