Crise sanitaire : à la criée de Sète, les pêcheurs jouent serré

Si les pêcheurs peuvent sortir en mer, rien ne garantit aujourd’hui le bon écoulement du produit de leur pêche. A la criée de Sète, les acheteurs sont là mais la commande a chuté. Il a alors fallu trouver un (fragile) équilibre pour préserver l’activité de la filière et minimiser l’impact de la crise du Covid-19. Analyse.
Cécile Chaigneau

Dans l'Hérault, le port de pêche de Sète (géré par la Région Occitanie) est le port d'attache d'une flotte comptant aujourd'hui 18 thoniers, 17 chalutiers et une centaine de petits métiers venant aussi des environs de Sète (Palavas-les-Flots, Grau-du-Roi, Marseillan, Mèze, Agde, etc.).

Kelly Tarbouriech est responsable de la Criée de Sète. Chaque jour, c'est là que se joue quotidiennement l'écoulement des produits de la pêche. Un mois après le début du confinement, elle observe que « la fréquentation de la criée est pratiquement revenue à la normale, mais il ne se vend pas les mêmes volumes ».

Car même s'ils sont autorisés à sortir en mer, les pêcheurs ont du mal à écouler le produit de leur pêche : les ventes vers les restaurateurs, sur les marchés de proximité, dans la grande distribution ou via les mareyeurs qui approvisionnent les marchés espagnols et italiens ont brusquement chuté. A Sète, la criée a dû s'adapter...

60 % du volume de commandes habituelles

Aujourd'hui, elle est ouverte tous les jours du lundi au vendredi, comme d'habitude, et Kelly Tarbouriech martèle qu'elle maintiendra cette ouverture. Mais il a fallu un travail conjoint entre le port, les pêcheurs et les acheteurs pour trouver une organisation équilibrée qui minimise au maximum l'impact de la crise.

« Au début du confinement, nous avons été pris de court et nous n'avons ouvert que certains jours mais comme les bateaux ne sont pas allés en mer, ça a perturbé le marché côté acheteurs car eux voulaient honorer leurs commandes, raconte Kelly Tarbouriech. On a donc ouvert 3 jours par semaine, en se calant sur les tournées des transporteurs. A ce moment-là, 5 chalutiers sur 17 sortaient en mer. La 2e semaine, les produits se vendaient très bien, ce qui faisait monter les prix. On a donc trouvé des masques pour équiper les bateaux qui ne sortaient pas faute d'équipements pour les marins. La 3e semaine, on est monté entre 6 et 10 bateaux en mer, et les prix se sont stabilisés. Et la semaine dernière, ce sont 15 chalutiers sur 17 qui sont sortis pêcher. Et on s'est retrouvé avec trop de marchandises...Tous nos acheteurs sont présents mais ils ne font que 60 % du volume de commandes habituelles. »

Chiffre d'affaire divisé par 4

Les mareyeurs sont des mareyeurs locaux mais aussi italiens et espagnols (deux pays voisins très touchés eux aussi par le coronavirus) qui achètent essentiellement pour les grandes surfaces, les poissonneries mais aussi la restauration, complètement à l'arrêt depuis le 15 mars.

Ainsi, la Criée de Sète, qui avait vu débarquer 90 tonnes de produits pour un chiffre d'affaires de 395 000 € du 15 au 31 mars 2019 est tombé à 24 tonnes pour 96 000 € de chiffre d'affaires du 15 au 31 mars 2020.

« On est pourtant plutôt chanceux par rapport à d'autres ports qui souffrent plus que nous, car le fait qu'il y ait une criée à Sète a évité que le marché soit totalement stoppé, observe Bertrand Wendling, directeur général de l'organisation des producteurs, la SATHOAN. On a chance d'avoir un nombre important de bateaux, la criée a une grosse clientèle d'acheteurs et des volumes suffisants pour les transporteurs. Et comme Sète est assez central géographiquement, le pool de mareyeurs est assez actif. Enfin, les marchés à l'export ne sont pas tout à fait fermés... Malgré tout, la situation est difficile pour tout le monde. Il y a des chalutiers sétois qui ne sortent pas du tout, certains qui sortent mais ont du mal à vendre. Tout cela nécessite de la coordination entre producteurs et acheteurs. »

Et c'est là que la SATHOAN joue un rôle important...

Débouchés alternatifs

La SATHOAN (pour Sardine-Thon-Anchois), basée à Sète, est un groupement de pêcheurs créé en 1977, devenue la Société Coopérative Maritime des Pêcheurs de Sète Môle et reconnue comme Organisation de producteurs (OP). Sa flottille de pêche comprend aujourd'hui une centaine d'adhérents (57 petits métiers, 19 chalutiers et 14 thoniers senneurs) sur l'ensemble de la façade de méditerranée française, de la frontière espagnole jusqu'à la frontière italienne, en passant par la Corse. Sa production est de 6 000 à 8000 tonnes par an, « soit 30 à 40 % de production méditerranéenne française », précise Bertrand Wendling.

