Immobilier d’entreprise à Montpellier (1/2) : bouleversements attendus sur le marché de bureaux

[ANALYSE - 1/2] La crise sanitaire, induisant de nouveaux comportements dans l’entreprise et dans les modes de consommations, aura immanquablement un impact sur les stratégies immobilières des entreprises. Digitalisation, télétravail, impératifs de distanciation sociale,… Comment les nouvelles organisations de travail vont-elles jouer sur le marché de bureaux montpelliérain, qui présentait, avant la crise, une importante pénurie d'offres en neuf ?
Cécile Chaigneau
L'@7 Center, à l'entrée de la ville, est la dernière plus grosse opération de bureaux (33 000 m2) opérée à Montpellier.
L'@7 Center, à l'entrée de la ville, est la dernière plus grosse opération de bureaux (33 000 m2) opérée à Montpellier. (Crédits : DR)

Dès la mi-mars, les professionnels de l'immobilier d'entreprise montpelliérains ont tous fait le même constat : un arrêt brutal des demandes entrantes. Le marché s'est figé. Néanmoins, ce n'est pas tant sur ce premier trimestre que sur les suivants que l'impact de la crise sanitaire du Covid-19 devrait se faire sentir.

« Le 1e trimestre est d'habitude une continuité de la fin d'année, plutôt dans une frénésie de développement, observe Christèle Marnas, directrice région Montpellier chez Tourny Meyer Méditerranée. Cette année, nous avons profité, au 1e trimestre, de belles transactions initiées 6 à 12 mois auparavant. Le ressenti sera plutôt pour le 3e trimestre... Nous avons enregistré une chute vertigineuse des demandes entrantes, mais peu de casse sur les sujets en finalisation. »

Les transactions n'ont pas porté sur de grandes surfaces, mais au total, selon l'observatoire de l'immobilier d'entreprises de la métropole de Montpellier, elles représentent quelque 6 000 m2 de bureaux transactés.

Manque d'offre en neuf

« C'est relativement bas mais ça ne comptabilise pas les opérations en comptes propres, analyse Michel Peinado, directeur associé Arthur Loyd Montpellier/Nîmes, dont la quasi seule grosse opération signée sur cette période aura été la vente à France Télévisions des entrepôts de Vendargues (34) où le groupe audiovisuel public a installé ses studios de tournage (contacté, le groupe confirme mais refuse d'en dire plus sur ses futurs projets pour le moment). Au total, on devrait monter 15 000 m2, soit un trimestre dans la continuité des années précédentes, légèrement en-dessous. Il nous aura manqué 15 jours d'activité. Mais c'est un résultat indépendant de la crise du Covid. Il est essentiellement le fruit du manque d'offre, notamment dans le neuf. Une seule transaction a été enregistrée en neuf sur une vingtaine au total ! Ça fait un moment qu'on tire la sonnette d'alarme et aujourd'hui, ça commence à se voir... »

Il faut se rappeler que ce marché de l'immobilier de bureaux de la métropole de Montpellier est particulièrement dynamique et bat chaque année des records : en 2019, et pour la 2e année consécutive, il a franchi la barre symbolique des 100 000 m2 commercialisés (102 172 m2, et 104 489 m2 en 2018).

Mais en février dernier, les professionnels du secteur avaient en effet lourdement pointé du doigt cette pénurie d'offres de bureaux neufs, et s'inquiétaient de devoir attendre 2022, voire 2023, avec l'arrivée de la ZAC Cambacérès* autour de la gare TGV Montpellier Sud de France, pour retrouver un souffle dans le neuf...

« La lumière s'est éteinte du jour au lendemain »

A l'heure du déconfinement, les affaires reprennent « très timidement, à raison de 2 ou 3 par semaine au lieu de 15 en moyenne habituellement », témoigne Christèle Marnas, qui s'attend à un impact plutôt sur le 2e semestre.

Pour Nicolas Huet, dirigeant de l'agence CBRE Tertia Conseils à Montpellier, « tout ce qui n'a pas été réalisé depuis mi-mars ne se rattrapera pas, on a un trou dans la raquette d'un trimestre, mais je m'attendais à plus de casse. On a eu très peu de dossiers annulés, plutôt des décalages, et aujourd'hui, les gros promoteurs ou investisseurs restent attentifs à la reprise. Pour l'instant, on note une envie de repartir et la quasi-totalité de nos dossiers sont en train de se réactiver ».

« L'impact volume va être énorme, promet toutefois Michel Peinado. La lumière s'est éteinte du jour au lendemain ! Nous avons pas mal de dossiers en cours, notamment une douzaine en avril, qui auraient dû être signés. Deux seulement ont abouti, mais les autres sont en général décalés, pas annulés... Pour les baux commerciaux, si les estimations des travaux n'avaient pas été terminées, les chiffrages étaient impossibles. Les diagnostiqueurs immobiliers étant confinés, il n'y avait pas de signature de bail possible. Mécaniquement, on aura un impact important dès le 2e trimestre. C'est à partir de cet été qu'on verra l'ampleur des dégâts. Une baisse de volumes est attendue sur 2020, mais ce sera un moindre mal si le marché reprend dès 2021... Nous croyons à la capacité de rebond du marché mais la priorité des entreprises ne sera pas l'immobilier à court terme, leur priorité sera d'organiser la reprise, la sécurité de leurs collaborateurs. On devrait avoir un retour de la demande plutôt en septembre dans le meilleur des cas, à conditions que l'été se passe bien au niveau sanitaire. L'essentiel pour 2020 maintenant est de limiter la casse et préparer la suite. »

Des "hub & club" à l'anglo-saxonne

L'autre impact de la crise sanitaire se situera probablement dans les évolutions des entreprises en termes de « consommation » d'espaces. L'accélération opérée dans la digitalisation des modes de travail, le déploiement massif du télétravail ou les nouveaux impératifs de distanciation sociale vont insuffler de nouveaux comportements dans les organisations de travail. Et les stratégies des entreprises en matière de bureaux vont s'adapter.

