Fermes agricoles verticales : les questions que soulève la 2e levée de fonds de Futura Gaïa

Après une première levée de fonds de 2,5 millions d’euros au printemps 2020, la startup gardoise Futura Gaïa, qui a mis au point des systèmes de fermes agricoles verticales, s’apprête à boucler la seconde, de 20 millions d’euros environ. L’un des deux cofondateurs pointe avec étonnement la frilosité de certains fonds d’investissement, notamment les fonds dit « à impact ». Explications.
Cécile Chaigneau
La startup gardoise Futura Gaïa développe un système de culture en géoponie rotative : de l'agriculture de précision en sol vivant et dans un environnement climatique contrôlé, opérée dans des fermes agricoles verticales.
La startup gardoise Futura Gaïa développe un système de culture en géoponie rotative : de l'agriculture de précision en sol vivant et dans un environnement climatique contrôlé, opérée dans des fermes agricoles verticales. (Crédits : Futura Gaïa)

La startup gardoise Futura Gaïa développe de l'agriculture de précision en sol vivant, utilisant terreau et environnement climatique contrôlé, opérée dans des fermes agricoles verticales qu'elle installe dans des bâtiments de friches industrielles. Baptisé géoponie rotative, ce nouveau mode de production n'a pas vocation à remplacer les cultures en pleine terre, mais à les compléter.

Le principe : les plantes (salades, fraises, herbes aromatiques, fleurs, etc.) vont pousser dans 48 bacs remplis de terreau et disposés sur une roue. Ils bénéficient d'une ligne d'arrosage par le haut de la roue, distribuant l'eau à la plante quand elle a la tête en bas afin de permettre au système racinaire de se développer facilement. L'ordinateur calcule la quantité de nutriments et d'eau strictement nécessaire à chaque plante. La culture se fait sans pesticides ni fongicides.

La ferme-pilote opérationnelle

La start-up a été créée en 2019 par Pascal Thomas, ingénieur en génie logiciel, et Nicolas Ceccaldi, au profil commercial et entrepreneur. Au printemps 2020, Futura Gaïa avait bouclé une première levée de fonds de 2,5 millions d'euros. Sa première ferme-pilote a été installée à Tarascon (30), dans d'anciens entrepôt logistiques que l'entreprise a loués, soit une cinquantaine de systèmes de cultures (des roues), avec l'objectif de monter à 200. Opérationnelle depuis janvier 2021, elle a déjà produit et Pascal Thomas annonce que Futura Gaïa « commence à vendre de la coriandre, du basilic et du persil plat ».

Cette première levée de fonds, démarrée en septembre 2019 et bouclée en mars 2020, avait été réalisée auprès de Sofimac Innovation (société de gestion indépendante dédiée à l'investissement technologique et innovant), SOFILARO (société d'investissement filiale des Caisses régionales de Crédit Agricole du Languedoc et de Sud Méditerranée), Région Sud Investissement (fonds de co-investissement créé́ par la Région Sud), Caap Création (filiale du Crédit Agricole Alpes Provence), Occipac (holding d'investissement pour les PME de croissance de la région Sud), un family office (qui ne voulait pas être cité) et l'investisseur Alain-François Raymond.

« La crise sanitaire n'a fait que renforcer les convictions de nos investisseurs », soulignait alors Pascal Thomas en mai 2020.

Une étonnante frilosité des fonds à impact

Depuis mars 2021, la startup a lancé une seconde levée de fonds, d'environ 20 millions d'euros, dont l'objectif est d'étendre la ferme-pilote de Tarascon et surtout d'implanter une première ferme de grande taille (soit un investissement d'un peu plus de 10 millions d'euros). Mais le chemin semble moins simple que pour la première levée de fonds...

Économe en eau et sans pesticides, avec la même productivité qu'en pleine terre, enchaînant les cycles de culture toute l'année et sans aléas climatique, et donnant « des produits aux très bonnes qualités gustatives et nutritives », assurent les fondateurs... Pascal Thomas rappelle que ce système de fermes agricoles verticales répond aux enjeux de santé publique, d'environnement et d'adaptation aux bouleversements climatiques. Pourtant, selon lui, les investisseurs, à commencer par les fonds à impact, affichent une étonnante frilosité.

« Nous observons quelque chose de surprenant et d'inquiétant en France, argue-t-il avec une certaine amertume. Nous pensions que les fonds à impact seraient les premiers intéressés, mais pas un n'est venu nous voir... J'avoue que c'est une déception car je pensais qu'ils avaient vocation à faire bouger les choses, mais aujourd'hui, j'ai une certitude : ils ne feront pas émerger d'innovation. Probablement que les gens y croient mais ils sont pris à leur propre discours qui impose des investissements dans des projets qui ont fait leur preuve et qui commencent à rapporter. En fait, ils prennent zéro risque... »

« Les gens ne font pas le lien »

Comment expliquer alors l'engouement du premier tour de table ?

