Nucléaire : "Notre activité ne s'est jamais arrêtée" (Philippe Knoche, DG d’Orano)

L’usine d'Orano Melox, située à Marcoule dans le Gard, fabrique des assemblages de combustibles Mox élaborés à partir de mélange d’oxyde d’uranium et de plutonium issu de combustibles usés. Durant la crise du Covid-19, le géant mondial du nucléaire a dû s’organiser pour assurer la continuité de son activité, stratégique pour préserver l’alimentation de centrales nucléaires en combustibles et ainsi assurer la production d’électricité. Après La Hague le 14 avril dernier, Philippe Knoche, directeur général d’Orano*, était en visite le 18 mai sur le site gardois et sur celui de Tricastin (Drôme et Vaucluse). Entretien.
Cécile Chaigneau
Philippe Knoche, DG d'Orano.
Philippe Knoche, DG d'Orano. (Crédits : E. Larrayadieu/Orano)

Durant cette crise sanitaire, votre activité est stratégique puisqu'elle touche au secteur de l'énergie et permet notamment d'alimenter des centrales nucléaires en combustible. Quel a été le plan de continuité de l'activité du site de Melox (production annuelle de plus de 100 tonnes de combustibles recyclés) ?

Philippe Knoche : « Notre activité ne s'est jamais arrêtée. Nos usines sont conçues pour tourner 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Il a d'abord fallu protéger les personnes fragiles, mettre en place les mesures sanitaires, ce que nous avons fait dès février en voyant la dynamique qui s'installait en Asie, avec notamment la recherche de masques, de tenues, etc. Dans notre plan de continuité, nous avons été aidés par la forte digitalisation qui avait déjà été opérée, afin de basculer en télétravail. Le site d'Orano Melox dans le Gard emploie habituellement 800 personnes (et fait travailler environ 500 personnes en sous-traitance, NDLR). Durant la période de confinement, 200 personnes étaient présentes sur le site au quotidien, soit 360 personnes par roulement d'équipes. Le management a pris un rythme synchronisé de façon à assurer une présence de 6 h à 22 h, et le comité exécutif faisait des points quotidiens et hebdomadaires... Nous avons complètement revu notre organisation du travail, tout comme sur les autres sites Orano. Il est important de garder le lien avec les équipes, qui ont été très mobilisées, et un dialogue social. D'ailleurs, un accord a été signé de manière unanime avec l'ensemble des organisations syndicales (CFDT, CFE-CGC, CGT, FO, UNSA-SPAEN - ndlr). »

Avez-vous eu recours au dispositif d'activité partielle ?

« Cela a été nécessaire en partie : sur 13 000 salariés au total dans le groupe, plus de 2 000 ont été en activité partielle à un moment, soit environ 20 % des salariés. Notamment parce qu'on a dû arrêter les chantiers non urgents, comme le démantèlement ou les prestations pour le CEA. »

Aujourd'hui, à quel niveau d'activité êtes-vous ?

« En termes de production, on est toujours resté à 100 %. En revanche, il y a toujours 20 % d'activités qui sont encore impactées car liées à la préparation du futur ou aux formations, qui ont été difficiles à maintenir. Mais elles remontent toutes progressivement en puissance. A Tricastin, les ateliers de transformation de l'uranium ont repris ou montent en puissance, et l'objectif est de redémarrer l'usine de conversion de l'uranium à la fin de ce mois. Sur le site de La Hague, qui s'était arrêté au début de la crise, le temps de mettre en place les mesures barrières, les deux usines fonctionnent et les chantiers de démantèlement reprennent... Globalement, des projets de moindre urgence ou contraints par la conjoncture dans le BTP ont été arrêtés. Pour le groupe, les impacts les plus forts sont sur les mines canadiennes, qui se situent dans une zone reculée et ont été arrêtées car le transport devenait difficile à maintenir. »

Visite de Phlippe Knoche (DG d'Orano) sur le site d'Orano Melox dans le Gard, le 18 mai 2020

 Philippe Knoche en visite sur le site d'Orano Melox, le 18 mai 2020 (© Orano).

Aviez-vous déjà vécu une crise d'une importance similaire à celle-ci ?

« On est entraînés à la gestion de crise, mais une crise similaire à celle-ci, non... Cette crise est différente sur deux points essentiellement. Tout d'abord sa durée : en observant ce qu'il se passait en Asie, on s'est outillé, équipé, et le comité exécutif a rapidement compris que ça allait durer. Et ensuite son caractère global : on s'entraîne à des crises qui ne touchent que nous, mais là, cette crise touche tout le monde jusque dans les vies personnelles, c'est donc humainement très différent. »

Quelle a été votre contribution à la solidarité nationale ?

