Les manadiers prennent le taureau par les cornes pour sortir de l’ornière

Face à la crise sanitaire qui a fortement impacté leurs activités agro-touristiques, culturelles et événementielles, les manadiers du Gard, de l’Hérault et des Bouches-du-Rhône, majoritairement regroupés au sein d’une fédération, tentent de trouver des solutions.
La filière manadière compte un cheptel de 18.000 bovins de raço di biou et 10.000 chevaux de race Camargue, et génère habituellement près de 60 millions d'euros de chiffre d'affaires en régions Occitanie et PACA.
La filière manadière compte un cheptel de 18.000 bovins de raço di biou et 10.000 chevaux de race Camargue, et génère habituellement près de 60 millions d'euros de chiffre d'affaires en régions Occitanie et PACA. (Crédits : DR)

Annulation en cascade de courses camarguaises, suppression quasi totale des manifestations traditionnelles (abrivado, bandido, etc.), économie de l'accueil touristique dans les manades en berne, commercialisation de la viande taurine compliquée... L'année 2020 sera à marquer d'une croix noire chez les manadiers.

Regroupés au sein d'une fédération depuis deux ans, plus de 130 manades réparties sur 25.000 hectares dans trois départements (Gard, Hérault et Bouches-du-Rhône) affrontent une crise sans précédent.

« L'essentiel de la rentabilité d'un manadier tient à sa capacité à diversifier ses activités. Or, avec cette crise sanitaire, il a été attaqué sur tous les fronts », exprime Florent Lupi-Chapelle, éleveur et président de la fédération des manadiers, dont le siège social est situé dans le Parc National de Camargue.

Forte d'un cheptel de 18.000 bovins de raço di biou et 10.000 chevaux de race Camargue, la filière génère en temps normal près de 60 millions d'euros de chiffre d'affaires sur les deux régions concernées, Occitanie et PACA.

L'activité tourisme stoppée net

Pour l'ensemble des manadiers, l'année 2020 aura été marquée par l'annulation de 60% des courses camarguaises et la suppression de 99% des quelque 2.500 manifestions taurines organisées habituellement.

Le tourisme d'accueil du public, qui peut représenter jusqu'à 50% du chiffre d'affaires d'une manade (ferrades, soirées, restauration, hébergement), s'est effondré, amputé de toute activité au printemps. Pendant la période estivale, il a dû cruellement faire face à l'absence des autocaristes ou des agences de voyage, et le second couvre-feu de l'automne lui a donné le coup de grâce.

Quant aux éleveurs issus de la filière AOP taureau de Camargue, engagés dans une viande taurine de qualité, ils se sont retrouvés aux abois.

Une perte sèche de 70% à 90% du chiffre d'affaires

Magali Saumade est éleveuse et présidente de la chambre d'agriculture du Gard, récemment nommée présidente de la commission Actions en restauration collective bio de l'Agence Bio, en explique les raisons : « Historiquement, le marché de la viande AOP est assis sur les restaurants et la restauration collective, essentiellement scolaire. Au premier confinement, l'arrêt de l'activité ayant été presque total, la chambre d'agriculture du Gard a fait un gros travail pour que les éleveurs puissent retrouver des marchés. Grâce notamment aux actions de la Région Occitanie dans le cadre de la solidarité, et aux soutiens du Département et de la Ville de Nîmes, nous avons pu favoriser la commercialisation d'un certain volume. Aujourd'hui encore, nous sommes dans cette démarche collaborative avec les collectivités ».

Sur un marché AOP qui représente en moyenne 300 tonnes par an, l'abattage est une réalité économique pour réguler le cheptel et valoriser une viande de qualité. Aussi, certains éleveurs se sont tournés vers la vente directe, marché de niche qui ne représentait jusqu'à présent que 12% des ventes (contre 70% via les metteurs en marché).

« Globalement, les manadiers ont perdu entre 70% et 90% de leur chiffre d'affaires, constate Florent Lupi-Chapelle. Nous sommes dans le même cas que les restaurateurs, à la différence que ce n'est pas le fruit d'une décision de l'État puisqu'il n'y pas eu de décision de fermeture administrative. »

Des aides jugées insuffisantes

Dans un contexte complexe, les impacts de la crise sur les charges des manades sont, eux, bien réels. Si le recours au chômage partiel a bien été utilisé, les frais fixes continuent de courir. D'autant que la baisse de l'abattage a eu pour conséquence une augmentation du cheptel.

Surconsommation de fourrage, suivi sanitaire du cheptel (vaccination, etc.), entretien des clôtures... Le vice-président de la fédération des manadiers, Bérenger Aubanel, manadier lui-même et arrière-petit-fils du Baron Folco de Baroncelli, a d'ailleurs quantifié le coût en charges fixes d'un taureau à 1 euro par jour par manade.

