Liquidation de Nino Robotics : chronique d’un combat

RÉCIT - Après huit années de bataille, de victoires et de coups du sort, l’entreprise héraultaise Nino Robotics, qui avait développé le Nino, un fauteuil roulant revisité et modernisé pour personnes à mobilité réduite, a été liquidée le 8 avril dernier. Pierre Bardina, son fondateur, a accepté de revenir, pour La Tribune, sur les raisons de cet échec.
Cécile Chaigneau
Fin 2014, Pierre Bardina avait créé Nino Robotics, qui avait notamment développé des transporteurs personnels assis.
Fin 2014, Pierre Bardina avait créé Nino Robotics, qui avait notamment développé des "transporteurs personnels assis". (Crédits : Nino Robotics)

« Les difficultés d'une entreprise ne sont jamais uniques », rappelle Jean-François Blanc, administrateur judiciaire à Montpellier, qui a suivi le dossier de Nino Robotics.

Dans son histoire, l'entreprise héraultaise Nino Robotics aura cumulé plusieurs problèmes qui, individuellement, auraient pu la mener à l'échec... Le 8 avril dernier, la liquidation était prononcée. Clap de fin sur près de huit années de bataille, de victoires et de coups du sort.

Pierre Bardina crée Nino Robotics fin 2014, à Saint-Jean-de-la-Blaquière. L'entreprise conçoit un fauteuil  roulant électrique deux-roues que le dirigeant, dès le début, présente comme un « transporteur personnel assis » pour contourner la connotation négative du fauteuil roulant liée au handicap... Si Nino Robotics s'adresse bien sûr aux paraplégiques, elle veut aussi proposer une solution à toutes les personnes ayant des problèmes pour se déplacer, « les mal-marchant », comme les appelle Pierre Bardina, lui-même se déplaçant dans un fauteuil.

Dans ce concept, le design est capital : Nino Robotics dépoussière le fauteuil roulant et le dote de nouvelles technologies, comme celle de l'auto-balancement (utilisé par le SegWay, notamment) ou plus tard de l'intelligence artificielle embarquée, espérant ainsi donner une autre image de son utilisateur et changer les regards sur le handicap. L'innovation développée par Nino Robotics reçoit plusieurs prix.

Rapidement l'entrepreneur pense aussi adresser les parcs naturels ou les parcs de loisirs, imaginant offrir une alternative de mobilité pour toutes les personnes ayant des difficultés à se déplacer. Dès 2017, Pierre Bardina a une conviction concernant les mobilités futures : « Les constructeurs automobiles savent qu'à moyen ou long terme, la circulation des voitures finira par être interdite dans les villes. Le besoins de déplacement se reporteront alors sur des solutions de transport personnelles ».

La PME vend en Europe, aux États-Unis ou en Argentine. Et Pierre Bardina, qui dit croire beaucoup à la petite réindustrialisation, s'accroche à son objectif d'« être créateur d'emplois dans mon bassin d'origine ». L'entreprise emploiera jusqu'à une dizaine de salariés.

« Le chiffre d'affaires a plongé »

La première difficulté, et pas des moindres, qui va faire flancher Nino Robotics, c'est un problème avec son actionnaire, le fonds familial Big Robots, importateur pour la France de la motorisation mise au point par l'entreprise chinoise Ninebot, qui servait de base à son fauteuil, le Nino.

« Big Robots était dirigé par Norbert Ducrot, ancien président d'Airbus Hélicoptère en Chine, qui avait donc une bonne expérience des entreprises chinoises, raconte aujourd'hui Pierre Bardina à La Tribune. Big Robots est  devenu actionnaire dès 2015. On est allé au CES de Las Vegas pour présenter des prototypes et un mois après, j'étais en Chine pour discuter avec le P-dg de Ninebot... Mais il y a immédiatement eu un premier malaise : Ninebot était sur le développement de sa propre gamme et sur le rachat de Segway, et ce marché des "mal-marchant" n'était pas très visible. Mais on a quand même avancé jusqu'en 2017 avec une croissance respectable : on est passé de 300.000 à presque un million d'euros de chiffre d'affaires. »

Mais le dirigeant se souvient que les tensions avec Big Robots s'accroissent avec la levée de fonds que réalise Nino Robotics en 2017, 1,4 millions d'euros auprès d'Alter Equity...

