Comment des sous-traitants du biterrois entament leur 2e mue industrielle

Dix entreprises de la supply-chain industrielle du pétrole, situées sur le territoire biterrois autour de l’industriel Cameron (groupe Schlumberger), doivent entamer une nouvelle mue… Alors qu’elles s’étaient déjà regroupées au sein d’un cluster de proximité pour amorcer leur diversification dans l’aéronautique, secteur aujourd’hui mis à mal par la crise sanitaire, elles accélèrent pour prendre un nouveau virage. Entretien avec Mathieu Dossat, président du cluster ITS Fusion.
Cécile Chaigneau
Mathieu Dossat, et P-dg de Delta Automatisme et président du cluster industriel ITS Fusion, à Béziers.
Mathieu Dossat, et P-dg de Delta Automatisme et président du cluster industriel ITS Fusion, à Béziers. (Crédits : DR)

C'est une histoire de dépendance. Ou plutôt de quête d'indépendance... Sur le territoire biterrois, dix entreprises* initialement sous-traitantes de l'industrie du pétrole - et en particulier de l'industriel Cameron (aujourd'hui groupe Schlumberger) - se sont regroupées en 2011 au sein d'un petit cluster baptisé ITS Fusion pour envisager un avenir meilleur. Pour éviter de subir les crises cycliques du secteur, elles voulaient sortir de cette dépendance et se diversifier vers l'aéronautique. Mais depuis, la crise Covid est passée par là, mettant à mal le secteur aéronautique.

Quels sont les savoir-faire des entreprises d'ITS Fusion ?

Mathieu Dossat, président du cluster ITS Fusion et P-dg de Delta Automatisme : « Ils sont complémentaires et permettent la réalisation de projets clé en main (machines spéciales, outillages, sous-ensembles...), de la conception à l'installation sur site : étude et construction machines, automatisme et électricité industrielle, mécano-soudure et découpe, hydraulique industrielle, mécanique de précision et usinage, traitement de surfaces, et chauffage, ventilation, climatisation pour l'industrie. Les 10 entreprises emploient 350 salariés et leur chiffre d'affaires cumulés est de plus de 60 M€. »

Y a-t-il de la casse aujourd'hui parmi les entreprises du cluster ITS Fusion ?

M. D. : « Oui... Le confinement pour des sous-traitants, c'est dramatique car on a des difficultés d'approvisionnement, d'expédition, on a des chantiers fermés, des reports ou des annulations de commandes. La baisse de chiffre d'affaires est estimée entre 30 et 50 % pour chaque entreprise entre mars et avril. Et on subit encore les stigmates de la crise : les projets ont pris du retard qu'il est difficile de rattraper, et on ne veut pas prendre le risque d'embaucher des intérimaires. Il y a aussi l'attentisme de savoir vers quoi on va. Les entreprises ont encore aujourd'hui recours au chômage partiel, et on a enregistré quelques départs volontaires... Nous sommes habituellement très présents sur des salons comme le SIANE (salon des partenaires de l'industrie, pour l'heure reporté en décembre 2020 à Toulouse, NDLR) car c'est un moyen de toucher les acteurs qui nous intéressent. Or ils sont annulés ! Il faut éveiller la conscience des gros industriels français... Le risque est dans la dilution des commandes des années futures. Les entreprises d'ITS Fusion sont relativement stables et on a réussi à garder de la trésorerie pour subsister. Mais si la crise dure, le risque de baisse d'emploi sera réel. Comme nous sommes sur deux secteurs, l'aéronautique et le pétrole, où les perspectives ne sont pas optimistes à court terme, si on ne réussit pas la diversification, ce sera compliqué. Il faut convertir nos offres. Nous sommes confiants mais tout reste à faire. »

Avez-vous atteint l'objectif premier du cluster ITS Fusion ?

M. D. : « Travailler sur la complémentarité de nos entreprises et proposer une offre commune à d'autres secteurs que le pétrole. Nous avons commencé par regarder l'industrie locale sur l'ex-Languedoc-Roussillon, puis l'aéronautique. Notre plan d'action en direction de ce secteur a démarré en 2015-2016. Cameron nous a accompagnés dans le cadre du fonds de revitalisation qui a été mis en place en 2016, suite au plan de sauvegarde de l'emploi de Cameron (visant à créer sur le bassin biterrois autant d'emplois que les licenciements économiques réalisés, soit 237 postes, NDLR). Nous avons monté des offres globales, du bureau d'études à la maintenance, et le chiffre d'affaires développé via ITS Fusion est monté en 2019 à 3 M€, l'équivalent d'une entreprise de 20 personnes. »

Avec la crise sanitaire du Covid-19, le secteur de l'aéronautique est gravement touché et votre démarche de diversification mise à mal. Quel est votre plan aujourd'hui ?

