« Eviter que la hausse des charges n’amène à des situations irréversibles » (Jérôme Despey, FNSEA)

INTERVIEW - Coût de l’énergie ou des engrais, flambée des prix des matières premières, rétorsion à l’export… Les points d’inquiétude ne manquent pas pour le monde agricole depuis le début de la guerre en Ukraine. A quelques heures des annonces du gouvernement français sur le plan de résilience qui va être déployé pour faire face aux conséquences de ce conflit au cœur de l’Europe, Jérôme Despey, viticulteur, président de la Chambre d’agriculture de l’Hérault, secrétaire général de la FNSEA et président du conseil spécialisé viticulture de France Agrimer, évoque les difficultés auxquelles sont confrontés les agriculteurs français.
Cécile Chaigneau
Jérôme Despey, viticulteur, président de la Chambre d’agriculture de l’Hérault, secrétaire général de la FNSEA et président du conseil spécialisé viticulture de France Agrimer.
Jérôme Despey, viticulteur, président de la Chambre d’agriculture de l’Hérault, secrétaire général de la FNSEA et président du conseil spécialisé viticulture de France Agrimer. (Crédits : DR)

MAJ du 16 mars, 18h57 : Afin d'aider le secteur agricole français déstabilisé par la guerre en Ukraine, le Premier ministre Jean Castex et le ministre de l'Agriculture Julien Denormandie promettent deux types de mesures : des aides de soutien aux producteurs et difficulté, et des dispositifs pour produire plus en France. Une enveloppe allant jusqu'à 400 millions d'euros sur quatre mois est prévue pour aider les agriculteurs à faire face à la hausse du coût de l'alimentation animale. A lire ici.

LA TRIBUNE - Que redoutez-vous de ce conflit en Ukraine ? Comment va-t-il toucher le secteur de l'agriculture en France ?

Jérôme DESPEY, viticulteur, président de la Chambre d'agriculture de l'Hérault, secrétaire général de la FNSEA et président du conseil spécialisé viticulture de France Agrimer - Tout d'abord, je veux dire que la première chose pour nous est d'être en solidarité avec le peuple ukrainien, de contribuer à la solidarité nationale sur différentes actions, notamment la fourniture de produits de première nécessité et, puisque les exploitations agricoles ont des capacités d'accueil, l'accueil des familles de réfugiés. Enfin, nous pouvons aussi proposer des contrats de travail aux Ukrainiens qui le souhaitent... Concernant l'impact de la guerre sur le secteur de l'agriculture et de l'alimentation, évidemment, le premier sujet est celui de la flambée des coûts des matières premières, notamment les céréales. L'Ukraine et la Russie pèsent 30% du marché mondial des grandes cultures. La préoccupation est forte, et nous y portons une attention particulière, surtout pour les éleveurs partout en France, en raison du surcoût sur l'aliment du bétail. Il va falloir trouver des solutions d'accompagnement rapidement pour éviter la décapitalisation. Car la question est d'avoir les capacités à produire et pour ça, d'éviter que la hausse des charges n'amène à des situations irréversibles.

La flambée des cours de l'énergie et l'envolée des prix des carburants sont une autre inquiétude forte de votre secteur, à même d'entamer la viabilité économique des exploitations...

L'envolée du prix du gaz et de l'électricité doit amener des réponses du gouvernement, qu'on attend aujourd'hui dans le plan de résilience, pour accompagner les secteurs très dépendants de l'énergie. C'est le cas notamment des maraîchers qui utilisent des serres chauffées, et il y en a beaucoup en France. Il y a eu un affolement, ces derniers jours, sur le gazole non routier (GNR, ndlr) qu'utilisent les agriculteurs : on est monté jusqu'à 2,10 euros le litre quand il était encore à 90 centimes il y a un mois ! Une mesure de 15 centimes a été annoncée par le Premier ministre (l'annonce de la remise carburant à la pompe de 15 centimes par litre concerne les particuliers et les professionnels, dont les agriculteurs avec le GNR, ndlr), ce qui est largement insuffisant. Pour les secteurs productifs, qui doivent assurer la souveraineté alimentaire, nous demandons le doublement de ces 15 centimes. Et pour le secteur agricole, nous demandons également une fiscalité adaptée sur la taxe intérieure des produits pétroliers où le reste à charge pour l'agriculteur est habituellement de 3,81 euros par hl. Or l'Union européenne permettrait un reste à charge à 2,10 l'hl, donc nous demandons d'aller au maximum.