« Les usages vont évoluer, analyse Nicolas Huet. Certaines sociétés qui optimisaient les espaces en densifiant vont maintenir une partie de leurs effectifs en télétravail. Les grands open-spaces vont-ils disparaître ? C'est trop tôt pour le dire. Mais tant qu'on n'aura pas de solutions contre le Covid, on va devoir s'habituer à prendre des distances. »

Christèle Marnas développe une observation similaire : « Selon l'étude de Bureaux Locaux, qui a interrogé 200 agents spécialisés en immobilier d'entreprise, 80 % des conseils spécialisés en immobilier d'entreprise estiment que le marché des commerces sera le plus bouleversé... Le télétravail a été une forme de révélation pour beaucoup de monde. On ne pourra plus faire venir tous les effectifs en même temps sur les plateaux. A moyen terme, on estime à 23 % le nombre de salariés qui resteront en télétravail, avec des rotations et on utilisera le télétravail comme variable d'ajustement... Dans les enquêtes qu'on a mené sur bureaux, un dirigeant sur 2 déclare qu'il va réaménager ses bureaux pour répondre à la nouvelle situation, et 60 % pensent que le télétravail va continuer dans une organisation globale multi-sites maison-coworking-présentiel. Et aujourd'hui, des gens réfléchissent même déjà sur l'idée d'avoir tous les collaborateurs en télétravail et de n'avoir en bureaux qu'un espace plus petit sous forme "hub & club" où les salariés pourront se croiser et échanger, à l'anglo-saxonne ».

« L'open-space sauvage a vécu ! »

Un phénomène pourrait se développer dans les pratiques des entreprises : aller vers une diversification de leurs options d'accueil et proposer à leurs salariés le télétravail à domicile ou des solutions externes comme le coworking.

« Les questions sanitaires vont être regardées de très près, prédit Michel Peinado. On ne s'attend pas à une baisse des m2 placés mais à celle du ratio d'occupation. Les entreprises avaient pour habitude d'optimiser les espaces pour questions budgétaire. On va probablement observer une modification d'aménagement des plateaux, avec peut-être un retour en arrière : l'open-space sauvage a vécu ! Pour améliorer le confort de chacun, on devrait revenir sur des espaces plus protégés au niveau individuel. On va aller désormais vers moins de présence simultanée dans les bureaux du fait du télétravail, avec donc un besoin d'agilité et comme solution, le coworking. »

C'est pourquoi, même si à court terme, la promiscuité et le brassage propres au coworking risquent de constituer un frein à ces espaces pourtant très en vogue avant la crise, ce besoin de solutions alternatives aux bureaux (un poste de dépenses important) ou au télétravail à domicile (pas toujours possible) pourrait constituer une opportunité pour le coworking.

Un autre phénomène pourrait aussi favoriser le coworking. Nicolas Huet rapporte ainsi que « certaines grosses entreprises commencent déjà à réfléchir à ne pas mettre le risque au même endroit ». La solution : envoyer leurs salariés travailler non plus tous dans le même immeuble ou la même ville mais les décentraliser, ce qui répondrait aussi à des besoins de bien-être et de qualité de vie, et permettrait aux entreprises de rester attractives.

« Les entreprises vont réfléchir à travailler plus avec des satellites, pour être plus agiles et flexibles, analyse Michel Peinado. Ce phénomène de décentralisation pourrait se voir sur les grosses villes comme Paris vers les régions. Ça pourrait être profitable aux villes comme Montpellier, mais ce n'est pas pour demain, plutôt pour après-demain... »

Toutes ces évolutions auront-elles un impact sur les prix du marché de bureaux ?

« Sur le plan des loyers, peu de demandes sont remises du fait de la situation, ils vont donc rester stables, tout comme les prix de vente », pronostique Christèle Marnas.

* La SA3M vient de lancer un appel à projet tertiaire pour la construction de 22 000 m2 de surface de plancher sur la ZAC Cambacérès, et les permis de construire sont en cours de dépôt par les promoteurs lauréats du 1er appel à projet pour 32 000 m2 de bureaux attribués fin 2018 (CFC/Linckity/Denux, FDI Promotion/Tissot, Nexity/Pégase Cirrus et Eiffage Immobilier/Kaufman&Broad).

Cécile Chaigneau

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Commentaire 1
à écrit le 21/05/2020 à 18:56
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Bonjour, Article intéressant, mais je pense que derrière le télétravail qui s'est fortement déployé ces derniers temps se cache plus une débrouillardise avec les moyens/méthodes du bord pour continuer de produire qu'un véritable télétravail au sens ...

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