Nouveau plan de sortie de flotte : comment les pêcheurs et le port de Sète se préparent à perdre la moitié des chalutiers

Les conséquences du plan de gestion West Med, adopté en 2019 par la Commission européenne et visant à encourager une meilleure gestion des ressources halieutiques en Méditerranée, continuent à se faire ressentir dans les ports français de la Méditerranée. C’est le cas à Sète, où le port de pêche s’apprête à voir détruite la moitié de sa flottille de chalutiers. La diminution des apports en poissons aura un impact sur la criée, et celle du nombre de bateaux sur l’activité de carénage. Décryptage.
Cécile Chaigneau
Un nouveau plan de sortie de flotte va amputer la Méditerranée de 16 chalutiers (sur 57), dont huit ou neuf qui étaient rattachés au port de Sète.
Un nouveau plan de sortie de flotte va amputer la Méditerranée de 16 chalutiers (sur 57), dont huit ou neuf qui étaient rattachés au port de Sète. (Crédits : Sa.Tho.An)

La nécessité de veiller à une meilleure gestion des ressources halieutiques en Méditerranée contraint les flottilles en activité : moins il y a de ressources disponibles et autorisées, moins il y a d'activité possible pour les pêcheurs. Ainsi, en ce début d'année 2023, sur les 57 chalutiers pêchant en Méditerranée française, 16 devraient être détruits dans le cadre du plan de sortie de flotte. Sur le port de Sète, c'est la moitié des 17 chalutiers du port qui partiront à la casse...

Le plan de gestion West Med, adopté en 2019 par la Commission européenne, s'inscrit au sein de l'initiative MedFish4ever visant à encourager une meilleure gestion des ressources halieutiques en Méditerranée et ainsi à restaurer les stocks. La France est concernée pour ses pêcheries chalutières exploitant le merlu et le rouget de vase. En décembre 2021, le Conseil des ministres de l'Union européenne portant sur les négociations des totaux admissibles de captures (TAC) et quotas pour l'année 2022, avait redéfini les quotas de pêche pour l'année 2022, actant une diminution progressive du nombre de jours de pêche des chalutiers à 173 jours, contre 183 en 2021.

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« Avant le plan de gestion West Med, il n'existait pas de limitation de jours de pêche et on sortait entre 230 et 240 jours par an, rappelle Bertrand Wendling, directeur de l'organisation de producteurs Sa.Tho.An, la société coopérative maritime des pêcheurs de Sète. Puis avec ce plan de gestion, le nombre de jours de pêche autorisés par bateau est tombé d'année en année : 173 en 2022 et 164 en 2023. Et ce quota de pêche va continuer de baisser car le rouget et le merlu sont encore en situation de surexploitation... Or le seuil de rentabilité d'un bateau, qui était à 177 jours de pêche par an, est aujourd'hui à 190 jours en raison du prix du gasoil qui augmente. Aujourd'hui, on est donc bien en-dessous ! »

« La France perd définitivement une capacité de pêche ! »

Conséquence directe du plan de gestion West Med : un plan de sortie de flotte a été élaboré entre les professionnels de la pêche et le ministère de la Mer, consistant à détruire un certain nombre de chalutiers. Si le dispositif n'est bien sûr pas idéal - ni applaudi par bon nombre de pêcheurs - il permet toutefois aux pêcheurs en difficulté d'arrêter leur activité dans de bonnes conditions.

« En Méditerranée française, on a déjà connu cinq plans de sortie de flotte depuis 2006 pour les chalutiers, soit 40% de la flottille qui sont sortis, regrette Bertrand Wendling. Ce n'est pas une bonne solution mais on n'en a pas trouvé d'autres ! Un plan de sortie de flotte, financé par les fonds européens, permet au pêcheur de payer ses crédits et d'arrêter son activité sans faillite ni transmission de dettes. Mais c'est dommageable car la France perd définitivement une capacité de pêche ! On ne pourra légalement jamais la retrouver... »

Sur les 57 chalutiers pêchant en Méditerranée française, 17 ont déposé un dossier de sortie de flotte. Bertrand Wendling indique qu' « un a été refusé par la commission de validation, et les 16 autres ont reçu l'accord mais n'ont pas encore tous signé la convention. A ce jour, sur les 16, trois chalutiers ont été détruits et les autres le seront d'ici le 30 juin 2023 ».

« Une fois les bateaux du plan de sortie de flotte détruits, leurs jours de pêche seront redistribués entre les bateaux restants », ajoute-t-il.

L'activité pêche ne doit cependant pas se regarder uniquement en termes de rentabilité mais aussi d'impact socio-économiques. Comme le rappelait Olivier Carmès, le directeur général du port de Sète, en novembre 2022, « sur près de 1.700 emplois directs sur le port de Sète, il y en a quasiment autant sur la pêche que sur le commerce ». Bertrand Wendling affirme que le plan de sortie de flotte, « c'est trois ou quatre marins par bateau qui sont licenciés à chaque destruction ».

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Un métier qui peine à se renouveler

Une situation qui inquiète les pêcheurs qui observent une baisse de l'appétence des jeunes pour ces métiers difficiles.

