Dans l’Hérault, les professionnels du bâtiment affichent un optimisme vigilant (car teinté d’incertitudes)

INTERVIEW – Pilier économique du département de l’Hérault, le secteur du bâtiment tangue au gré des ralentissements des mises en chantier ou des augmentations de prix des matériaux ou de l’énergie. Malgré les 8.000 logements annoncés il y a un an par la Métropole de Montpellier, une annonce qualifiée de « choc de l’offre », les professionnels du secteur craignent un trou d’air d’ici leur arrivée en production. Thierry Ducros, le président de la FFB de l’Hérault, alerte les élus sur la nécessité de lancer sans attendre leurs projets de construction. Tout comme il insiste sur le PLUI de la Métropole montpelliéraine, dont la révision pourrait aboutir en 2023 et qui est attendu par les entreprises comme le messie…
Cécile Chaigneau
Thierry Ducros, président de la Fédération française du bâtiment (FFB) de l'Hérault.
Thierry Ducros, président de la Fédération française du bâtiment (FFB) de l'Hérault. (Crédits : DR)

Quel vent souffle sur le bâtiment dans l'Hérault, l'un des piliers économique du département ? La fédération française du bâtiment y compte 850 entreprises adhérentes, employant un peu plus de 10.000 salariés (pour un effectif salarié total de 24.285 personnes et 2.660 intérimaires en équivalents temps plein dans l'Hérault). Son président, Thierry Ducros, fait le point.

LA TRIBUNE - Quelles sont les grandes tendances conjoncturelles du bâtiment dans l'Hérault ?

Thierry DUCROS - Le secteur a enregistré 2.000 nouveaux salariés  en CDI en 2023 et une baisse de 14% des demandeurs d'emploi mais qui est surtout le résultat d'un important nettoyage des qualifications au niveau national. Le secteur a créé de l'emploi alors que le nombre de mises en chantier de logements neufs a baissé de 10% en 2022, car nous avions pris du retard sur les chantiers, non pas liés du fait du Covid mais parce que nous avons subi des retards dans les approvisionnements. 2022 a donc permis de rattraper les retards de chantier de 2020 et 2021. Le point positif, c'est que les défaillances d'entreprises n'ont augmenté que de 14% en 2022 par rapport à 2021, ce qui est bien inférieur au niveau de défaillance enregistré en Haute-Garonne qui, lui, a progressé de 80% ! Nous l'expliquons par l'annulation du PLUI (plan local d'urbanisme intercommunal, NDLR) de la Métropole de Toulouse, ce qui a conduit à la remise en cause de chantiers et mis des entreprises en difficulté.

Justement, la Métropole de Montpellier pourrait présenter son nouveau PLUI en 2023. Est-ce une source d'espoir ou d'inquiétude ?

Je tire la sonnette d'alarme pour que les maires de la Métropole de Montpellier prennent leurs responsabilités sur ce futur PLUI : ne faisons pas les mêmes erreurs qu'à Toulouse, travaillons en bonne intelligence, réfléchissons mais ne décalons pas trop. Et faisons en sorte qu'il ne soit pas attaquable ! Le secteur du bâtiment attend ce PLUI.

La Métropole a annoncé, il y a un an environ, un choc de l'offre avec 8.000 logements neufs en deux ans. C'était déjà une bonne nouvelle pour vos entreprises...

C'est vrai que nous attendions ce choc de l'offre mais ces logements n'arriveront pas en production avant fin 2024 ou début 2025. D'où notre inquiétude sur le trou d'air qui s'annonce sur le 2e semestre 2023, où les carnets de commandes se réduisent, et sur l'année 2024 sur laquelle les entreprises n'ont à ce jour aucune visibilité ! J'ai pris le taureau par les cornes et une réunion est prévue début avril avec le bureau des maires de l'Hérault pour les sensibiliser à la situation et les inciter à lancer leurs projets.

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Quel est votre message à l'attention des élus, qui peuvent être un peu frileux compte tenu du contexte général et en particulier énergétique, et inquiets de la hausse des coûts de construction ?

