Arcadie : les six leçons de (presque) cinq années d’entreprise "libérée"

SERIE 1/2 – La petite entreprise familiale gardoise Arcadie, spécialisée dans les épices, les aromates et les plantes bios, a décliné les valeurs auxquelles elle croit jusque dans son mode de gouvernance. Il y a bientôt cinq ans, elle adoptait le fonctionnement de "l’entreprise libérée", impulsant un pilotage partagé. Pour quel bilan ? Manuel Brunet, co-dirigeant, témoigne.
Cécile Chaigneau
L'entreprise gardoise Arcadie, spécialisée dans les épices et les plantes médicinales bios, a adopté le mode de gouvernance d'entreprise libérée en juillet 2017.
L'entreprise gardoise Arcadie, spécialisée dans les épices et les plantes médicinales bios, a adopté le mode de gouvernance d'entreprise libérée en juillet 2017. (Crédits : Maxime Beaufey)

Trente-et-une années d'existence, presque cinq dans un fonctionnement dit « d'entreprise libérée ». En juillet 2017, l'entreprise gardoise Arcadie, spécialisée dans les épices, les aromates et les plantes bios, adoptait ce nouveau modèle de gouvernance, peu répandu mais qui correspondait davantage aux valeurs défendues par les dirigeants qu'un management pyramidal classique.

« L'idée est venue au moment du passage à 50 salariés, se souvient Manuel Brunet, co-dirigeant d'Arcadie avec son frère Mathieu Brunet et Laurence Tissier. Nous passions alors d'une petite entreprise familiale à une entreprise qui prend de l'ampleur, et nous ressentions le besoin de trouver une nouvelle efficacité, une autre organisation. Au regard des valeurs auxquelles on est attachés, de liberté, d'autonomie ou de responsabilité, nous n'imaginions pas fonctionner suivant un système hiérarchique pyramidal classique, par crainte de nous perdre dans des règlements, des sanctions, du management qui ne nous convenait pas... En France, on commençait à parler de l'entreprise libérée. Nous avons opté pour l'holacratie (fondée sur la mise en œuvre formalisée de l'intelligence collective, elle dissémine les mécanismes de prise de décision au travers d'une organisation d'équipes auto-organisées, NDLR), qui est une sorte de boîte à outil pour mettre en œuvre cette gouvernance partagée. »

En 2017, Arcadie employait 95 salariés, ainsi que cinq salariés pour la crèche d'entreprise et trois salariés à la ferme expérimentale. Aujourd'hui, les effectifs sont montés à 120, pour un chiffre d'affaires de 22,4 millions d'euros en 2021 (23,8 millions d'euros en 2020). Quand il se retourne, Manuel Brunet, l'une des chevilles ouvrières de cette évolution de gouvernance, est d'autant plus persuadé de ses bienfaits qu'il investit désormais également de son temps auprès du cabinet conseil Toscane Accompagnement (basé à Roubaix) en tant qu'accompagnateur de la transformation des organisations.

Pour quels résultats chez Arcadie ? Manuel Brunet se refuse à quantifier des résultats qui émaneraient de ce mode de fonctionnement, mais dégage quelques grandes observations faites depuis ces presque cinq années à co-piloter Arcadie de façon collective.

  • Le pari de la confiance

« C'est un parti pris difficile, celui de la confiance, et nous nous sommes faits accompagnés au début, mais nous avons lancé cette démarche avec une croyance : celle que c'est en offrant un contexte favorable à l'homme qu'il va pouvoir se déployer. On est aujourd'hui dans un monde déresponsabilisant, qui nous met en posture de victimes ! Or je pense que personne n'a envie qu'on lui dise quoi faire dans sa vie personnelle comme professionnelle, tout le monde est attaché à sa liberté... L'entreprise libérée est un cheminement permanent, mais le changement majeur, c'est d'amener chacun à prendre sa part de la responsabilité sur son périmètre de travail, de définir ses besoins individuels pour bien faire son travail. »

