« Les entreprises souffrent d’un manque de visibilité qui commence à faire peur » (P. Castanet)

ENTRETIEN - Pascal Castanet est, depuis le 1er janvier 2023, le nouveau président de l’Ordre des experts-comptables d’Occitanie. Soit 2.500 cabinets. Son mandat démarre en pleine crise de l’inflation et de l’envolée des prix de l’énergie, un moment où les TPE et PME ont plus que jamais besoin de sécuriser leurs bilans et d’être accompagnées dans les différents dispositifs d’aide. Parmi les enjeux de son mandat : le déploiement progressif de la facturation électronique.
Cécile Chaigneau
Pascal Castanet est le nouveau président de l'Ordre des experts-comptables d'Occitanie depuis le 1er janvier 2023.
Pascal Castanet est le nouveau président de l'Ordre des experts-comptables d'Occitanie depuis le 1er janvier 2023. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Vous êtes expert-comptable à Boujan-sur-Livron et Narbonne (Aude) et, depuis le 1e janvier 2023, le nouveau président de l'Ordre des experts-comptables d'Occitanie. Quels en sont les chiffres-clés ?

Pascal CASTANET - Le périmètre de la région Occitanie compte aujourd'hui 1.970 experts-comptables, 2.500 cabinets, 11 500 collaborateurs et plus de 500 stagiaires. Soit 1.050 côté ex-Languedoc-Roussillon/Aveyron, plutôt de petits cabinets de moins de dix salariés, et 900 côté ex-Midi-Pyrénées, plus grands et concentrés autour de Toulouse.

Quel bilan faire de votre profession au moment où vous démarrez votre mandat et après deux années de crises ?

Les cabinets d'expertise comptable étaient en première ligne pendant la crise Covid, notamment  pour expliquer les différents dispositifs d'aides aux entreprises, et sont sortis très fatigués. On a même vu certains salariés partir, ce qui est inhabituel... Aujourd'hui, cela s'est stabilisé. Le point positif de cette crise, c'est qu'on s'est rendu compte que la profession était un acteur essentiel pour accompagner les entreprises.

Dans quel état de santé se trouvent aujourd'hui les entreprises que vous accompagnez ?

Selon les données officielles, les indicateurs ne sont pas négatifs et plutôt stables. Mais dans la réalité, tous les signaux ne sont pas au vert... Notamment, on observe que les entreprises souffrent d'un manque de visibilité qui commence à faire peur aux dirigeants : après les problèmes de matières premières qui entraînent une érosion des marges, les problèmes de main d'œuvre qui font qu'elles ont les marchés mais pas les salariés, et maintenant la crise de l'énergie, les inquiétudes sont fortes. Les TPE peuvent bénéficier du bouclier tarifaire énergétique mais ce n'est pas automatique, elles doivent envoyer une attestation. On est donc en train de communiquer sur ces points... Sur le front des défaillances, les aides ont permis aux entreprises de tenir mais on l'a souvent dit, maintenant, elles commencent à rembourser les PGE, les charges sociales qui avaient été décalées, au moment où les matières premières et l'énergie augmentent ! Donc on sait que ça va devenir compliqué pour beaucoup d'entre elles. Aujourd'hui, le niveau des défaillances est encore en-dessous du niveau d'avant Covid mais ça peut s'accélérer. Pour ce qui est de la création d'entreprises, on a observé une belle reprise post-Covid, et la dynamique ne s'est pas arrêtée.

A ces difficultés est venue se greffer la problématique de recruter et de garder les talents. Les entreprises ont-elles augmenté les salaires pour compenser l'inflation mais aussi pour booster leur attractivité ?

Les salaires augmentent naturellement du fait de l'augmentation du Smic dans le cadre de renégociations obligatoires, mais le problème d'attractivité qui se pose aujourd'hui n'est pas qu'une question de salaire : si elles veulent recruter, elles doivent s'adapter pour séduire et attirer, ce qui n'est pas toujours simple.

Votre profession, comme beaucoup, se transforme et se digitalise. Quels vont être les gros dossiers de votre mandat ?