Les OP ont pour mission d'organiser l'activité des pêcheurs sur le plan économique. Elles veillent notamment à la bonne mise en œuvre de la politique commune de la pêche (PCP) et de l'organisation commune des marchés (OCM), gèrent les droits de pêche et les quotas, et organisent le marché (vente et valorisation des produits de la pêche).

« Depuis qu'il y a 15 bateaux qui sortent en mer, on a des invendus mais ils sont sauvés par l'organisation des producteurs », déclare Kelly Tarbouriech.

« C'est l'OP qui fixe les ordres d'achat, c'est-à-dire le prix minimum en-dessous duquel le poisson ne peut pas descendre, et quand l'espèce atteint ce prix, la SATHOAN rachète la marchandise et cherche des débouchés alternatifs, explique Bertrand Wendling. Soit nous travaillons avec deux industriels de Frontignan et Saint-Chamas (Hérault et Bouches-du-Rhône, NDLR) pour transformer les produits et faire des soupes labellisées Label Rouge. Soit nous transformons nous-mêmes nos produits sous la marque collective "Méditerranée sauvage" pour faire de la soupe de poisson, des rillettes de maquereau ou des tapas de poulpe, qui sont vendus en ligne. »

A la Criée de Sète, Kelly Tarbouriech a aussi mis au point une nouvelle pratique : « Pour guider les pêcheurs et éviter les invendus, nous venons aussi de mettre en place l'estimation des besoins auprès des acheteurs. Mais c'est très lourd au quotidien et nous sommes en train de digitaliser le dispositif pour l'automatiser et donc rendre la collecte des besoins plus simple pour tout le monde. Et il est probable que nous conservions se système par la suite ».

Plan pêche État-Région

Pour faire face à cette situation exceptionnelle, les professionnels ont toutefois eux aussi recours aux dispositifs de soutien.

« La SATHOAN fait le relais entre les producteurs et les services de l'État et l'Union européenne pour mettre en œuvre les mesures proposées par la France et l'Europe en soutien de la filière, rappelle Bertrand Wendling. Un dispositif européen d'arrêts temporaires devrait voir le jour fin avril ou début mai pour indemniser les bateaux obligés de rester à quai... Quant au dispositif de soutien de la Région Occitanie, nous l'avons construit ensemble. C'est une réponse rapide, efficace et pertinente qui nous convient. C'est socialement important, or toutes les Régions ne font pas la même chose. »

L'État et la Région Occitanie viennent en effet de lancer un "Plan Pêche" doté de dispositifs complémentaires et adaptés aux besoins spécifiques de la pêche et de la conchyliculture.

Le plan ouvre au secteur de la pêche l'ensemble des dispositifs de soutien aux entreprises : Fonds national de solidarité, prêt garanti par l'État, report d'échéances sociales et fiscales, suspension de certaines factures), et la prise en charge des salaires des marins et capitaines de navires de pêche salariés, dans le cadre du chômage partiel.

Le dispositif européen d'arrêts temporaires prévoit la prise en charge des frais fixes financés sur le Fonds Européen pour les Affaires Maritimes et la Pêche, à 75 % par l'Europe et 25 % par l'État, et « appliqué rétroactivement dès le 1er jour d'arrêt à la demande de la présidente de la Région Occitanie ».

Enfin, pour aider spécifiquement les petits métiers, la Région Occitanie met en place un Fonds de Solidarité Pêche qui prévoit l'attribution d'une aide de 1 500 € pour ceux qui ne peuvent prétendre au Fond National de Solidarité et l'attribution d'un complément sur les charges fixes allant de 500 à 1 500 €.

Quid de la campagne de pêche au thon ?

Mais un autre problème se profile : les incertitudes sur la campagne de pêche au thon.

« La pêche à l'hameçon a démarré le 13 mars mais a donc été fortement perturbée, avec environ 10 % de production par rapport à 2019, s'inquiète Bertrand Wendling. Quant à la pêche aux senneurs, elle doit démarrer le 25 mai et on attend les autorisations administratives. Des réunions ont lieu en ce moment au ministère. Mais toutes les procédures administratives sont freinées (visites médicales des marins, visites de sécurité des thoniers-senneurs, etc. - NDLR) et des questions restent en suspens, comme par exemple celle de l'observateur étranger qui doit embarquer obligatoirement sur chaque bateau mais avec quelle garantie sanitaire ? »

Cécile Chaigneau

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 17/04/2020 à 18:58
Signaler
Nous avions l'habitude d'acheter notre poisson aux halles de Séte Depuis le confinement âgés de 75 et 76 ans nous n'allons plus aux halles donc plus de poissons. Pas de vente en ligne, pas de libraison ? Alors que faire ?

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.