« Plus d'une quarantaine d'initiatives de salariés de tout le groupe ont été lancées. Par exemple, ici dans le Gard, nous avons produit plusieurs milliers de visières en plexiglass dans notre Fab-lab... Orano a évidemment pu fournir des masques à tous ses salariés et sous-traitants, mais il a aussi donné plus de 60 000 masques haute qualité aux hôpitaux et professionnels de santé français, ainsi que 30 000 tenues de protection. Dans le cadre du Groupement des Industriels Français de l'Énergie Nucléaire (GIFEN, ndlr) et de l'UIMM, Orano est aussi intervenus dans la filière pour fournir 400 000 masques chirurgicaux aux PME/TPE du secteur. »

Sur le site d'Orano Melox, vous deviez boucler, fin 2020, la construction d'un nouveau poste de commandement de crise (16 M€). Vous deviez aussi démarrer une campagne de fabrication de 32 assemblages combustibles Mox pour le Japonais NFI (Nuclear Fuel Industries). Les projets sont-ils retardés ?

« La crise a eu un impact fort sur secteur du BTP. Nous allons maintenant évaluer la situation mais il y aura probablement de plusieurs mois de décalage sur le projet du poste de commandement... Quant à la production, aujourd'hui, elle est essentiellement pour EDF et pour notre client néerlandais EPZ. Pour NFI, nous envisagions de reprendre à l'été mais le client doit venir sur place pour le lancement de cette campagne et nous espérons donc que ce sera pour la fin d'année ou début 2021. »

Vous êtes membre fondateur de la CleanTech Vallée à Aramon (30), initiée par EDF et portée par de nombreux acteurs économiques et collectivités du territoire. Elle a vocation à accompagner la transition écologique. Quelle est votre contribution et qu'en attendez-vous ?

« Pour développer le tissu industriel et technologique de la région, c'est fondamental. En partenariat avec EDF et l'ensemble de la filière - et en bonne compréhension avec les acteurs publics, ce qui est important - c'est une sorte de pot technologique. Cela permet de développer des projets ou de faire le point sur les besoins de formation. On peut mettre nos moyens à disposition, comme par exemple notre fab-lab, mais aussi nos moyens physiques pour le prototypage, ou méthodologiques. »

Où en sont les négociations en Chine pour finaliser un contrat pour la construction d'une usine de traitement de combustibles nucléaires usagés ?

« On est dans une négociation qui dure depuis longtemps, c'est vrai, mais qui traduit la taille du projet concerné et aussi notre volonté d'aboutir à un contrat équilibré en termes de prestations, de risques, de technologies. Ces technologies que nous proposons sont uniques - elles permettent d'atteindre 10 % de l'électricité produite en France à partir de combustibles recyclés. La négociation est exigeante et je ne m'engage pas sur un timing. »

Quel avenir pour le combustible alors que de nombreux pays renoncent au nucléaire et que des débats existent dans d'autres pays ? Êtes-vous confiant sur l'avenir du nucléaire ?

« On a tropisme un peu germanique quand on dit que de nombreux pays abandonnent le nucléaire... Depuis 2012, le monde produit de plus en plus d'électricité à partir du nucléaire, suivant une progression de 1 à 2 % par an. Au début de la cette décennie, on battra le record de la plus grosse production jamais faite par le parc nucléaire mondial, essentiellement tiré par l'Asie. Le nucléaire, dans son cycle de vie, émet aussi peu de CO2 que l'éolien. On voit que mobilité électrique se développe. Et le sujet du climat restera. Si on veut tenir les objectifs d'émission de gaz à effet de serre établis par le GIEC, on aura besoin de tout le monde, donc des énergies renouvelables mais aussi de l'appui du nucléaire qui produit non-stop. »

Anticipez-vous une accélération du démantèlement de réacteurs ?

« Cela dépend des zones géographiques. En ce moment et malgré la crise, nous démantelons nos propres usines mais aussi pour le CEA ou pour EDF, et à l'international. Par exemple, nous démantelons en ce moment le circuit primaire de la centrale de Brunsbüttel en Allemagne, et d'une centrale dans le Vermont aux États-Unis. »

Le Conseil d'Administration d'Orano a annoncé, le 14 mai dernier, la nomination de Claude Imauven à la présidence du Conseil d'Administration du groupe. Il succède à Philippe Varin, lui-même appelé à présider le Conseil d'Administration du groupe SUEZ.

Cécile Chaigneau

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Commentaires 3
à écrit le 19/05/2020 à 11:17
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Orano/Areva/Cogema/Framatome quel sera votre nouveau nom messieurs de la faillite ?Ce qui est sur, c'est que vous allez avoir du travail avec tous les réacteurs nucléaires à arrêter en France. Ce week-end il y avait 56 % du nucléaire à l'arrêt en...

à écrit le 19/05/2020 à 11:12
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Oui le nucléaire est très important pour la fourniture d'électricité ainsi que les usines de retraitement du combustible usé. Dans cette période si particulière pour nous tous, le nucléaire n'a pas cesser de fonctionner donc cet un élément indispensa...

à écrit le 18/05/2020 à 19:12
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"Notre activité ne s'est jamais arrêtée" : ben heureusement !

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