« Les traiteurs doivent repenser les organisations du travail » (B. Cabiron, Traiteurs de France)

ENTRETIEN - Le Montpelliérain Bernard Cabiron, déjà président national de la branche traiteurs du GNI (groupement national des indépendants) est désormais aussi le co-président national de l’association Les Traiteurs de France. L’occasion de prendre le pouls d’un secteur qui s’est pris de plein fouet la crise Covid et, s’il confirme un certain dynamisme, doit aussi réinterroger ses bases et réinventer ses modes de fonctionnement.
Cécile Chaigneau
Le Montpelliérain Bernard Cabiron est désormais aussi le co-président national de l’association Les Traiteurs de France.
Le Montpelliérain Bernard Cabiron est désormais aussi le co-président national de l’association Les Traiteurs de France. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Vous êtes désormais aussi le co-président national de l'association Les Traiteurs de France. Deux mots sur cette structure ?

Bernard CABIRON - Traiteurs de France compte 39 entreprises traiteurs, soit environ la moitié du chiffre d'affaires des traiteurs de l'événementiel français (VS les traiteurs qui ne disposent que d'une boutique, NDLR). Ce qui nous engage tous et nous différencie, c'est la recherche de qualité dans le produit et dans la prestation commerciale. Les Traiteurs de France sont à l'origine de la norme de qualité "Qualitraiteur", propre au métier des traiteurs organisateurs de réceptions. Et tout notre réseau est certifié ISO 20121 (norme relative à la RSE des activités événementielles pour la gestion durable des évènements, NDLR)... Certains ont aussi une boutique de traiteur ou un restaurant, mais la taille moyenne des adhérents, c'est plutôt une quinzaine de salariés et plus de 2 millions d'euros de chiffre d'affaires. Toutes nos entreprises sont des PME familiales ou patrimoniales, qui partagent les mêmes valeurs.

Pourquoi vous pour présider cette association pour les trois prochaines années ?

Probablement parce que je me suis occupé de la crise Covid (alors vice-président national des Traiteurs de France, c'est lui qui était en charge des relations avec le gouvernement et donc à la table des négociations avec les ministres, pour gérer la crise Covid, NDLR)... Mais j'ai souhaité innover en instaurant une co-présidence : j'ai voulu tenir compte des enseignements de la crise Covid justement, et ainsi donner la possibilité de partager la tâche avec quelqu'un d'une autre région, en l'occurrence Claire Pennarun, traiteur en Bretagne.

Après deux années affectées par la crise, que dire de l'année 2022 ?

Le point positif de l'année 2022, c'est qu'on a retrouvé notre chiffre d'affaires 2019 de référence, et pour certains même, un chiffre d'affaires supérieur. C'est inattendu car on a quand même encore subi les conséquences du Covid en janvier et février, mais notre activité a ensuite connu une forte accélération de la reprise. Nous avons fait en dix mois ce qu'on faisait en douze ! L'événementiel, quand il est possible, repart avec vigueur, ce qui signifie que c'est vraiment un secteur d'avenir. Mais pour y arriver, cela nous a demandé des efforts humains très importants alors qu'on n'avait pas retrouvé le plein emploi. Les salariés ont donc fait beaucoup d'heures supplémentaires, ce qui a entraîné un surcoût conséquent en masse salariale par rapport au chiffre d'affaires.

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Comment avez-vous géré ce manque de main d'œuvre ?

Des gens sont partis car ce qui s'est passé pendant la crise sanitaire leur a fait peur en termes d'avenir de la profession. Ça a été difficile de recruter mais ce n'était pas tant une question de salaires : la grille a été revue mais beaucoup de traiteurs étaient déjà au-dessus. Le problème, c'est plutôt qu'il a fallu remplacer ceux qui sont partis par de nouveaux entrants qu'il a fallu former, ce qui imposait aux entreprises d'embaucher plus de monde tant que tous les collaborateurs n'étaient pas opérationnels. Là encore, ce qui est positif, c'est que malgré tout, le Covid a fait prendre conscience à la profession qu'il existe une autre façon de travailler. L'une des difficultés de nos métiers, par exemple, c'est de travailler quand les autres font la fête ! Il faut donc en tenir compte et repenser les modèles de fonctionnement avec des rotations en faisant plus d'équipes qui font moins d'heures chacune, afin d'éviter que les gens travaillent tous les week-ends. Voire même faire deux équipes pour optimiser au maximum l'outil de travail. Ça, c'est un raisonnement nouveau : le Covid nous a fait prendre conscience que la rentabilité de nos entreprises était insuffisante.

