Artisanat en Lozère : les inquiétudes que masquent les bons chiffres des créations d’entreprise

Derrière les cocorico, se nichent parfois des revers de médaille pas immédiatement visibles mais à considérer… Selon le dernier baromètre ISM (Institut supérieur des métiers)-MAAF, les chiffres de la création d’entreprises dans l’artisanat en 2021 attestent d’un fort dynamisme en Occitanie (plus qu’au niveau national), en particulier en Lozère. Le département a enregistré une augmentation de 68% du nombre de créations d’entreprises artisanales, soit la meilleure performance à l’échelle nationale. Si elle s’en réjouit, Florence Vignal, présidente de la chambre de métiers et de l’artisanat de Lozère, y voit possiblement l’arbre qui cache la forêt. Et donne l’alerte.
Cécile Chaigneau
L'artisanat retrouve des lettres de noblesse et les territoires ruraux sont les grands gagnants de la création d'entreprises artisanales, notamment la Lozère, en Occitanie.
L'artisanat retrouve des lettres de noblesse et les territoires ruraux sont les grands gagnants de la création d'entreprises artisanales, notamment la Lozère, en Occitanie. (Crédits : DR)

Plus de 28.200 entreprises artisanales ont été créées dans la région Occitanie en 2021, soit une augmentation de 23% par rapport à 2019 (+ 5.290 entreprises). Des chiffres publiés par le dernier baromètre ISM (Institut supérieur des métiers)-MAAF de l'artisanat  et qui attestent d'un dynamisme certain de l'entrepreneuriat artisanal dans la région, plus qu'au niveau national (+13%).

« La crise sanitaire, qui a pourtant lourdement et durablement affecté l'économie, n'a en rien entamé la motivation des Français désireux de se lancer dans l'entrepreneuriat artisanal, observe Marielle Vo-Van Liger, directrice Marketing et communication à la MAAF. Cette dynamique favorable témoigne de l'attrait toujours intact du secteur de l'artisanat et de la force des vocations qu'il suscite. C'est en particulier le cas dans les communes rurales où la création d'entreprises a connu une belle envolée et participe pleinement à la quête de redynamisation de ces territoires. »

Cette dynamique rurale se démarque principalement dans un département en Occitanie : la Lozère, qui enregistre l'augmentation la plus spectaculaire des créations d'entreprises artisanales en 2021 en région mais aussi à l'échelle nationale : +68% par rapport à 2019.

Viennent ensuite l'Ariège (+40%, 850 entreprises), le Gers (+38%, 860 entreprises), des Pyrénées-Orientales (+31%, 2.400 entreprises), du Lot (+31%, 760 entreprises), de l'Aveyron (+29%, 970 entreprises), du Gard (+27%, 3.790 entreprises), du Tarn-et-Garonne (+26%, 1.230 entreprises), de la Haute-Garonne (+23%, 6.840 entreprises) et du Tarn (+21%, 1.570 entreprises). L'Hérault (+17%, 6.180 entreprises), les Hautes-Pyrénées (+ 16%, 940 entreprises) et l'Aude (+5 %, 1.600 entreprises) ferment la marche.

La légendaire plus grosse densité artisanale de France

En Occitanie, si tous les départements sont concernés par la hausse des immatriculations d'entreprises artisanales, ce sont les petites villes et les communes rurales qui ont enregistré la plus forte augmentation des créations d'entreprises artisanales. Une tendance que le baromètre observe sur l'ensemble du territoire français.

Pour Florence Vignal, boucher-charcutier-traiteur à Grandrieu (au nord de la Lozère) et présidente depuis 2016 de la chambre de métiers et de l'artisanat (CMA) de Lozère, ce phénomène de dynamique rurale n'est pas surprenant puisque « l'entreprise artisanale, c'est le modèle économique du milieu rural », souligne-t-elle, rappelant que la Lozère compte aujourd'hui 2.456 entreprises.

« 31% des entreprises artisanales sont situées en milieu rural, rappelle-t-elle. Ces 68% d'augmentation de créations d'entreprises, c'est beaucoup et c'est vrai que, ramené à la population du département, ça correspond à la légendaire plus grosse densité artisanale de France. En 2021, on a aussi enregistré 172 radiations d'entreprises, ce qui fait malgré tout un solde positif de 140 entreprises. Ce solde est positif depuis 2018. »

Florence Vignal, présidente de la Chambre de métiers et de l'artisanat de Lozère

Florence Vignal, présidente de la Chambre de métiers et de l'artisanat de Lozère.

Changement de vie

Le baromètre ISM-MAAF indique deux facteurs qui peuvent expliquer ce dynamisme de l'entrepreneuriat artisanal dans les milieux ruraux : « D'abord, le départ de citadins vers les campagnes et le développement du télétravail, conséquences de la crise sanitaire. De nombreux Français ayant souffert des confinements en ville ont fait le choix de s'installer à la campagne. Cela a dynamisé les marchés locaux. Certains d'entre eux y ont sans doute développé une activité artisanale, notamment dans les activités de fabrication (+37% dans les communes rurales) et d'alimentation (+24%) ».

