Les fontaines à vins espagnols créent un électrochoc en Languedoc

Cause ou symptôme ? La concurrence espagnole fragilise les vins de Pays d’Oc IGP et donc l’économie viticole languedocienne. La riposte engagée, selon la présentation faite par le syndicat le 15 décembre, comprend l’intervention de la Répression des fraudes. Mais elle pose aussi des questions de fond sur le positionnement de l’offre viticole régionale.

Les vins espagnols se sont invités à l'assemblée générale du syndicat des producteurs de vin de Pays d'Oc qui s'est déroulée le 15 décembre, à la Grande-Motte (34). Ils n'en étaient pas à leur première incursion dans les débats languedociens. Depuis ce printemps, ils sont la cible de la colère des viticulteurs qui ont en avril déversé la cargaison de camions citernes espagnols près de Perpignan (66) et, cet été, ont mené des actions de sabotage à l'encontre de metteurs en marché régionaux.

"Les vins sans indication géographique (VSIG, ex-vins de table) d'origine espagnole sont entrés massivement en France, notamment à la suite des dernières petites récoltes en région qui ont affaibli nos stocks et détourné certains metteurs en marché vers d'autres sources d'approvisionnement", résume Jacques Gravegeal, le président du syndicat des producteurs de vin de Pays d'Oc IGP.

La menace ibérique

Progressivement, les vins espagnols remplacent les vins français sur certains marchés. En croissance, l'importation de ces vins en France représentant 5,5 Mhl (75 % des vins étrangers importés). Ces volumes sont essentiellement constitués de VSIG en vrac et présentent un prix défiant toute concurrence (32 €/hl contre environ 70 €/hl pour les vins français de la même catégorie).

"Ils ont d'abord détruit la catégorie des VSIG de France et aujourd'hui, c'est nous qui risquons de tomber", analyse Jacques Gravegeal.

Et les aiguilles de la boussole du marché viticole régional s'affolent:

"Des volumes en baisse, une qualité en hausse et une demande stable, tous les ingrédients sont réunis pour que le marché du vin affiche une bonne santé, s'émeut Jacques Gravegeal. Or, les indicateurs ne traduisent pas cela et les vignerons sont inquiets. Nous constatons notamment un rythme de sorties de chais atone, une pression dans les négociations de prix et des mercuriales de vins inférieures à celles de l'année dernière."

La mention de tous les dangers

La plupart des VSIG espagnols qui arrivent en France ne mentionnent pas le cépage : ils rentrent donc en concurrence directe avec « uniquement » les Vins de France. Néanmoins, la tendance pourrait s'inverser, craint Jacques Gravegeal qui évoque l'arrivée des VSIG espagnols avec mention de cépages. Or, c'est précisément sur cette notion de cépage que les Pays d'Oc IGP ont construit leur notoriété.

"Les VSIG avec mention de cépages sont une attaque directe envers les Pays d'Oc, s'agace Jacques Gravegeal. Et si nous ne faisons rien, la guerre est perdue d'avance car ils sont deux fois moins chers que nous. Et pour cause, ce ne sont pas les mêmes conditions de production et surtout ces vins ne sont pas soumis aux exigences qualitatives de l'IGP et aux dispositifs de traçabilité que nous avons développés depuis de nombreuses années."

La grande distribution pointée du doigt

Le problème de ces VSIG espagnols est qu'ils se retrouvent dans les rayons de la grande distribution, notamment en Bib (fontaine à vin) sous des marques de distributeurs (MDD) qui, sur leur emballage, valorisent bien plus la mention de cépages que la référence à l'origine.

"De nombreuses enseignes ont construit la notoriété de leur MDD sur les vins Pays d'Oc IGP, analyse Florence Barthès, le directrice des vins de Pays d'Oc IGP. Aujourd'hui, elles intervertissent nos vins avec les VSIG espagnols sans évoquer clairement la différence d'origine  et de qualité des produits. Notre objectif est de dénoncer cette pratique."

Les fraudes à l'œuvre

Cette « dénonciation » passe par la mobilisation des associations de consommateurs mais aussi de la Répression des fraudes. Philippe Froelig, inspecteur technique interrégional à la Brigade d'enquêtes viticoles, est intervenu sur ce sujet lors de l'assemblée générale.

"Sur 178 contrôles nationaux effectués, 66 ont été réalisés en Occitanie, indique-t-il. Nous avons constaté lors de ces contrôles en GD, une organisation très hétérogène des linaires de Bib. On observe des erreurs d'affichage dans les dénominations de produits, des étiquetages non conformes et quelques cas plus graves d'infractions avec tromperie sur l'origine pour des vins d'Espagne revendus avec mention Vins de France. Des procédures sont en cours, elles seront prochainement remises au Président de la République sur la base d'un relevé d'infraction de tromperies."

700 000 hl en jeu

L'enjeu du combat n'est pas mince puisque la GD est l'un des moteurs de croissance du label Pays d'Oc : elle en écoule 1,7 Mhl sur une production totale de 6,5 Mhl.

"Les MDD fonctionnent sur la base d'appels d'offres, précise Florence Barthès. Nous avons déjà perdu 55 000 hl sur ce marché l'année dernière au profit des vins espagnols. À terme, cela représente un potentiel de perte de 700 000 hl pour nous."

L'affichage de l'identité des vins espagnols est l'un des versants du plan d'attaque des vins de Pays d'Oc IGP. Le second est la mise en valeur du label Pays d'Oc.

"Notre volonté est d'accélérer la notoriété du label, indique la directrice. Nous allons mettre davantage de moyens sur les actions de communication (celles-ci relèvent essentiellement de l'interprofession InterOc avec un budget avoisinant 5 M€, NDLR), notamment en incitant les producteurs et metteurs en marché à afficher de manière plus apparente le label des Pays d'Oc."

Positionnement de l'offre régionale

Mais la crise occasionnée par les vins espagnols est avant tout une crise de positionnement de l'offre viticole régionale qui appelle à une réflexion de fond.

"Au cours de ces dernières années, notre croissance a modifié notre positionnement, indique Florence Barthès. Résultat, nos produits ne correspondent plus à de l'entrée de gamme. Il est aujourd'hui urgent de mener une expertise sur la situation actuelle et notamment sur la segmentation régionale."»

Généralisation de la contractualisation, mise en place d'un « système de régulation interne, à l'image de ce que qui est fait en Champagne » ou encore sécurisation du segment des VSIG figurent parmi les pistes de réflexion évoquées par Jacques Gravegeal.

"L'artillerie lourde est sortie"

Cette "concertation qui démarre" a pour ambition de mettre autour de la table "les metteurs en marché, les vignerons indépendants, les coopérateurs, etc.", bref une bonne partie des acteurs de la filière régionale.

Une fois n'est pas coutume, l'instauration d'une telle dynamique collective donne la mesure des enjeux. Autre indicateur de poids : l'investissement financier.

"Un jour, nous savions que nous aurions besoin de sortir l'artillerie lourde, témoigne Jacques Gravegeal. Nous y sommes. Nous avons économisé de la trésorerie pendant de nombreuses années. Aujourd'hui cela va nous permettre d'avoir un décalage entre nos recettes et nos dépenses."

La production de Pays d'Oc IGP s'élève à 6,5 Mhl (campagne 2015-2016), soit plus de la moitié de la production viticole régionale (11,6 Mhl). Le marché du vrac (5,2 Mhl) génère un chiffre d'affaires de 532 M€.

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Commentaire 1
à écrit le 16/12/2016 à 17:00
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Liberté commerciale .Ou est l'EUROPE ??

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