Avez-vous des inquiétudes quant aux capacités de votre profession à booster son attractivité ?

Mettre en place d'autres façons de travailler, c'est notre challenge d'aujourd'hui ! Nous aurons un séminaire le 23 janvier pour évoquer nos pistes de travail. Mais je ne suis pas pessimiste sur l'attractivité : traiteur est un métier de passion, chaque prestation est un challenge, on n'est pas dans la routine de la restauration classique. Nous aurons des actions mais plutôt pour renforcer la sérénité des salariés, la confiance en soi.

Comment se portent aujourd'hui les entreprises traiteurs et quel est l'impact de l'inflation sur votre activité ?

Nous subissons vraiment cette inflation. Les prix sont fixés longtemps à l'avance par les devis et nous ne pouvons pas répercuter les augmentations. D'autant que ce sont les matières premières les plus basiques qui ont le plus bougé... Par exemple, en ce moment, nous préparons les mariages de juin, juillet et août 2023 sur la base de contrats signés en septembre 2022 : que leur dire ? Nous pouvons soit modifier des contenus, soit discuter avec nos clients pour trouver un accord.

Les traiteurs ont-ils la même problématique que les boulangers sur les questions de l'énergie ?

Nous sommes moins concernés que les boulangers  mais oui, nous sommes affectés car tous nos ateliers sont passés à l'électrique. Cela inquiète surtout la tranche intermédiaire des entreprises de 10 à 250 salariés qui n'ont pas le bouclier tarifaire, même si un amortisseur est en train d'être calculé, la discussion n'est pas fermée (entretien réalisé le 9 janvier, NDLR).

Début 2022, vous aviez demandé la possibilité de rembourser les PGE sur dix ans ou un moratoire de remboursement sur 2022...

Nous ne l'avons pas obtenu. Et aujourd'hui, ce qui m'inquiète, c'est que les effets de la crise sanitaire ne sont pas évacués. Certes nous avons retrouvé le chiffre d'affaires, mais les charges, elles, ont augmenté. Et maintenant, il y a en effet les PGE, les aides remboursables, les prêts BPI, etc. qu'il faut rembourser. Ce sont des prêts stériles derrière lesquels il n'y a pas d'investissement, et qui étaient calibrés sur cinq ans. Or les entreprises n'ont pas pu commencer le remboursement donc vont être obligées de les rembourser en trois ans ! C'est le point d'alerte : je suis inquiet pour fin 2023 et je crains que ce soit encore pire en 2024. Ça pourrait en mettre certains en péril à six mois ou un an... Je suis toujours en contact avec les conseillers de Bercy avec ma casquette du GNI.

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Quels sont les axes principaux de votre mandat ?

D'abord le volet économique : la rentabilité de nos entreprises, les organisations du temps de travail, l'optimisation de l'outil de production et sa modernisation, la numérisation des tâches. Mais aussi le marketing, l'image, c'est à dire comment montrer notre valeur ajoutée. Ça peut être par exemple en recrutant des personnes éloignées de l'emploi, en s'approvisionnant encore davantage produits de saison et en circuits courts. Et bien sûr aller plus loin sur la qualité... Nous tâcherons d'augmenter le nombre d'adhérents pour peser plus et pour donner plus de choix aux clients nationaux ou internationaux. Par exemple, aujourd'hui, nous sommes cinq en Occitanie - je viens de faire entrer Husser Traiteur, à Montpellier - et on s'aperçoit que sur de très gros événements, les clients veulent se sécuriser et prennent deux traiteurs.

Comment voyez-vous l'année 2023 ?

Sur le segment des particuliers, c'est à dire les événements comme les mariages ou les baptêmes, je ne suis pas inquiet car les gens en ont marre et envie de faire la fête. Mais sur le segment du BtoB, nous n'avons pas trop de visibilité, les entreprises réservent de plus en plus tard. Ce qui est complètement nouveau depuis le Covid ! On observe un vrai rapprochement entre la commande et de la date de l'événement.

Cécile Chaigneau

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