« On a observé l'arrivée de citadins mais pas de façon si massive que ça, même si les collectivités et l'Etat mettent de gros moyens sur les politiques d'attractivité sur ce territoire, analyse, quant à elle, Florence Vignal. Je mettrais davantage cette dynamique sur le compte du changement de vie de beaucoup de salariés qui, durant le confinement, étaient en quête de sens et ont envisagé la suite de leur carrière professionnelle de manière différente. »

Géographiquement, la dynamique lozérienne de création d'entreprises artisanales s'affiche d'abord dans le sud de la Lozère, « dans les Cévennes où sont installés les publics néo-ruraux, des gens qui veulent travailler seuls », indique Florence Vignal, puis à Mende et sur la communauté de communes alentours, « là où on trouve encore du foncier d'entreprise dynamique ».

Réparation, services et transport

Sur les quelque 300 activités qui composent le secteur de l'artisanat, dix grands secteurs de l'artisanat du bâtiment et des services représentent, en Occitanie, près de la moitié des créations d'entreprises artisanales en Occitanie, qui enregistrent quasiment tous une augmentation des immatriculations - pour atteindre des niveaux supérieurs à ceux de 2019 - à l'exception des travaux de peinture. Les hausses les plus fortes concernent les activités de nettoyage de bâtiment (+50%) et les soins de beauté (+40%).

« La crise sanitaire et les confinements successifs ont conduit de nombreux Français à se questionner sur leur carrière professionnelle et à faire le choix de se réorienter vers des métiers de passion comme le sont les métiers d'art », analyse Catherine Élie, directrice des études de l'Institut Supérieur des Métiers.

Florence Vignal précise qu'en Lozère, « les entreprises artisanales sont réparties en quatre secteurs d'activité : 50% dans les métiers du bâtiment, 20% dans les métiers de services, 15% dans l'alimentaire, et le reste dans les métiers de la fabrication comme les scierie, les ferronniers ou les couturières ». Les nouvelles entreprises créées en 2021 ne suivent cependant pas tout à fait cette répartition : « Elles se situent plutôt dans la réparation, les services et le transport, puis dans le bâtiment, et enfin dans l'alimentaire ».

La relève n'est pas assurée

Si elle se réjouit de cette belle performance en création d'entreprises artisanales, la présidente de la chambre de métiers et de l'artisanat veut toutefois pondérer la performance.

« Parmi ces nouvelles entreprises, on a 75% de micro-entreprises (ex-auto-entreprises, NDLR), décrypte-t-elle. Ce statut permet de tester un marché, le monde de l'entreprise mais doit rester provisoire car il impose un chiffre d'affaires limité, ne donne pas accès à des financements bancaires, ne permet pas d'embaucher ni de former des apprentis. Et j'alerte sur le fait qu'il déshabille la main d'œuvre des entreprises. Or en Lozère, nous n'avons pas un vivier de population suffisant pour la remplacer. »

Autre revers de la médaille, qui viendra alimenter la crise de la main d'œuvre : puisqu'elles ne peuvent pas former d'apprentis, les micro-entreprises ne permettront pas d'assurer la relève.

« Nous avons de grosses inquiétudes pour nos centres de formation d'apprentis et j'alerte tout le monde : l'Etat met en place des dispositifs sur l'apprentissage, le discours sur l'artisanat évolue dans les esprits, mais on n'aura plus de maîtres d'apprentissage pour les former, et on va droit dans le mur, pointe Florence Vignal. C'est donc une bonne chose que l'artisanat et l'entrepreneuriat attirent mais ça peut être l'arbre qui cache la forêt... »

La présidente de la CMA de Lozère rappelle un contexte, peu rassurant : « La crise de 2008 a commencé à se faire sentir en Lozère en 2011, les entreprises ont arrêté de former. Or il faut compter sept ans pour former un apprenti : on a donc eu une génération creuse, qui n'a pas été formée. Et quand une partie des salariés veulent voler de leur propres ailes, c'est la double peine... ».

Quelle viabilité économique ?

Toutefois, avant de savoir si ces nouvelles entreprises pourront former un jour, il faut considérer l'épée de Damoclès qui flotte au-dessus de leur tête en termes de viabilité économique...

« Il y a quand même eu 172 radiations en 2021, et pas forcément pour des motifs financiers mais souvent parce que le côté administratif pêche chez les artisans, et c'est encore plus prégnant dans la micro-entreprise », souligne Florence Vignal.

D'autant que les nouveaux artisans ne sont, pour la plupart, pas passés par la case chambre de métiers et de l'artisanat car immatriculés de façon dématérialisée via l'Urssaf.

« L'obligation de faire un stage de préparation à l'installation a été abrogée par la loi PACTE alors que cette étape permettait de mettre en place un parcours pour se renforcer sur ses points faibles si nécessaire, déplore Florence Vignal. C'est notre mission d'accompagner les entreprises en création et de détecter les signaux faibles. Nous allons mettre en place une nouvelle politique de communication pour être plus visible. Ce statut de micro-entreprise a donné l'illusion que créer une entreprise était facile or la stratégie ne s'improvise pas. Il faut les accompagner vers le statut plus protecteur de l'entreprise individuelle. Je lance un appel à ces micro-entrepreneurs et les invitent à se rapprocher de leur chambre de métiers pour évoluer et progresser. »

Cécile Chaigneau

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