Librairie Sauramps : vers un redressement judiciaire

Le 3 mars, le tribunal de commerce de Montpellier a mis fin à la procédure préventive dans le dossier Sauramps. Faute de repreneur, la librairie montpelliéraine s’achemine vers une procédure de redressement judiciaire avec pour objectif de trouver un acquéreur, sans garantie sur l'emploi. Le Ruthénois Benoît Bougerol revient dans la course.
Cécile Chaigneau

« Le repreneur sera là à l'été prochain », assurait Jean-Marie Sevestre, P-dg de la librairie Sauramps et actionnaire (aux côtés de Jean-Luc Bonnet et Caroline Wodiczko) lors d'une conférence de presse tenue le 7 décembre 2016...

Sauramps, institution montpelliéraine de 140 salariés, est l'un des fleurons de la librairie indépendante française. Mais elle se retrouve confrontée à de lourdes difficultés financières : un résultat net déficitaire de 300 000 € en 2016 pour un chiffre d'affaires de presque 25 M€ (contre 420 000 € pour un chiffre d'affaires de 26 M€ en 2015).

Deux repreneurs potentiels avaient alors formulé des offres : Matthieu de Montchalin, patron de la librairie L'Armitière à Rouen (76), également le président du Syndicat de la librairie française, et Benoît Bougerol, libraire et propriétaire de la Maison du Livre à Rodez (12). À la fin du mois de janvier dernier, et à l'issue d'un cheminement "manquant de transparence" selon les représentants du personnel de Sauramps, un seul des deux candidats restait en lice : Matthieu de Montchalin.

Sans garantie

La procédure exigeait alors la consultation des instances représentatives du personnel pour avis consultatif.

« Nous avons convenu d'une série de questions pour lever les doutes subsistants, par exemple sur la garantie des financements - car M. de Montchalin n'a pas de fonds propres et que tout passera par des emprunts -, sur le maintien des emplois alors qu'il prévoit de réduire les surfaces commerciales, ou sur le devenir des librairies d'Alès et Odysseum, expliquait Julien Domergue, délégué syndical Sud, le 31 janvier, à Objectif. On n'a pas de business plan, pas de trésorerie, pas de plan de financement. Et il y a eu beaucoup de changements entre le dossier présenté et notre entrevue avec M. de Montchalin le 27 janvier. »

Une inquiétude qui s'est avérée fondée : le potentiel acheteur ne communiquait aucune pièce complémentaire ni élément de réponses, et le dossier qui allait être présenté au tribunal de commerce le 3 mars était tout aussi mince et vide de garanties.

Les trois actionnaires n'ont pu que constater « que dans le délai fixé par le mandataire ad hoc (le 27 février 2017, NDLR), M. Matthieu de Montchalin n'a pas apporté les justifications de sa capacité à pouvoir assurer tant le financement de son projet de reprise que la réalité formelle des cessions de titres envisagés avec une partie des actionnaires du groupe Mosaïque ».

« Trop de cadavres dans les placards »

Le 1er mars, dans un courrier auquel a eu accès ActuaLitté, les actionnaires sont revenus vers... Benoît Bougerol pour voir si son offre initiale tenait toujours.

Vendredi 3 mars, Benoît Bougerol, dont la proposition avait été rejetée en janvier car estimée moins favorable à celle de Matthieu de Montchalin, confirme à Objectif avoir répondu par la négative à cette proposition, qu'il qualifie de « surréaliste et désespérée ».

« L'offre que j'avais faite avec mes partenaires prévoyait un apport 2,5 M€, dont 180 000 € d'achat des actions, elle a été considérée comme une proposition humiliante par Jean-Marie Sevestre, commente-t-il, amer. Aujourd'hui, je ne peux accepter une telle offre, il y a trop de placards et trop de cadavres dans les placards ! »

Dans la profession, l'affaire a fait grand bruit et les différents acteurs proches du dossier s'interrogent sur le « jeu auquel s'est livré Matthieu de Montchalin ». Possédait-il un véritable projet ?

