Les commerçants de Montpellier se veulent lanceurs d’alerte

Ils sont inquiets de la dévitalisation du centre-ville de la capitale languedocienne et, encore une fois, dénoncent la prolifération des mètres carrés commerciaux en périphérie… A un an des élections municipales, les commerçants montpelliérains montent au créneau, dégainent une étude et réclament un moratoire.
Cécile Chaigneau
Le taux de vacance en centre-ville était de 14,38 % en 2018
Le taux de vacance en centre-ville était de 14,38 % en 2018 (Crédits : Ville de Montpellier)

« Dans le sud de la France, je ne vois pas de grande ville en bonne santé, à part Nice. Montpellier me fait penser à Marseille : on a laissé se développer les périphéries de façon déraisonnable, en parallèle d'une vaste restructuration du centre-ville qui est un échec retentissant. A Montpellier, l'échec, c'est par exemple le Jeu de Paume... La comparaison vaut aussi sur le type de commerces : on constate dans les deux villes une paupérisation des commerces de centre-ville. On est sur un processus dont on connait l'étape suivante : l'exode des classes moyennes et des familles ! Aujourd'hui, on sait très bien comment un centre-ville se détricote ! »

Cette alarme, c'est Franck Gintrand qui la formule. Délégué de l'Institut des Territoires (association qui se dit dédiée à la promotion de la valeur ajoutée territoriale dans tous les secteurs de l'économie) et directeur général de Global Conseil, il est aussi l'auteur du livre « Le jour où les zones commerciales auront dévoré nos villes ».

« La CDAC, une machine à dire oui »

Le 2 avril, il est à Montpellier aux côtés d'Alain Simon, président de la FADUC Languedoc-Roussillon (Fédération des associations de commerçants, d'usagers et de consommateurs du grand Montpellier) pour appuyer de ses chiffres une inquiétude grandissante des commerçants montpelliérains sur la dévitalisation du centre-ville au profit de la périphérie urbaine.

L'étude, commanditée par la FADUC, a étudié le nombre de mètres carrés autorisés par la Commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) de l'Hérault sur les années 2015 (24 000 m2 et 61 500 m2 sur le projet ODE à la Mer, opération de requalification urbaine et commerciale portée par la foncière Frey au sud de Montpellier), 2016 (8 900 m2), 2017 (14 500 m2) et 2018 (39 000 m2).

« Après une année exceptionnelle en 2015 et un fléchissement en 2016, la tendance est repartie nettement à la hausse et rien ne permet aujourd'hui de prédire un quelconque ralentissement, observe Franck Gintrand. La CDAC est plus que jamais une machine à dire oui ! »

La crise de la grande distribution

D'où vient donc la concurrence qui s'exerce au détriment du centre-ville ? A Montpellier comme ailleurs, le phénomène est double. Tout d'abord un emballement du marché de l'urbanisme commercial : « A Montpellier, les trois centres commerciaux mastodontes sont le Polygone, ODE et Odysseum (où s'installera bientôt l'enseigne Primark, NDLR) : quand ODE a été lancé, Odysseum a demandé une extension de 13 000 m2. Et quand ODE ouvrira, la zone considérera qu'elle n'aura plus les moyens de concurrencer Odysseum et demandera une extension. C'est un jeu dans lequel le premier qui arrête a perdu ! ».

L'autre phénomène est à observer du côté de la grande distribution : la crise des groupes intégrés (Carrefour, Casino, Auchan) profite aux groupements d'indépendants (Leclerc, Intermarché et Système U) mais aussi à Lidl, qui s'est inscrit dans une démarche très offensive de colonisation des m2 commerciaux.

Selon l'étude, le nombre de mètres carrés demandés sur les quatre dernières années dans l'Hérault par les enseignes Intermarché, Système U et Lidl est environ de 40 000 m2, soit l'équivalent du centre commercial Odysseum.