La situation invite à produire plus de céréales en Europe pour pallier les productions de l'Ukraine, grenier à blé du continent. La FNSEA demande également de pouvoir mettre les jachères en culture ?

Le niveau de prix des céréales continue de grimper, ce qui aura pour conséquences, ça a été établi, des risques de famine en Afrique par exemple. Pour compenser le manque de production en Ukraine dans les prochains mois, y compris si la guerre s'arrêtait, il faut produire. C'est pourquoi, nous demandons fortement l'autorisation d'ensemencer les jachères, imposées à hauteur de 4% par la PAC, afin de produire sur tous les hectares disponibles.

La guerre entraîne également une forte augmentation des prix des engrais, tirés par l'explosion des prix du gaz. Comment cela frappe-t-il les agriculteurs français ?

La guerre a en effet des conséquences sur les engrais, avec une augmentation exorbitante des prix. L'Europe est dépendante à 70% des engrais importés d'Ukraine et de Russie, la France à 30%. Pour 2022, nous avons l'approvisionnement pour couvrir les besoins français mais la question se pose déjà pour 2023. Il faut voir quelles sont les possibilités de production d'engrais au niveau européen pour substituer ce qui était fait par l'Ukraine et la Russie.

Les sanctions contre la Russie créent un risque de rétorsion contre les produits de l'Union européenne. Que craignez-vous ?

Les dégâts collatéraux des mesures de rétorsion, nous connaissons ça, notamment dans viticulture qui a subi, à l'export, les représailles des tensions commerciales entre l'Union européenne et les États-Unis... Et l'embargo russe, au moment de la Crimée en 2014, avait affecté fortement l'élevage. Là, que va-t-il se passer ? Quoi qu'il en soit, nos exportations de vins et spiritueux en Ukraine et en Russie représentent 340 millions d'euros, dont 1/3 pour les champagnes, 1/3 pour les spiritueux et 1/3 pour les vins tranquilles. Je ne dis pas que ce n'est pas important mais c'est une petite part de nos exportations.

On l'a vu, la guerre en Ukraine frappe le premier bassin planétaire de production de blé. Une situation qui pourrait être favorable aux céréaliers français ?

Il faut savoir qu'aujourd'hui, nous n'avons pas de stocks dans le secteur des grandes cultures, les céréales ont été vendues. Les contrats ont été signés avant la moisson en juin 2021, à 180 euros la tonne et non 340 ou 350 euros comme on le voit aujourd'hui ! Les céréaliers français ne profitent donc pas ou peu de l'augmentation des cours. Et leurs charges augmentent fortement. La question se posera pour la prochaine campagne selon la situation du cours mondial du blé. Il sera vraisemblablement à la hausse mais amoindri par les coûts de production.

Depuis quelques années, l'agriculture française est confrontée aux défis de la transition écologique et l'Europe a lancé sa stratégie "Farm to Fork" (de la ferme à la table). Après la crise sanitaire, on avait observé un sursaut de conscience sur la nécessité d'une souveraineté alimentaire de l'Europe, que la guerre en Ukraine amplifie. Comment conjuguer souveraineté alimentaire et préservation de l'environnement dans le contexte d'aujourd'hui ?

Pour moi, c'est un faux débat qui est en train de s'instaurer. La transition, les agriculteurs la font depuis longtemps, on continue dans des pratiques vertueuses. Ce qu'on ne souhaite pas, ce sont les sur-transpositions, comme sur les néonicotinoïdes, car elles sont un frein à la compétitivité. Le but n'est pas de remettre en cause les éléments de la transition écologique mais l'Europe vit une guerre sur son continent, avec des conséquences géopolitiques qui créent des pénuries et un risque de famine. Essayons de mettre un maximum de terres en culture pour éviter ces situations. On ne fait pas haro sur tous les engagements et les sujets liés à l'agroécologie et à l'environnement, c'est un débat stérile de la part de certaines associations environnementales ou partis politiques qui profitent de la situation. L'agriculture est là pour produire, et heureusement qu'elle a tenu pendant la crise sanitaire. Essayons d'être plus autosuffisants au niveau européen.

Cécile Chaigneau

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