  • Du développement personnel à l'échelle de l'entreprise

 « C'était une prise de risque pas anodine. L'holacratie est un outil mais on travaille surtout sur les questions "qu'est-ce qui permet à la pointe de l'iceberg d'exister ?", "qu'est-ce que la partie immergée, c'est à dire la part de responsabilité individuelle ? ", "quelles sont les croyances limitantes ?"... Il y a un gros travail de l'invisible à mener, c'est à dire de développement personnel à l'échelle de l'entreprise. Aujourd'hui, je ne fais quasiment plus que de l'accompagnement des salariés, du coaching individuel ou collectif, de l'animation, par exemple quand on lance un projet, pour interroger les peurs, le sens, la joie... Cette année, on lance une réflexion sur la raison d'être de l'entreprise et tout le monde y travaille. Le dirigeant doit faire un pas de recul pour ne plus décider de tout et devenir un accompagnateur. »

  • Des accélérations

A priori, aucun regret ni envie de revenir à une gouvernance classique : « Nous n'avons pas eu de blocage ni d'envie de revenir en arrière. Il y a des vitesses de progression différentes selon les salariés, mais la transformation, c'est un processus pour aller un cran plus loin à chaque fois : on essaie, on refait, on prototype, on y revient. Mais ça ne ralentit pas la croissance de l'entreprise ! Au contraire, ça permet des accélérations : au lieu d'avoir un seul moteur, on a plusieurs moteurs dans chaque groupe, et on évite les longs process de prise de décisions ».

  • Des décisions évidentes

Justement, la question des décisions est un point d'orgue de l'entreprise libérée qui, en effet, se libère des atermoiements et multiples étapes qui mènent à la prise de décision finale et donc à l'action : « Ce que j'observe, c'est qu'on prend de moins en moins de décisions collectives car chacun prend ses décisions individuelles. Bien sûr, il faut continuer à faire de la prospective, à définir les grands enjeux, à piloter l'entreprise, mais quand il y a des décisions collectives à prendre, elles apparaissent quasi évidentes en raison de toutes les petites décisions qui ont été prises au niveau individuel. En sachant que pour des décisions qui vont avoir un impact sur les autres, chacun a la responsabilité d'aller consulter pour enrichir la réflexion ».

  • Apprentissage de l'autonomie

Comment cette transformation a-t-elle infusé auprès des salariés, eux qui ont dû embrasser ce mode de fonctionnement et à apprendre la délégation et l'autonomie ?

« Comme dans toute entreprise, des gens sont partis, mais ce fonctionnement laisse la place à différents degrés d'autonomie et de prise de responsabilités, note Manuel Brunet. Ce qui devient difficile, c'est de progresser dans l'entreprise sans vouloir progresser dans la prise d'autonomie. C'est pour ça qu'aujourd'hui, on se préoccupe d'aller soutenir la formation technique dans le métier mais aussi la progression personnelle car plus on progresse, plus il faut se confronter au fait qu'il n'y a pas un chemin tout tracé, qu'il n'y a pas une bonne et une mauvaise décision, comprendre qu'on est dans un système complexe, ouvert, ambigu, ce qui peut déstabiliser... De fait, ce mode de fonctionnement change les modes de recrutement. Aujourd'hui, on recrute des compétences métiers mais aussi beaucoup sur les postures personnelles, la sécurité intérieure, sur le lien qui va se faire avec les équipes. Donc ce sont les personnes qui vont travailler avec le candidat qui font le recrutement ensemble. »

  • Une entreprise autonome, souple, fluide

S'il doit définir un gain pour l'entreprise, c'est celui de l'autonomie que Manuel Brunet met en avant : « L'entreprise est moins dépendante de ses dirigeants, beaucoup plus autonome ! Cela nous a permis d'être une structure de 120 personnes avec beaucoup de souplesse, de fluidité, peu de processus et d'obligations. Les horaires sont adaptés à chacun, il y a de la consultation. C'est une entreprise vivante !  Durant la crise sanitaire, elle a fait preuve de beaucoup de résilience, d'engagement et peu de peur. C'est un fonctionnement très organique ».

Cécile Chaigneau

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