« Au premier semestre 2018, on a sorti la roue motorisée One (à adapter sur un fauteuil roulant manuel, NDLR) mais on est arrivé un peu tard sur un marché déjà concurrentiel, explique Pierre Bardina. Au printemps 2018, nous avons rencontré une importante problématique d'après-vente avec le Nino : il y avait un défaut de boîtes de vitesse qui rendait l'appareil dangereux. Entre temps, notre associé Big Robots avait perdu la commercialisation de Ninebot. Je me suis donc retrouvé seul avec les Chinois, à gérer les défauts tout seul, un par un, en rapatriant les fauteuils défectueux en France pour les réparer et les renvoyer, tout ça à nos frais. Les Chinois ne voulaient pas reconnaître le défaut de boîte de vitesse ni intervenir. Le chiffre d'affaires a plongé... »

« Plus de son, plus d'image »

En 2019, alors que la PME adressait jusqu'alors essentiellement les marchés de distributeurs de matériels médicaux, le dirigeant annonce un changement de modèle économique à la faveur notamment de nouveaux partenariats commerciaux et imagine d'autres canaux de distribution.

L'entreprise discute alors avec Aéroports de Paris, qui gère les aéroports de Roissy-Charles de Gaulle et d'Orly, mais aussi 26 autres aéroports en France, et réfléchit au marché de l'assistance.

« Comme nous avons été primés au Paris Air Forum en 2018, on nous a demandé de travailler sur le concept d'assistance pour les personnes handicapées, les séniors, etc. Nous allons procéder à une expérimentation, et c'est sûr, nous ferons partie de l'aventure », témoignait alors Pierre Bardina, optimiste.

Mais fin 2019, le Covid déferle sur le monde. Les voyages sont brutalement interrompus et les aéroports désertés. Pierre Bardina se souvient : « Du jour au lendemain, plus de son, plus d'image ».

A ce moment-là également, le groupe automobile Renault, qui s'intéresse aux mobilités futures, entre en contact avec Nino Robotics.

«  Après un an et demi de discussions, fin 2019, Renault n'est finalement pas entré au capital mais a pris des actions convertibles : j'avais mis le pied dans la porte ! L'idée était de faire entrer les produits de Nino Robotics dans les concessions Renault. Mais en 2021, alors qu'on commence à faire des tentatives, j'ai senti que les forces de vente de Renault n'étaient pas formatées pour vendre autre chose que des véhicules. Par ailleurs, l'affaire Carlos Ghosn a gelé beaucoup de choses et leur horloge n'était pas la même que la nôtre... Nous avons aussi travaillé avec Eiffage qui recherchait des moyens de locomotion propres pour des projets dans les aéroports ou dans le cadre de smart-city ou d'écoquartiers, mais les propositions n'ont pas abouti. »

« Il nous aurait fallu plus de temps »

Avec le recul, Pierre Bardina le concède : « Il nous aurait fallu plus de temps »...