« Il existe beaucoup de types de pêche différents, mais c'est un métier qui peine aujourd'hui à se renouveler, observe le directeur de la société coopérative maritime des pêcheurs de Sète. Le bateau le plus jeune en Méditerranée a 20 ans et la moyenne d'âge des pêcheurs est de 37 ans. C'était un métier difficile mais rémunérateur et qui ne requerrait pas un bagage de formation important. Mais aujourd'hui, on peut pêcher moins de jours par an, le prix du gasoil augmente alors que les salaires sont indexés dessus (plus il est cher, moins les marins sont payés, NDLR), et on exige de plus en plus de diplômes. Ça devient difficile de trouver marins, d'autant qu'il y a beaucoup de pêche-bashing dans la société civile, ça ne motive pas... Alors souvent, c'est le manque de personnels qui fait que les pêcheurs arrêtent le bateau. Ensuite, c'est la banque. »

« La pêche, c'est cyclique »

Sur le port de Sète, on s'apprête donc à voir la moitié de la flottille de chalutiers actifs détruits. Ce qui ne sera pas sans conséquence sur deux activités du port : la criée, très dépendante des apports chalutiers, et la zone de carénage.

« La moitié des chalutiers qui s'arrêtent, ça représente 40% d'apports en volumes et autant en valeur en moins, souligne Bertrand Wendling. C'est une baisse de chiffre d'affaires de 100.000 euros pour notre coopérative SaThoAn, ce qui est gigantesque ! Lors des précédents plans de sortie de flotte, deux coopératives ont déposé le bilan à Port-de-Bouc et Port-Vendres (Bouches-du-Rhône et Pyrénées-Orientales, NDLR). A la SaThoAn, nous avons aussi été touchés en 2013-2014 et nous sommes passés de sept à deux agents. On avait réussi à trouver des solutions en s'orientant vers d'autres flottilles que les chalutiers. Aujourd'hui, sur les 110 navires que compte la coopérative, 17 seulement sont des chalutiers, donc l'impact sera plus faible. En revanche, je révise déjà le fonctionnement de la coopérative pour réduire les coûts et faire des économies d'ici la fin de l'année. »

L'homme se veut toutefois optimiste : « On considère que la pêche a toujours connu des hauts et des bas, des discours alarmistes... Mais c'est cyclique. Pour le thon rouge, on parlait d'extinction des espèces, et aujourd'hui, ceux qui se portent le mieux, ce sont les pêcheurs de thon rouge ! Je pense que pour la pêche chalutière, ce sera pareil : on est dans le creux de la vague mais dans trois ou quatre ans, quand la capacité de pêche sera en accord avec la ressource, la situation s'améliorera. Il faut passer le cap et garder la motivation - ou l'intelligence de voir plus loin - pour rester ! La seule inconnue difficile à gérer, c'est le prix du gasoil dont dépend beaucoup la rentabilité des bateaux. On s'est inscrit dans toutes les démarches pour travailler sur une logique de décabornation des bateaux mais c'est un processus de long terme ».

A la criée, une baisse de 50% des apports

Kelly Llinares est directrice du port de pêche de Sète (douze salariés), et donc de la criée (six salariés), l'une des quatre en Occitanie avec le Grau-du-Roi, Agde et Port-la-Nouvelle. Malgré les baisses d'apports halieutiques qui seront engendrées par le plan de sortie de flotte, elle dit ne pas redouter de déstabilisation des criées.

« C'est la criée de Sète qui est le plus impactée par la destruction de bateaux (les trois autres ports vont perdre deux bateaux chacun, NDLR), déclare-t-elle. En 2022, la criée de Sète a enregistré 2.200 tonnes de produits débarqués, 241 criées organisées auprès d'une cinquantaine d'acheteurs par jour, et un chiffre d'affaires en hausse de +1%, à 11,5 millions d'euros. Avec la moitié de notre flottille inscrite au plan de sortie de flotte, on s'attend à une baisse de 50% de nos apports, ce qui aura impact sur le chiffre d'affaires en 2023. Mais on devrait plutôt être à une baisse de 30% car nous allons déployer des solutions à court terme pour réduire cette baisse. »

Parmi ces solutions, la diversification : depuis 2019, la criée sétoise travaille avec un bateau de pêche de l'Atlantique « qui livre des coquilles Saint-Jacques et du poisson comme du turbot et de la sèche, qu'on n'a pas en Méditerranée, et nous avons augmenté l'apport avec des oursins également, ce qui permettra de compenser le manque en apport des navire détruits ».

« Nous allons aussi organiser des ventes de gré à gré pour les petits métiers, ce qu'on ne faisait pas jusqu'à présent, ajoute-t-elle. Cela revient à définir la criée comme un point de ramasse pour les acheteurs qui veulent acheter directement auprès des pêcheurs, selon un prix défini entre les deux parties. Le poisson passant quand même par la criée, ça nous permettra d'augmenter le chiffre d'affaires et par ailleurs, ça pourrait inciter les petits métiers à qui il restera du produit à le vendre à la criée. Nous attendons la mise en place d'un équipement et ce service devrait démarrer le mois prochain... Nous allons aussi chercher du produit via un chalutier de Marseille. »

« On va se serrer les coudes »

La zone de carénage du port, quant à elle, a fait l'objet de rénovations récentes, notamment l'achat, fin 2020, de deux portiques permettant de lever des navires de 20 et 300 tonnes. En 2022, son chiffre d'affaires était de 450.000 euros, soit une augmentation de 11% par rapport à 2021. Son activité est alimentée par les chalutiers mais aussi par des péniches, des yachts, des voiliers ou des thoniers, de Sète ou d'ailleurs.

« La sortie de flotte va générer une baisse de 30% du chiffre d'affaires du carénage, mais là aussi, on va s'adapter, promet Kelly Llinares. Depuis la mise en place des deux portiques, nous avons un chiffre d'affaires plus intéressant, et nous avons créé des remises sur les prix à des périodes de l'année où l'activité de carénage est plus calme. »

Elle aussi se veut optimiste : « On s'adapte ! On va se serrer les coudes. On a déjà traversé plusieurs crises ! ».

Cécile Chaigneau

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