Médiatiquement, un mauvais message circule selon lequel que le bâtiment va augmenter ses prix de 25%. C'est faux ! Aujourd'hui, nos devis tiennent compte des augmentations de prix des matériaux et de l'augmentation des salaires, qui a été de +10 à 12% entre 2021 et 2023. L'augmentation des prix n'excède pas les + 8 à +10%... Il faut dire aux maîtres d'ouvrage publics et privés ou aux particuliers qu'il ne faut espérer une baisse des prix ni s'attendre à ce que les professionnels bradent les prix, ce serait suicidaire ! Aujourd'hui, les prix se sont stabilisés mais ne rebaisseront plus. Et on ne va pas non plus baisser les salaires. Il n'y a que 70% des entreprises du bâtiment qui sont à l'équilibre ou réalisent un petit profit. Donc n'attendez pas une baisse pour lancer vos appels d'offres... D'autant que dans le plan France Relance, 1,3 milliard d'euros sont fléchés pour l'Occitanie dont 130 millions d'euros pour le département de l'Hérault. Au 3e trimestre 2022, seulement 7% des dossiers liés à ce plan ont été instruits, donc il reste une enveloppe à dépenser. Le préfet va mettre en place un outil pour voir où sont les points bloquants sur les projets : problème de financement d'Etat, de la Région, du Département, problème bancaire ? Une réunion est prévue fin mars à ce sujet.

Les entreprises du bâtiment peuvent-elles compter sur les chantiers de rénovation, et notamment de rénovation énergétique ?

On ne voit pas beaucoup de projets sortir en rénovation énergétique alors que le Président Macron avait annoncé un vaste programme dans toutes les écoles de France ! Nous sommes en incapacité de répondre sur la rénovation énergétique : 70% des entreprises adhérentes de la FFB sont labellisées RGE (certifiées et reconnues par l'Etat dans le domaine spécifique des travaux de rénovation énergétiques, NDLR). Ça pourrait compenser l'attente du choc de l'offre. Mais on sent qu'aujourd'hui, les maires sont inquiets pour leur facture énergétique et ont mis de côté leurs investissements.

Beaucoup de secteurs ont du mal à trouver des candidats à l'emploi. Qu'observez-vous dans votre secteur ?

C'est un gros problème à tous les échelons de l'entreprise. Il y a quelques belles réussite avec l'apprentissage qui a été prolongé jusqu'à 29 ans : on voit arriver des personnes de 23 à 25 ans qui se reconvertissent dans le bâtiment, et qui arrivent avec un certain bagage intellectuel et donc une intégration dans les entreprises qui va plus vite. Mais nous allons encore davantage promouvoir nos métiers, qui se sont beaucoup modernisés, et les évolutions possibles. On voit que les métiers se féminisent, notamment des métiers de finition, y compris dans l'encadrement. Mais en effet, on souffre quand même d'une pénurie de candidats : pour 65% des chefs d'entreprises, leur problème principal est un problème de recrutement, loin devant les problèmes de carnets de commande ou de trésorerie.

Un mot sur la réforme des retraites : comment est-elle perçue dans vos rangs ?

Nous concentrons notre vigilance sur le volet pénibilité. Nous ne voulons pas revenir sur les débats surréalistes de 2012, avec des mesures qui étaient impossibles à appliquer ! Le travail à faire en profondeur, c'est celui sur les carrières longues : nous sommes favorables aux premières avancées là-dessus. Nous souhaitons que la pénibilité ne soit pas accordée à l'ensemble du personnel des entreprises du bâtiment, l'impact n'étant pas le même pour une secrétaire que pour un ouvrier de chantier. Et nous sommes surtout très favorables à un dispositif : celui de formation et de tutorat pour les seniors pour transmettre les savoirs.

Êtes-vous optimiste pour 2023 ?

Le bâtiment est dans un élan positif. Au niveau national, on mise sur une croissance de 0,7% en 2023 mais elle devrait être un peu supérieure dans l'Hérault, nous restons optimistes. Même si nous sentons une frilosité budgétaire des investisseurs, bailleurs ou maires. Et attention, si le bâtiment éternue, il y aura des répercussions sur toute la chaîne de valeur de l'acte de bâtir et sur l'emploi !

Cécile Chaigneau

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