« Est-il mythomane ?, questionne Benoît Bougerol, qui est aussi le prédécesseur de Matthieu de Montchalin à la tête du Syndicat de la librairie française. On savait qu'il n'avait pas de fonds propres, d'autant que sa librairie à Rouen est en difficulté... Il a déshonoré la profession et le syndicat ! Et Jean-Marie Sevestre a été dans le déni total. »

La banque de la librairie ne suit plus. En février, le crédit de campagne de 850 000 € qu'elle devait lui verser pour lui permettre de passer la période creuse de son activité, ne lui a pas été versé. Fin mars, les comptes de l'entreprise seront à sec et elle ne pourra plus payer ses fournisseurs.

À la barre du tribunal

Vendredi 3 mars, à la sortie du tribunal, l'étau s'est resserré sur la librairie montpelliéraine : fin de la procédure de mandat ad hoc (procédure préventive et confidentielle de règlement amiable des difficultés, afin de rétablir la situation de l'entreprise avant qu'elle ne soit en cessation des paiement). Deux alternatives s'offrent alors : une cessation de paiement suivie d'un redressement judiciaire, ou un plan de sauvegarde.

« Jean-Marie Sevestre et ses avocats étudient la possibilité que le redressement judiciaire ne concerne qu'Odysseum (site dont la rentabilité est plombée par un loyer et des charges locatives jugées exorbitantes par les représentants du personnel, de l'ordre de 800 000 € annuels, NDLR), tandis que les établissements d'Alès et du Triangle ne seraient concernés que par un plan de sauvegarde », évoque Julien Domergue, délégué syndical Sud.

Le plan de sauvegarde permettrait de ne pas déclencher de cessation de paiement pour ces sites, plus rassurant pour les fournisseurs et préservant le flux des commandes. Des décisions devraient intervenir rapidement et être annoncées aux représentants du personnel mercredi 8 mars prochain.

Dans tous les cas, l'objectif est maintenant de trouver un repreneur à la barre du tribunal, avec désormais, pour les actionnaires, la certitude de ne plus rien tirer financièrement de leurs actions.

À Rodez, Benoît Bougerol est resté attentif au dossier Sauramps. Celui qui, en 2013, s'est porté acquéreur de la librairie Privat à Toulouse (dirigée par sa fille Anne), confirme qu'il dispose des mêmes partenaires que lors de la première offre faite à Jean-Marie Sevestre, « l'Adelc (Association pour le développement de la librairie de création, NDLR), le Centre national du livre, et des éditeurs comme probablement Actes Sud ». C'est son fils Thomas qui pourrait prendre les rênes à Montpellier si son projet aboutissait.

Sacrifier Odysseum ?

Mais la procédure inquiète les salariés.

« En cas de redressement judicaire, l'acheteur n'aura pas obligation de garder tout le monde, de conserver tous les magasins, soulignait Julien Domergue le 15 février. L'aventure continuera, mais à quel prix ? À ce moment-là, c'est Jean-Marie Sevestre qui devra rendre des comptes. »

Car la question maintenant est bien de savoir ce que reprendra le futur acquéreur. Et c'est bien le magasin d'Odysseum qui est en ligne de mire comme potentiel « sacrifié ».

En effet, outre des économies de gestion sur les frais de fonctionnement, Benoît Bougerol interroge aussi le risque qu'il y aurait à conserver le site.

« Il y a un plan d'économie simple de 370 000 € par an à mettre en place, en renégociant les assurances, le coût des prestations informatiques ou de l'expertise comptable, les taux de commissions des cartes bancaires, etc, déclare-t-il à Objectif.  Ensuite, il faut rencontrer les propriétaires des murs pour revenir à une situation équilibrée sur les loyers. Et nous devrons être très prudents sur la masse salariale : il faudra une adéquation entre les postes nécessaires, les coûts affectés, et la fragilité évidente... À Odysseum, le problème est structurel. Reprendre le site en l'état actuel des choses, c'est dramatique mais c'est impossible. La responsabilité des dirigeants de Sauramps est d'avoir mal calibré leur projet d'installation il y a neuf ans, le bail était suicidaire. Et le groupe Klépierre (propriétaire des murs, NDLR) est fermé à toute négociation. »

« Ce sont 38 à 40 salariés qui sont menacés, s'inquiète aujourd'hui Julien Domergue. Et Klépierre n'est pas du tout disposé à négocier le loyer comme il peut le faire avec d'autres commerces. »

Malgré de multiples demandes, Jean-Marie Sevestre n'a pas répondu à nos sollicitations.

Cécile Chaigneau

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