Comment le fournisseur d'énergie Mint a tiré son épingle du jeu sur l’échiquier énergétique complexe de 2022

Les conditions de marché du secteur de l'énergie ont été fortement perturbées en 2022. Ironie de l’histoire : le 24 février 2022, le fournisseur d'énergie verte Mint (dont le siège est à Montpellier) rachetait Planète OUI et son portefeuille clients alors que la Russie déclenchait son offensive en Ukraine, entraînant notamment une forte hausse des prix de gros du gaz et de l’électricité dans les mois qui ont suivi. Comment Mint a-t-elle réussi à tirer son épingle du jeu dans ce contexte énergétique d’inflation inédit et alors que sa base clients s’est réduite de 230.000 à 53.000 abonnés ? Mint évoque des « mesures d’exception ».
Cécile Chaigneau
Le fournisseur montpelliérain d'énergie verte et de services télécoms Mint annonce un chiffre d'affaires 2022 de 157 millions d'euros HTT, dont 154 millions d'euros sur l'activité énergie.
Le fournisseur montpelliérain d'énergie verte et de services télécoms Mint annonce un chiffre d'affaires 2022 de 157 millions d'euros HTT, dont 154 millions d'euros sur l'activité énergie. (Crédits : DR)

Le contexte énergétique, notamment la forte hausse des coûts d'achat qui ont largement pesé sur la rentabilité des entreprises, a eu raison de certains distributeurs d'énergie. Pourtant, le fournisseur montpelliérain d'énergie verte et de services télécoms Mint, coté sur Euronext Growth (actionnaire majoritaire : Eoden Ressources) et qui vient de publier ses résultats 2022, annonce un chiffre d'affaires à 157 millions d'euros (hors toutes taxes, HTT) dont 154 millions d'euros sur l'activité énergie. Outre ce chiffre d'affaires en hausse de 47% (107 millions d'euros en 2021), l'entreprise annonce un ebitda de 7,6 millions d'euros contre - 1,1 millions d'euros en 2021.

Pourtant, l'histoire aura joué un drôle de tour au fournisseur d'énergie, Gaël Joly, son directeur général délégué, parlant de « pire concomitance des temps » : le 24 février 2022, le jour où s'est déclarée la guerre en Ukraine avec son chapelet de conséquences inédites sur les marchés énergétiques notamment, Mint annonçait le rachat du distributeur d'électricité Planète OUI et de son portefeuille d'environ 120.000 clients résidentiels. A l'époque, la maison mère OUI Energy n'avait pas pu absorber la hausse spectaculaire des tarifs appliquée par ses fournisseurs, et avait été placé en redressement judiciaire en janvier 2022.

« Le timing était des plus négatifs mais ce qui compte, c'est comment on réagit, résume Gaël Joly. Nous avions pris en compte la possibilité de l'invasion de l'Ukraine et d'une augmentation des prix mais nous n'avions pas prévu une augmentation aussi forte. Le biais de notre réflexion a été de penser rationnellement : on ne pensait pas qu'il serait possible d'aller plus haut... »

Augmentations tarifaires : « un acte de gestion nécessaire »

Pour mémoire, les prix de gros de l'électricité ont battu des records en 2022, dépassant les 1.000 euros/MWh au plus fort de la crise. En revanche, l'augmentation des Tarifs Réglementés de Vente (TRV) est restée bloquée à +4% grâce au gel décidé par le gouvernement français.

Selon le directeur général délégué de Mint, l'impact de la crise énergétique a pu être maîtrisé grâce à la mise en œuvre « de mesures d'exception pour préserver sa situation financière et sa pérennité ». Première des mesures "défensives" : « des revalorisations tarifaires indispensables pour faire face à la hausse des prix d'achat de l'énergie ».

