Entrepreneuriat : quand la "startup nation" plafonne…

Le rapport Global Entrepreneurship Monitor (GEM) analyse l’activité entrepreneuriale et formule des préconisations à l’attention des décideurs politiques pour la dynamiser. Ce qu’il ressort de la dernière enquête, dévoilée le 13 octobre par le Labex Entreprendre à Montpellier : malgré les politiques incitatives et la bonne image des entrepreneurs dans la population, un retard certain de l'entrepreneuriat au pays de la "startup nation", et notamment de l’entrepreneuriat féminin, ou encore un décalage entre discours et actes s’agissant d’engagements sociaux et environnementaux.
Cécile Chaigneau
Le Global Entrepreneurship Monitor (GEM) prend chaque année le pouls de l'activité entrepreneuriale dans le monde.
Le Global Entrepreneurship Monitor (GEM) prend chaque année le pouls de l'activité entrepreneuriale dans le monde. (Crédits : DR)

Où en est l'activité entrepreneuriale
en France après le choc de la crise sanitaire ? La France est-elle en route vers une société entrepreneuriale ? Quelles sont les principales motivations
des créateurs et des créatrices d'entreprises ? La culture française est-elle un frein à l'entrepreneuriat féminin ? Les actions des entrepreneurs en faveur du développement durable sont-elles à la hauteur de leurs discours ? Enfin, entreprendre est-il bon pour la santé aujourd'hui ?

Ce sont les questions posées par le Global Entrepreneurship Monitor (GEM) pour son rapport prenant chaque année le pouls de l'activité entrepreneuriale, chaque pays membre du consortium GEM menant une enquête annuelle auprès d'un échantillon  d'au moins 2.000 personnes. En 2021, le LabEx Entreprendre de Montpellier (200 chercheurs issus de six équipes de recherche, seul Labex en France dédié à l'entrepreneuriat dans le domaine "droit, économie et gestion") a été choisi pour représenter la France (absente depuis 2016) dans le GEM.

Le GEM 2020-2021 était présenté, le 13 octobre, par les deux responsables scientifiques de l'équipe GEM France et membres du Labex Entreprendre : Frank Lasch, professeur à Montpellier Business School, et Karim Messeghem, professeur des universités à l'Université de Montpellier.

Les équipes du Labex Entreprendre ont enquêté auprès de la population (de 18 à 64 ans) mais aussi d'un panel d'experts. Ces deux études, réalisées dans un contexte de crise sanitaire (au printemps 2021) permettent d'évaluer les effets de cette crise notamment sur les attitudes, les intentions et les comportements entrepreneuriaux en France.

L'entrepreneuriat valorisé

L'étude auprès de la population montre que l'entrepreneuriat s'impose aujourd'hui dans la société comme un choix de carrière souhaitable (68,5%), une majorité pensant qu'il confère un statut social élevé (55,4%).

« La France se distingue, notamment par rapport aux pays du G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni et Union européenne, NDLR) sur la vision positive de l'entrepreneuriat, souligne Karim Messeghem. Ce très bon score est notamment à mettre en relation avec la valorisation de l'entrepreneuriat dans les médias (75,9%). Contrairement à ce qu'on pense, la peur de l'échec ne constitue pas réellement un frein... Près de la majorité des personnes interrogées a le sentiment de disposer des compétences pour se lancer. En termes de motivations, l'entrepreneuriat de nécessité est très prégnant et peut être mis en relation avec la part croissante en France du micro-entrepreneuriat : ainsi, 51,2% des entrepreneurs se lancent pour gagner leur vie, car les emplois sont rares. Toutefois, près de 40% créent une entreprise pour obtenir un revenu très élevé... La motivation pour perpétuer une tradition familiale, qui était importante, diminue et ne représente que 22,9% des entrepreneurs en France, contre 41,5% aux Etats-Unis et 50% au Canada. Quant à la volonté d'avoir un impact positif sur le monde, elle n'est exprimée en France que par 25,8% des entrepreneurs interrogés, contre 71,2% aux Etats-Unis et 70,4% au Canada. »

Karim Messeghem conclut que « les voyants sont au vert et attestent que la transformation a bien eu lieu ». Et pourtant...

La France en dernière position des pays du G7

Pourtant, globalement, l'entrepreneuriat français a pris du retard.