Outre les dispositifs d'aides de l'Etat, et sur l'impulsion de Magali Saumade à la chambre d'agriculture du Gard, le Plan Camargue a été activé au printemps dernier en Occitanie par la Région : les manadiers élevant des taureaux ont ainsi perçu une aide à hauteur de 7.500 euros (pour trois mois) et 4.500 euros pour les éleveurs de chevaux. Certaines intercommunalités ont apporté un complément (montant forfaitaire compris entre 1.500 et 2.500 euros). La Région PACA a acté des montants analogues.

« Les aides demeurent insuffisantes, déplore le président de la fédération, qui attendait des mesures fortes, telles une année blanche pour les loyers de fermage et pour les taxes foncières. Il y a un manque de discernement de la part des autorités gouvernementales qui font des choix qui nous paraissent complètement déséquilibrés. Cela va aboutir à des naufrages économiques. »

Solidarité camarguaise

Loin d'être anecdotique, l'initiative de Christophe Brunetti, directeur d'une brasserie à Nîmes, a donné un bel élan aux manadiers, avec l'idée d'un gobelet tricolore réutilisable floqué de la croix de gardians, dont une partie des recettes sera reversée à la filière. Gérée par des manadiers et chargée de la commercialisation de ces éco-cup, l'entreprise Unité Camarguaise (en cours de création) mise sur une production d'un million par an, soit 400.000 euros qui seraient versés à la profession.

« Sur les 100.000 verres, produits à Toulouse sous la marque Solidarité Camarguaise, 30.000 ont déjà été vendus », se félicite Bérenger Aubanel, P-dg de la société, associé à Frédéric Lescot, manadier à Saint-Martin-de-Crau (13) et président de la confrérie des gardians.

D'autres produits labellisés (couteaux, cadres) pourraient ensuite être déclinés. Dans le prolongement de cette initiative est née l'association Solidarité Camarguaise visant à valoriser les produits de la marque et à soutenir les manadiers.

« Que serait la Camargue sans les taureaux et les chevaux ? questionne Bérenger Aubanel. La filière est en train de mourir mais les politiques ne semblent pas se rendre compte qu'il y a une économie importante autour de notre activité. Aujourd'hui nous sommes plus que menacés, et on ne voit aucun déclencheur pour sortir de l'ornière ! »

Assommés par les cotisations d'assurance

De son côté, la fédération des manadiers se bat avec détermination pour la défense de la profession. En début d'année, elle avait déjà lancé un cri d'alarme relatif à la hausse exorbitante des cotisations des compagnies d'assurance. Elle va plus loin aujourd'hui.

« L'un de nos problèmes majeurs vient du fait que nous sommes soumis à l'article 1243 du Code civil selon lequel "le propriétaire d'un animal est responsable du dommage que l'animal a causé, soit qu'il fût sous sa garde, soit qu'il fût égaré ou échappé", confie Florent Lupi-Chapelle. Au vu de certains sinistres lors de manifestations taurines, les assureurs - dont Groupama Méditerranée qui assure 60% des manades - avaient multiplié par 7 le prix des cotisations ! Avec les élus du territoire, nous nous sommes mobilisés pour aboutir à un compromis transitoire de 5.000 euros de cotisation annuelle, contre 2.000 euros les années précédentes. Dans la foulée, la fédération a proposé, en juin dernier, une modification de cette loi visant à responsabiliser les participants sur le parcours des animations. Ce processus législatif est soutenu par des députés et une quinzaine de sénateurs. »

Éleveur de bovins mais pas que...

Un travail de longue haleine qui s'accompagne de démarches nationales en faveur de la reconnaissance du métier de manadier, encore considéré comme un éleveur de bovins alors que sa spécificité est plus singulière.

« Nous participons au maintien de la biodiversité, notamment des zones humides, mais nous sommes les seules entreprises agricoles à vivre aussi du tourisme et de la culture », rappelle Florent Lupi-Chapelle qui est également président d'une association pour l'aide à la reconnaissance du patrimoine camarguais au patrimoine culturel immatériel de l'Unesco, qui œuvre, dans un projet transnational culturel et patrimonial, à la reconnaissance du lien des écosystèmes et des pratiques taurines, de la culture provençale, costume, langue, félibrige.

D'autres pistes sont étudiées, comme une application digitale pour aider les manadiers à promouvoir leurs activités, ou une "route du taureau", projet mené en partenariat avec Gard Tourisme et Hérault Tourisme. Autant de projets concrets pour redorer le blason de manades dont l'équilibre économique est aujourd'hui fortement fragilisé.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.