« Nous avions déjà connu une première crise post-Covid en 2021, au cours de laquelle le prix de l'électricité était passé de 40 à 100 euros le MWh, c'était déjà un premier choc, rappelle Gaël Joly. A l'été 2022, il atteignait les 1.900 euros ! Nous avons appliqué plusieurs augmentations tarifaires entre novembre 2021 et novembre 2022. Nous étions sur une ligne de crête entre limiter les augmentation et maintenir l'entreprise à flot. C'était un acte de gestion nécessaire...  Cela nous a amené à des prix au-dessus des TRV. »

L'entreprise fait pourtant partie des quatre opérateurs assignés devant le tribunal judiciaire de Paris par l'association nationale de défense des consommateurs et usagers, la CLCV (Consommation Logement Cadre de Vie), pour "pratique commerciale trompeuse" et "clauses abusives". Elle n'aurait pas informé correctement ses clients des augmentations de tarifs, dans les délais de prévenance requis par les contrats... En février 2022, François Carlier, délégué général de CLCV, déclarait à La Tribune que « le cas de Mint sera le plus emblématique pour deux raisons : tout d'abord sur la question de l'information des clients, mais aussi parce que Mint est le seul à avoir augmenté les tarifs fin septembre, début octobre, puis un mois après, à avoir basculé beaucoup de contrats installés d'une offre indexée sur le tarif réglementé à une offre indexée sur la moyenne mensuelle du marché de gros, ce qui est beaucoup plus risqué pour les consommateurs, et sans demander de consentement explicite ». Le montant de l'assignation s'élève à 545.000 euros.

« Nous ne sommes pas inquiets car nous avons toujours respecté les dispositions des contrats », se défend Gaël Joly qui, dans le cadre d'une procédure en cours, ne s'exprime pas davantage et dit attendre le calendrier d'audience.

« Nous ne sommes pas inquiets car nous avons toujours respecté les dispositions des contrats », se défend Gaël Joly qui, dans le cadre d'une procédure en cours, ne s'exprime pas davantage et dit attendre le calendrier d'audience.

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Désertion des clients

Toutefois, ces augmentations de tarifs successives se paient cash pour Mint, qui voit alors fondre son portefeuille clients énergie : monté à 230.000 abonnés suite au rachat de Planète OUI, ce nombre tombe à 150.000 à la mi-2022 suite aux premières augmentations tarifaires, et continue de baisser dans le sillage des augmentations suivantes pour s'effondrer à 110.000 puis 53.000 abonnés.

« D'autant que chez Planète OUI, beaucoup de clients avaient des échéanciers avec des mensualités mal calculées, que nous avons dû redresser, ce qui a contribué à en faire fuir certains, précise Gaël Joly. Fin 2022, nous avons à nouveau augmenté les prix et plus fortement, ce qui a entraîné une autre vague de désertion des clients. C'est ainsi que nous sommes tombés à 53.000 clients fin décembre 2022, et que nous nous sommes retrouvés avec de l'énergie excédentaire sur les marchés de gros. Car dès la fin 2021, nous avions décidé d'élargir notre base de fournisseurs pour nous couvrir sur du plus long terme et sécuriser notre approvisionnement 2023. »

Mint peut alors revendre cette énergie, achetée à l'avance sur les marchés à terme pour les besoins de sa base clients prévisionnelle : « Nous avons revendu au moment où les marchés étaient hauts. Et c'est là tout le paradoxe : notre problème, la perte de clients, nous a contraint à une activité de trading qui a contribué à générer un bénéfice de 4 millions d'euros sur l'exercice 2022 ».

Rendre 35 millions d'euros à la CRE

Par ailleurs, comme d'autres fournisseurs, Mint a bénéficié du dispositif d'Arenh (accès régulé à l'électricité nucléaire historique) complémentaire de 20 TWh : ce relèvement du quota d'électricité qu'EDF a dû vendre à prix cassé à ses concurrents en 2022 via le mécanisme de l'Arenh a permis chacun des acteurs alternatifs de moins s'approvisionner directement sur les marchés que prévu.

A ce titre, Mint a ainsi acheté, sur la période du 1er avril 2022 au 31 décembre 2022, un bandeau de puissance de 11,01 MW au prix de 46,2 €/MWh, qu'elle a revendu au prix de 257 €/MWh, « un dispositif légal pour permettre aux fournisseurs alternatifs de contenir la hausse des prix, et qui nous a en effet permis de minimiser nos augmentations tarifaires », plaide le directeur général délégué.