« Au-delà de la démonstration technique, nous avions fait goûter aux investisseurs les produits agricoles qui avaient poussés sur quatre machines, et nous les avions convaincus sur la qualité, raconte Pascal Thomas. Ce qui est compliqué pour le 2nd tour, c'est le passage à l'échelle. On parle de réindustrialisation, mais en France, on ne sait pas financer l'industrie : il faut construire des usines, or on nous dit que pour nous financer, il faut qu'on ait déjà vendu ! Notre faiblesse, c'est bien que nos produits ne soient pas encore dans les rayons de tous les grands magasins. Et nous avons un problème de timing : les acteurs de nos débouchés, comme la grande distribution ou les laboratoires cosmétiques, veulent tout de suite de gros volumes. »

L'entrepreneur reste sidéré d'un déclic qui ne se fait pas en Europe au regard des défis climatiques : « Il n'y a qu'à regarder le rapport du GIEC de cet été ! Futura Gaïa propose un système de culture qui n'est pas soumis aux aléas climatiques comme le sont les cultures en pleine terre. Et les gens ne font pas le lien... Un kg de salade en pleine terre demande 150 litres d'eau, et seulement dix chez nous. Demain, on devra réserver les terres agricoles en extérieur pour ce qui nécessite impérativement d'être en extérieur ».

Question de souveraineté

Pascal Thomas plaide l'adéquation de Futura Gaïa avec les enjeux du siècle.

« On voit que les chaînes automatiques de fabrication de composants électroniques ont été mises à l'arrêt à Taïwan à cause de la sécheresse qui les privaient d'eau, ce qui pose de gros problèmes de souveraineté partout dans le monde, dont en Europe et en France, ajoute également Pascal Thomas. La Californie, qui fait pousser 85% des leafy green (légumes à feuilles, NDLR) de l'Amérique du Nord, est victime d'une importante sécheresse, et 25% des terres pourraient être mises en jachère par manque d'eau... Nous sommes persuadés qu'il y a forcément une opportunité pour les fermes agricoles verticales aux États-Unis ainsi qu'en Europe bien sûr, où seulement deux acteurs existent aujourd'hui... Nous sommes donc vraiment étonnés que les fonds d'investissement à impact ne réagissent pas. »

Enfin, il avance un autre argument à une autre problématique actuelle : « Aujourd'hui, le monde agricole manque de salariés agricoles en France. Comment fait-on pour récolter ? Chez Futura Gaïa, les emplois sont des emplois annuels, pas saisonniers, et on récolte toute l'année ! Quand on est sur un système basé sur les saisons, il existe plein de pénuries. Chez nous, il n'y a pas de saisons ».

« On continue avec des gens qui y vont avec conviction »

Le closing de la deuxième levée de fonds approche cependant, dans les semaines qui viennent si tout va bien.

« On continue donc à travailler avec des fonds régionaux, des family offices, des gens qui y vont avec conviction, annonce Pascal Thomas, qui se réjouit que « la plupart des investisseurs du premier tour de table soient à bord pour le 2e ».

En attendant, la startup poursuit ses projets de développement. L'extension du laboratoire de R&D est presque finie : « On rajoute quatre salles et huit machines, grâce à une subvention de la Région Occitanie. Nous voulons avoir quatre zones climatiques différenciant les climats sur les températures, l'humidité ou le cycle solaire, afin de faire des tests par exemple sur des plantes destinées à l'oncologie et voir les quantités de principes actifs selon les cycles ».

La startup, qui est accompagnée par Akka Technlogies sur la robotisation de son processus de culture, travaille également avec le CEA de Toulouse pour optimiser sa consommation d'énergie via des panneaux photovoltaïques, des batteries de véhicules électriques recyclées, etc.

« Nous faisons depuis peu partie de l'écurie des 35 startups Dassault Système, avec qui nous allons travailler sur la notion de jumeaux numériques pour piloter les fermes à distance », ajoute Pascal Thomas.

En parallèle, l'entrepreneur continue d'évaluer diverses pistes de bâtiments pour installer sa future ferme de grande taille de préférence en Occitanie : « Il existe pas mal de friches commerciales mais avec des hauteurs de plafond insuffisantes. Il nous faut 9 mètres... ».

Cécile Chaigneau

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 13/09/2021 à 21:33
Signaler
Avant, il y avait un truc incroyable qui s'appelait la ferme ... horizontale, avec des champs et tout et tout, que les bobos transhumanistes et les élites ont jugé dorénavant ringarde. Mais ça, c'était avant ...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.