Oui, la transformation s'accélère, et notre gros challenge, c'est désormais la facturation électronique qui arrive. Les TPE-PME devront être en mesure de recevoir des factures au format électronique de la part de grands groupes à partir du 1er juillet 2024, et à partir du 1er janvier 2026, elles devront elles-mêmes émettre leurs factures au format électronique. Notre profession travaille sur ce sujet depuis trois ans et elle est prête pour accompagner les entreprises, qui ne sont encore pas toutes au courant. Chaque entreprise devra choisir une plateforme pour émettre des factures sur ce nouveau format : il existe la plateforme publique et des opérateurs privés dont on ne connaîtra la liste que fin 2023. Et les experts-comptables ont créé leur propre plateforme, pour le moment baptisée "Je facture". Pour les entreprises qui travaillent déjà avec des logiciels, ce sera plutôt transparent mais 60 à 70% des TPE émettent encore des factures sur Word ou Excel. Nous avons démarré des opérations de sensibilisation auprès de nos clients, qu'on ne sent pas inquiets car c'est encore loin pour eux. Mais la profession va jouer un rôle majeur sur ce sujet et, avec la data, ce sera d'ailleurs la thématique du 78e congrès national des experts-comptables, qui se tiendra du 27 au 29 septembre 2023 à l'Arena Sud de France, à Montpellier.

Le sujet des données extra-financières est un autre enjeu important pour les entreprises : depuis 2017, les grands groupes doivent fournir une déclaration de performance extra-financière, et les plus petites entreprises devront faire de même dès 2024. Quel rôle peuvent jouer les experts-comptables ?

Les entreprises sont encore moyennement sensibles à cette question mais progressent sur ce sujet car on est dans une ère où ça va être essentiel si on veut obtenir des prêts bonifiés, si on veut recruter, pour répondre à des appels d'offres, etc. Les restaurateurs locaux, par exemple, sont déjà très engagés car ils n'arrivent pas à recruter et ils cherchent des solutions, qu'ils peuvent trouver en réaménageant le temps de travail pour offrir plus de bien-être à leurs salariés. Mais tout se fait à partir des chiffres, par exemple, le bilan carbone. Mon chantier, pour les deux années à venir, c'est donc de mettre en place un schéma pour que les cabinets d'expertise comptable accompagnent les entreprises, d'abord pour les sensibiliser, et ensuite, selon leur ambition, les amener vers une labellisation. Dans les TPE, ce  n'est pas un chantier prioritaire mais pourtant, ce sont elles les plus agiles pour changer les choses ! Il faut leur faire comprendre que la RSE a un coût qui devient une opportunité... Les experts-comptables sont tiers de confiance sur les données financières, et il faut qu'ils le soient aussi sur les données extra-financières. Nous sommes persuadés que nous le deviendrons naturellement.

La comptabilité prédictive, qui permettrait notamment de détecter les signaux faibles dans une entreprise, est-elle un enjeu à court terme ?

Nous souhaitons le faire, on en voit déjà les prémices. Aujourd'hui, on sait faire de l'atterrissage à six mois mais pas plus. La facturation électronique donnera accès à un plus grand nombre de données exploitables. Il faut avoir accès à de la data plus puissante, ça va arriver, même si nous n'avons pas encore les outils pour le faire... Nous voulons être l'expert-comptable augmenté pour accompagner l'entreprise dans une vision à 360° et sur une multitude de sujets, y compris sur ceux où on ne nous attend pas, comme la RSE. Nous avons un très gros réseau de formation pour former sur de nouvelles missions, comme data-contrôleur, gestionnaire de patrimoine ou DAF externalisé.

Votre profession n'a pas encore complètement modernisé son image. Avez-vous vous-mêmes des problèmes de recrutements ?

C'est vrai que nous souffrons encore d'une image qui reste décalée avec la réalité, et oui, nous avons aussi aujourd'hui des difficultés de recrutements. Mais les nouvelles missions qu'on met en place commencent à payer et les jeunes - et leurs parents - commencent à réaliser qu'on est utiles. Le cœur de notre métier, ce sont les comptes, mais aujourd'hui, cela représente 65% de notre métier qui évolue très vite. Désormais, nous recherchons, pour nos cabinets, des doubles profils : des comptables qui ont aussi une autre casquette, par exemple sur l'environnement, des data-analystes, des ingénieurs, car ils ont alors une bonne connaissance de leur secteur et parlent le même langage que nos clients.

Cécile Chaigneau

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