Toutefois, le fournisseur d'électricité indique qu'il va devoir rendre quelque 35 millions d'euros perçus au titre du mécanisme de complément de prix Arenh (basé sur la différence entre la courbe de charge estimée au guichet d'attribution de droit et la courbe de charge réalisée) : « Comme nous avons acheté plus d'énergie nucléaire que nécessaire, le mécanisme réglementaire prévoit que l'on rende le trop-perçu au prix marché, donc très élevé. D'où les 35 millions d'euros qui seront restitués à la CRE (Commission de régulation de l'énergie, NDLR) », explique Gaël Joly.

Un deuxième PGE

Par ailleurs, l'entreprise montpelliéraine a perçu des versements anticipés de la CRE : dans un contexte de crise exceptionnelle des prix de l'énergie, la CRE a proposé une augmentation importante des tarifs réglementés de vente d'électricité et en parallèle, la loi de finances pour l'année 2022 a prévu un dispositif de compensation des pertes de recettes supportées entre le 1er février 2022 et la première évolution des TRV en février 2023. Ainsi, les fournisseurs d'électricité ayant moins d'un million de clients résidentiels ont-ils pu bénéficier d'un versement anticipé dont le montant a été évalué par la CRE. A la date de clôture de l'exercice, la société MINT avait perçu un versement anticipé de 12 millions d'euros.

« Ce montant a été calculé sur notre base clients 2022, or beaucoup sont partis, donc nous allons rendre une partie de cette compensation, environ 9 millions d'euros sur les 12 perçus, d'ici le milieu de l'année 2023 probablement », précise Gaël Joly.

Enfin, pour passer la crise, l'entreprise a aussi pu s'appuyer sur le dispositif de prêt garanti par l'Etat (PGE) instauré durant la crise sanitaire. Après avoir souscrit un premier PGE de 8 millions d'euros en 2021, Mint a souscrit un second PGE pour un montant de 5,1 millions d'euros fin juin 2022, sur une durée de douze mois.

« Pour le premier PGE, nous avions pris l'option d'étalement longue durée du remboursement parce qu'on jouait notre pérennité, déclare Gaël Joly. Aujourd'hui, avec une trésorerie de 62 millions d'euros fin 2022, l'entreprise est stable et sereine, et il n'y a pas d'inquiétudes sur nos capacités de remboursement. »

Rentrer sur le marché des entreprises

Au final, le fournisseur alternatif d'énergie Mint aura donc réussi à dégager un bénéfice en 2022, avec un résultat net de presque 4 millions d'euros, alors que son résultat était négatif l'année précédente. Gaël Joly précise que sur son activité historique de services télécoms, Mint a réalisé un chiffre d'affaires de 4 millions d'euros, « une activité qui se porte bien, avec un portefeuille clients de 15.000 abonnés, et une marge brute de 1 million d'euros ».

L'entreprise étant cotée, le dirigeant ne s'aventure pas à donner des chiffres d'atterrissage 2023...

« Mais nous sommes sereins, martèle-t-il. Notre portefeuille clients énergie se maintient, et pour l'année à venir, nos clients sont 100% couverts. En 2024, nous pensons que le marché sera stabilisé du point de vue réglementaire et prix. Et nous comptons rentrer plus fortement sur le marché des entreprises, qui sont de plus en plus nombreuses à vouloir se fournir en électricité verte. Par ailleurs, nous avons désormais le statut de "responsable d'équilibre" (engagés contractuellement auprès de RTE à financer le coût des écarts constatés a posteriori entre l'électricité injectée et l'électricité consommée au sein d'un périmètre d'équilibre, NDLR) et nous avons signé des accords avec des parcs éoliens de Kallista Energy et des parcs solaires d'Apex Energies afin de sécuriser du sourcing en énergie verte en direct. Nous prévoyons de développer de plus en plus ce type de dispositif qui nous évite de passer par les marchés de gros. Nous allons recruter des compétences en vue de ces développements (Mint emploie à ce jour une soixantaine de salariés, NDLR). 2023 sera l'année de cette diversification car nous ne voulons pas rester statique face à un marché volatile. »

Cécile Chaigneau

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