« De plus, face à l'érosion des marges, l'enjeu est de créer une zone commerciale autour de l'hypermarché, ajoute Franck Gintrand. Aujourd'hui, plus d'hypermarché sans boutiques autour, c'est devenu la règle. Les revenus de la grande distribution de demain, ce sont des revenus de location... Nous ne sommes donc plus dans une logique de conquête de marché mais de survie des acteurs ! »

« Écrasés par la concurrence »

Aucune raison, donc, pour que la prolifération des mètres carrés, crainte des commerces de centres-villes, ralentisse... Les zones commerciales ont encore de beaux jours devant elles.

« Le taux de vacance en centre-ville était de 14,38 % en 2018, soit deux fois plus que des villes comme Strasbourg, Nantes ou Tours, fait observer Alain Simon. Au-delà de 10 %, les niveaux sont considérés comme très élevés, et à Marseille, où on constate un choc des équilibres commerciaux, il est à 15 %... Le mouvement des gilets jaunes ces six derniers mois a rajouté de l'inquiétude mais il ne peut pas servir de bouc émissaire. »

Malgré les efforts de reconstruction de la ville sur la ville - le commerçant cite le Peyrou, les halles Laissac, l'avenue du Jeu de Paume, le marché du Plan Cabanes, les animations Cœur de ville en lumière, la réfection de la rue Jean Moulin, ou le futur MOCO -, les commerçants du centre-ville se disent « écrasés par une concurrence de plus en plus intenable ».

Fonds de commerce à vendre

« Le Polygone a perdu 15 % de chiffre d'affaires à l'ouverture d'Odysseum et il a fallu 9 ans pour retrouver le niveau d'activité antérieur, souligne Michel Badie-Castagnet, conseiller en immobilier commercial à la Socri (propriétaire du centre commercial Le Polygone). Le Jeu de Paume est un échec, les chiffres d'affaires sont catastrophiques, et la moitié des fonds de commerce à vendre... Le parking du Polygone, c'est 60 % de clients qui se rendent au centre-ville, donc le projet de la mairie de fermer le tunnel de la Comédie et donc de condamner l'accès aux quartiers Antigone et Polygone, serait une catastrophe et enverrait les gens en périphérie !... Nous avons fait des propositions à la Ville de Montpellier pour redynamiser le quartier de l'ancienne mairie et élargir le centre-ville. Mais en ne s'opposant pas au classement de l'ancien Hôtel de ville au label "Architecture contemporaine remarquable", le maire Philippe Saurel condamne ce projet ! Pour nous, c'est un renoncement... »

Conséquences, selon lui : une perte de confiance vis-à-vis des élus, des enseignes qui hésitent à venir s'installer à Montpellier, mais aussi la réaction des enseignes présentes au Polygone, qu'il illustre en annonçant que les Galeries Lafayette, locomotive du centre commercial, étudieraient un possible départ...

« La révolte gronde »

Alors les commerçants montpelliérains ont décidé de monter au créneau. A un an des élections municipales, ils veulent placer l'enjeu des centres-villes au cœur des campagnes électorales des futurs candidats.

« Nous souhaitons, en tant que lanceurs d'alerte et acteurs, infléchir les mauvaises directions prises, déclare Alain Simon. C'est bientôt les municipales, c'est le moment de faire passer un message aux élus... »

A commencer par le maire en place. Michel Badie-Castagnet enfonce le clou et prévient : « On est à la croisée des chemins. On lance un appel au maire. Aujourd'hui, les commerçants souffrent... Philippe Saurel devrait faire attention car la révolte gronde ».

Les commerçants demandent l'abandon du projet de fermeture du tunnel de la Comédie, la suppression du label sur l'ancienne mairie, « un vrai projet de redynamisation du commerce montpelliérain fondé sur le renforcement de l'Ecusson avec la création de moyennes surfaces et de places de stationnement supplémentaires ».

Ils demandent aussi un moratoire sur le développement commercial en périphérie.

« Oui au moratoire pour que le centre-ville regagne en vitalité, sans quoi toutes les autres mesures sont inutiles, soutient Franck Gintrand. Cela n'aurait aucun sens d'investir de l'argent sur le centre-ville si on laisse la périphérie se développer ! Il faut attirer les investisseurs privés, auxquels il faut donc redonner confiance. »

Cécile Chaigneau

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