Pourquoi Arcadie porte le projet (un peu fou mais concret) d’un cargo porte-conteneurs à voile

SERIE 2/2 – Parce qu’elle défend des valeurs d’éthique et de responsabilité environnementale et sociale, la PME gardoise Arcadie, spécialisée dans les épices, les aromates et les plantes bios, porte le projet, un peu fou mais désormais concrètement lancé, de construire et d’affréter un cargo porte-conteneurs à voile. Il rouvrirait la route maritime directe entre Madagascar, où elle s’approvisionne majoritairement en épices, et la Méditerranée française. Matthieu Brunet, le président d’Arcadie, raconte.
Cécile Chaigneau
Le cargo porte-conteneur à voile qu'Arcadie veut faire construire serait un bateau d'au moins 60 mètres de long en capacité de charger quelque 1.000 tonnes de marchandises à raison de cinq ou six aller-retours par an entre Madagascar et la France.
Le cargo porte-conteneur à voile qu'Arcadie veut faire construire serait un bateau d'au moins 60 mètres de long en capacité de charger quelque 1.000 tonnes de marchandises à raison de cinq ou six aller-retours par an entre Madagascar et la France. (Crédits : DR)

Le projet semble un peu fou. Il est pourtant très concrètement engagé. L'entreprise Arcadie, basée à Méjannes-les-Alès (Gard) et spécialisée dans les épices, les aromates et les plantes bios (22,4 millions d'euros de chiffre d'affaires 2021), a lancé le projet de construction d'un cargo porte-conteneurs à voile pour transporter ses épices depuis Madagascar jusqu'en France et rouvrir ainsi une liaison maritime directe entre l'île rouge et un port françfais de la Méditerranée.

Un projet utopique ? Matthieu Brunet, président de cette PME de 31 ans (qui tourne selon les principes de l'entreprise libérée depuis 2017), ne nie pas la dimension un peu folle d'un tel projet ni le risque qu'il n'aboutisse peut-être pas dans la version imaginée, mais l'enthousiasme l'a emporté au sein des équipes d'Arcadie (120 salariés), portées par l'envie de faire correspondre des valeurs d'engagement écologique et éthique avec la réalité de leur activité.

Car c'est ce décalage dérangeant qui a été à l'origine du projet. Parmi les impulsions qui sont venues nourrir la réflexion, il y a en premier lieu l'impact négatif du transport, et notamment du transport maritime.

Esclavagisme moderne

« Au départ, il y a bien sûr le côté romantique du transport à la voile qui est historiquement très lié au transport des épices, mais c'était de l'ordre du fantasme durant des années, raconte aujourd'hui Matthieu Brunet, quelques semaines après avoir officialisé le lancement du projet. Mais il y a surtout une prise de conscience du côté polluant des porte-conteneurs modernes propulsés au fioul lourd. Il existe bien quelques pionniers du transport à la voile, mais qui se sont tous concentrés sur le transport transatlantique car il y a du bon vent. Personne ne va à Madagascar. »

Le dirigeant pointe un autre argument, l'aspect social : beaucoup de marins travaillent dans des conditions catastrophiques, notamment quand il s'agit de bateaux battant pavillon dans des pays où le droit social est défaillant.

« Le système des pavillons de complaisance permet d'embaucher les marins selon le droit du travail du pays le moins exigeant en la matière, explique Matthieu Brunet. Et l'opacité qui règne dans ce milieu ne permet pas de savoir ce qu'il en est réellement et de choisir les "bons" bateaux au moment où nos marchandises sont prêtes à être expédiées. Il y a alors quelque chose d'insupportable à imaginer que nos produits bio et équitables soient parties prenantes de ce qui s'apparente parfois à de l'esclavagisme moderne ! »

Enfin, Matthieu Brunet met sur la table une autre raison « qui a emporté le morceau » : « Depuis une dizaine d'années, il n'y a plus de ligne directe Madagascar-France, et les marchandises passent par l'Inde ou le Sri Lanka, ce qui fait un grand détour, mais ce ne serait pas si grave si notre conteneur n'attendait pas sur un port un temps indéterminé, jusqu'à ce qu'un porte-conteneur soit plein pour partir. Ce qui peut prendre deux ou trois mois sans qu'on le sache ! Avec un voilier, on peut faire la route en quatre semaines ! ».

L'enjeu : trouver d'autres chargeurs

Alors plutôt que d'attendre que quelqu'un propose du transport décarboné depuis Madagascar, Arcadie a imaginé avoir son propre bateau et s'est mis en relation avec l'entreprise Zephyr & Borée, basée à Nantes et Lorient, dont l'objectif est de développer le transport maritime à faible impact carbone. C'est elle qui, notamment, fait construire le Canopee, ce cargo de 121 mètres qui transportera les lanceurs d'Ariane 6 entre l'Europe et la Guyane.

« Nous réfléchissons actuellement au modèle économique, indique aujourd'hui Matthieu Brunet. Nous importons environ 300 tonnes d'épices depuis Madagascar chaque année, soit 25 containers. Ce qui ne suffit pas pour remplir un cargo à voile tel que nous l'imaginons, c'est à dire un bateau d'au moins 60 mètres de long transportant 1.000 tonnes de marchandises à raison de cinq ou six aller-retours par an. Tout l'enjeu est donc de trouver d'autres chargeurs dans le sens Madagascar-France, et pour le retour France-Madagascar. La question est donc de savoir si ces chargeurs peuvent supporter un surcoût en faisant jouer le délai plus court. Le temps, c'est de l'argent... D'autant que les prix de transport par conteneurs ont été multipliés par quatre ou cinq avec la crise Covid, ce qui les rapproche d'un coût de transport par cargo à voile. Nous avons commencé à aller voir des entreprises malgaches et nous avons de bons retours, dans les deux sens. Il y a un besoin énorme et en ce moment, les aspects écologie et décarbonation montent en puissance. Nous sommes convaincus que si nous avions le bateau aujourd'hui, on le remplirait sans problème. »

Alignement des planètes

Alors Arcadie et Zephyr & Borée avancent, sur les plans du bateau comme sur le financement.

« L'investissement pour construire un tel cargo à voile, c'est environ 20 millions d'euros, que nous financerons à 30% en capital, soit 2 millions d'euros pour Arcadie, précise Matthieu Brunet. Nous allons créer une Scic entre Arcadie, Zephyr & Borée, des investisseurs institutionnels et des particuliers via une campagne de crowdfunding que nous lancerons probablement au printemps... Nous recourrons aussi à de la dette bancaire. Nous espérons boucler le financement dans les six à dix mois pour pouvoir lancer la construction. »

Le président d'Arcadie mise sur un alignement des planètes : « On le fait parce qu'on y croit et parce qu'on voit bien que le transport maritime va devoir se décarboner. Il y a aujourd'hui une petite fenêtre pour se lancer, ce qui nous permettrait d'être quasi les premiers à participer à la décarbonation de ce secteur. Nous allons sûrement essuyer les plâtres, mais nous pensons que le jeu en vaut la chandelle ! ».

Cécile Chaigneau

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