M. D. : « Nous avons réussi cette diversification et nous étions sur le point d'aller plus loin dans l'aéronautique. Aujourd'hui, c'est la double peine pour nous car le secteur aéronautique est en net ralenti et le secteur pétrole sinistré depuis plusieurs années. Alors nous nous sommes remis en question. Nous continuons de développer l'aéronautique mais nous travaillons sur de nouveaux leviers de croissance, particulièrement dans l'environnement, les énergies renouvelables et le traitement de l'eau. Les entreprises que nous côtoyons dans le secteur pétrolier et aéronautique - comme Total, EDF Renouvelables, les centre de traitement des déchets, Véolia ou Suez dans l'eau - ont recours à des sous-traitants, par exemple pour fabriquer des éoliennes. Nous avions déjà cette diversification en tête, et nous avions commencé à structurer un pôle maintenance pour l'environnement. Le Covid nous renforce dans cette stratégie et nous incite à accélérer. Pendant le confinement, nous avons échangé pour se soutenir mutuellement, mais aussi pour redéfinir une stratégie commune dans ce sens. »

Quelles sont vos premières démarches dans ce nouveau virage vers le secteur des énergies renouvelables et de l'environnement ?

M. D. : « Tout d'abord une démarche collective d'amélioration. Nous montons des projets collectifs qui nous permettent de nous améliorer ensemble. Cette année, six entreprises du cluster vont se lancer dans le parcours Industrie du Futur (mis en place par la Région Occitanie, NDLR). Ce parcours permet de bénéficier d'un audit 360° de l'entreprise pour identifier les leviers de compétitivité et s'engager dans un processus de transformation. Mécanic Sud Industrie, qui est déjà labellisée, sera accompagnateur dans la démarche... Par ailleurs, nous travaillons sur le marketing pour adresser ces nouveaux marchés et nous rencontrons les grands comptes pour montrer la force de notre réseau et identifier leurs attentes. Aujourd'hui, nous sommes plutôt optimistes, même si ce sera long, car on sent qu'il y a d'un côté une volonté poussée par les politiques d'aller vers cette diversification, et de l'autre une volonté des grands comptes de travailler avec des sous-traitants locaux afin de ne pas être dépendants de sous-traitants à l'étranger qui pourraient leur faire défaut. Cette prise de conscience a eu lieu car ils ont déjà subi ces défauts d'approvisionnement... Nous avons commencé à rencontrer des acteurs publics locaux, leurs services techniques, pour connaitre leurs besoins et mettre notre offre en adéquation. »

Vous envisagez aussi la création de grappe industrielle : de quoi s'agit-il ?

M. D. : « C'est une démarche sur laquelle nous travaillons avec la CCI Hérault. L'idée, c'est de rassembler des grands comptes industriels du département et des PME locales : ils ont des besoins, nous, on peut y répondre. Cela pourrait se traduire par une plateforme de diffusion de ces besoins. Cela pourrait compenser notamment les rendez-vous d'affaires comme Intersud (salon bisannuel organisé à Béziers, ayant vocation à permettre aux principaux donneurs d'ordres industriels régionaux de découvrir les entreprises de la sous-traitance, NDLR) qui devrait avoir lieu au printemps 2021 mais qui risque de ne pas avoir lieu... »

* ID3D (bureau d'études et constructeur machines), Delta Automatisme (automatisme et électricité industrielle), HTM (hydraulique), Thalis Industries et Thalis Tube (mécano soudure et découpe et laser tube), Freeman Industrie (grenaillage et peinture industrielle, chaudronnerie), Galvadoc (traitement de surface), Criballet (mécanique de précision), Mécanic Sud Industrie (intégrateur de solutions mécaniques), MGL (usinage, maintenance industrielle et soudage), Brunet Ertia (génie thermique, traitement et conditionnement de l'air).

Cécile Chaigneau

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