16,9% de la population annonce une « intention d'entreprendre » (17,6% en 2017) contre 14,1% dans les pays du G7. Le pourcentage de l'activité entrepreneuriale émergente (entrepreneur naissant et nouveau, moins de 42 mois d'activité rémunérée) a quant à lui progressé significativement en dix ans, passant de 5,2% à 7,7% (10,7% pour le G7).

« Mais sur l'entrepreneuriat émergent, la France se situe très en retrait vis-à-vis du Canada (20,1%), des Etats-Unis (16,5%) et du Royaume-Uni (12,6%), souligne Karim Messeghem. Et la France figure en dernière position des pays du G7 pour la part des entrepreneurs établis (3,6%, contre 5,7% pour le G7 et 9% pour les Etats-Unis). »

L'entrepreneuriat hybride qui consiste à créer son entreprise tout en étant salarié se développe, puisque 3,8% de la population interrogée se trouve dans cette situation qui permet de réduire le risque.

L'entrepreneuriat encore stéréotypé "masculin"

Le total de l'activité entrepreneuriale est de 8,4% pour les hommes et de 7,1% pour les femmes. Si cet écart reste le plus faible au regard d'autres pays du G7 comme le Canada ou le Royaume-Uni, « il interroge sur une absence de parité persistante, d'autant que la France est en retard par rapport aux autres pays du G7 pour le taux d'entrepreneures établies qui ne se situe qu'à 2,9% contre 7,6% aux États-Unis ou 6,6% au Canada », analyse le GEM.

« Les experts mobilisés pour apprécier l'écosystème entrepreneurial considèrent que le soutien dont bénéficient les entrepreneures est assez moyen, même si les conditions sont encore moins favorables dans les autres pays du G7, poursuit le rapport. La culture nationale ne semble pas très propice, dans la société, l'entrepreneuriat étant encore stéréotypé comme "masculin". L'accès au financement ne ressort pas comme un frein selon les experts qui soulignent un accès égalitaire. Il est possible que l'accès au financement bancaire soit devenu plus aisé du fait des obligations d'un suivi statistique de la répartition des financements octroyés entre femmes et hommes. »

Frank Lasch fait observer que « la peur de l'échec est toujours plus élevé chez les femmes et le sentiment de compétence pour créer une entreprise est toujours plus faible que chez les hommes... Si elles déclarent savoir mieux dénicher de nouvelles opportunités, elles les exploitent moins que les hommes ».

Entrepreneuriat durable : des paroles, peu d'actes

Enfin, le GEM fait un constat édifiant sur la prise en compte des enjeux du développement durable. Une majorité des entrepreneurs interrogés (51,4%) affirment donner la priorité à l'impact social et/ou environnemental de leur entreprise, avant même la rentabilité ou la croissance. Cette position est encore plus marquée chez les entrepreneurs émergents (54,6%) que chez les entrepreneurs établis (44,5%). La question environnementale s'impose (69%), même si la France est un peu en retrait vis-à-vis des principaux pays du G7.

Mais les actes ne sont visiblement pas à la hauteur des discours : seuls 24% des entrepreneurs émergents et 49% des établis mettent en œuvre des actions pour minimiser leur impact sur l'environnement. Pire encore : seulement 14,2% des émergents et 26,1% des établis agissent effectivement sur le plan social, ce qui place la France en dernière position des pays du G7. « Ce qui peut s'expliquer par le fait que le sujet du changement climatique est beaucoup plus discuté, notamment dans les médias », analyse Frank Lasch.

« L'euphorie du créateur »

Entreprendre est-il bon pour la santé ? Il semblerait en tout cas que la crise sanitaire n'ait pas entamé l'envie d'entreprendre ni n'ait rendu la création plus difficile. Les entrepreneurs émergents ont cependant moins perçu l'efficacité du « quoi qu'il en coûte » gouvernemental que les entrepreneurs établis (42,7% vs 53,9%).

Interrogés sur l'échelle de santé perçue, 34,9% des entrepreneurs établis s'estiment en très bonne ou excellente santé., quand ils sont 14,2% à s'estimer en mauvaise santé. Ils sont même 49,2%, chez les entrepreneurs émergents, à se déclarer en très bonne ou excellente santé, « sans doute un effet de l'euphorie du créateur au moment du lancement de son entreprise », souligne Karim Messeghem.

Cécile Chaigneau

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