« Une vraie question persistera : Pierre Bardina avait-il la bonne lecture mais trop tôt ?, interroge Jean-François Blanc. Je pense qu'en effet, il est arrivé un peu trop tôt sur cette fenêtre de tir, et n'a pas eu le temps et ni les moyens financiers pour remporter l'adhésion des grands groupes. »

D'autant que parallèlement, Pierre Bardina affronte de gros problèmes de santé et un terrible drame personnel : « Fin 2019, on diagnostique ma maladie et je suis hospitalisé. Evidemment, cela met un grand coup d'arrêt à mes activités professionnelles. Durant le premier semestre 2020, je vais mal physiquement. Et en juillet 2020, ma sœur est assassinée par son compagnon. Ça a cassé quelque chose et a précipité l'histoire de Nino Robotics. Je n'avais plus la force ni l'envie de continuer. Dans cette situation, toutes vos capacités intellectuelles et d'action vous abandonnent... On a cherché, sans trouver, une solution de remplacement, quelqu'un qui aurait été capable d'épouser mes convictions et de piloter la barque ».

L'administrateur judiciaire livre son analyse : « Le temps des grands groupes est effectivement souvent décalé avec celui des PME innovantes. Avec Renault, il y avait pourtant une vraie réalité... Mais le partenaire chinois de Nino Robotics, qui était omniprésent au début, n'a pas tenu ses promesses, ce qui n'a pas permis de conforter le fonds Alter Equity. Et ce qui a fait que ni Alter Equity ni Renault n'abondent, c'est aussi qu'à un moment, les produits de Nino Robotics se sont avérés moins innovants qu'annoncés en raison de la concurrence qui s'était développée. Alter Equity est pourtant resté très présent durant la procédure, et Renault a réellement essayé de trouver des solutions, notamment via des appels à projets mais les délais de réponse étaient de plusieurs mois et Nino Robotics n'avait aucune certitude de les remporter. Renault a aussi proposé de mettre gratuitement à disposition de Nino Robotics des compétences de salariés pour venir en appui de Pierre  Bardina sur le développement des projets mais dans une PME, si le porteur du projet n'est plus en capacité d'être en première ligne, c'est très difficile de trouver quelqu'un... Le timing était déconnecté de notre réalité, surtout dans une entreprise dont l'environnement se dégrade très vite...  »

« On est allé au bout de tout »

En 2021, le mandat ad hoc est déclenché, à l'issue duquel Pierre Bardina demande le placement de son entreprise en redressement judiciaire.

« Ma principale erreur aura été de confondre les horloges et de penser que celle des grands groupes serait la nôtre, analyse Pierre Bardina aujourd'hui. En réalité, il ne suffisait pas de convaincre les dirigeants, il fallait qu'ils mettent les choses en place et tout cela se faisait trop lentement pour Nino Robotics. J'ai été trop candide... Et là-dessus, le Covid a figé les choses pendant deux ans ! ».

Jean-François Blanc ajoute : « Je pense que le Covid a été un accélérateur de quelque chose d'inéluctable. S'il n'y avait pas eu la pandémie, il aurait peut-être eu plus de temps pour commercialiser ou pour convaincre... Une partie des dettes était arrivée à échéance chez Renault, dont on aurait probablement pu obtenir de décaler le remboursement de quelques mois, mais pour quoi faire ? Pierre Bardina n'était pas physiquement et psychologiquement en état de trouver des solutions. Or dans ce type de PME, c'est le dirigeant qui trouve des solutions. Le redressement judiciaire lui permettait de chercher un repreneur. Il y a eu deux marques d'intérêt mais finalement, aucune offre de reprise n'a été formulée. On est allé au bout de tout... »

Pierre Bardina avait même envisagé de monter une Scop avec l'équipe qui l'accompagnait, mais sans lui : « Ça leur semblait trop compliqué... », se souvient-il. La liquidation était prononcée le 8 avril 2022.

Pierre Bardina raconte son histoire sobrement, sans animosité aucune, à peine une amertume, lucide. Sur son compte Linkedin, il a écrit : « La liquidation judiciaire est très souvent assimilée à une défaite, un échec, une petite mort dans le monde de l'entreprise, un boulet qu'on va trainer. Il n'en est rien. Pas de succès sans défaite. Très prochainement, un podcast sera consacré à l'aventure de Nino Robotics, mais pas seulement ».

Cécile Chaigneau

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