« Nous avons neuf ans pour devenir un grand de l’hydrogène » (Florence Lambert, P-dg de Genvia)

INTERVIEW. Depuis Béziers et l’usine Cameron-Schlumberberger, elle aura pour mission de piloter la co-entreprise Genvia avec pour ambition d’impulser le transfert industriel d’une technologie disruptive d'électrolyseur, développée par le centre de recherche grenoblois. Florence Lambert, nommée présidente de Genvia, prendra ses fonctions le 1e mars.
Cécile Chaigneau
Florence Lambert, présidente de Genvia, prendra ses fonctions le 1er mars 2021.
Florence Lambert, présidente de Genvia, prendra ses fonctions le 1er mars 2021. (Crédits : DR/Pierre Jayet)

Florence Lambert prendra ses fonctions de P-dg de la co-entreprise Genvia le 1er mars prochain, et partagera son temps entre l'usine Cameron-Schlumberger de Béziers (34) et le CEA de Grenoble. La joint-venture disposera d'un conseil d'administration qu'elle qualifie de « prestigieux », composé de représentants des partenaires fondateurs : François Jacq et Philippe Stohr (respectivement administrateur général et directeur des énergies du CEA de Grenoble), Ashok Belani et Olivier Peyret (vice-président exécutif des nouvelles énergies, et président du marché français chez Schlumberger), Guy Sidos (P-dg du cimentier Vicat), Pascal Baylocq (président de Geostock, filiale du groupe VINCI Construction) et Stéphane Péré (directeur général de l'AREC Occitanie). Objectif de Genvia : rendre l'hydrogène décarboné compétitif par rapport aux autres sources d'énergies.

La Tribune - C'est entre autres votre expérience de vingt années au sein du CEA-Liten (l'un des principaux instituts dédiés à la transition énergétique en Europe) qui a orienté le choix de vous nommer à la tête de Genvia. Quel challenge cela représente-t-il pour vous ?

Florence Lambert - « Passer du côté industriel... Un de mes chevaux de bataille a toujours été d'être dans la transition énergétique. Soutenir une industrie, comme le sera Genvia, est une continuité dans le combat. C'est pouvoir se retrousser les manches et être du côté des acteurs de la transition énergétique. »

L'objectif de Genvia est d'impulser le transfert industriel d'une technologie disruptive d'électrolyseur d'oxyde solide à haute performance, développée par le CEA grenoblois. A quel stade en est cette solution innovante et comment la présenter de manière simple ?

« Comme tous les électrolyseurs, il s'agit de casser la molécule d'eau pour séparer l'oxygène et l'hydrogène, mais de casser la molécule à l'état de vapeur d'eau à haute température, ce qui offre un rendement meilleur. Le CEA avait commencé à la développer il y a longtemps. Elle offre de très bonnes performances et nous disposons d'un portefeuille de brevets qui nous place au-dessus de la mêlée, dans le Top monde en matière de technologie ! Il y a deux ans, on s'est dit que pour basculer dans un événement industriel, il fallait être en capacité de dérisquer la technologie. Le CEA fait de la recherche technologique via des plateformes technologiques, sortes de petites usines qui permettent d'avoir toutes les étapes du procédé, de travailler sur la reproductibilité et de recruter des personnes venant de l'industrie et en maitrisant les référenciels. Cela permet de maturer et de dérisquer la technologie. Et au bout de deux ans, il nous fallait un partenaire industriel à même de projeter cette technologie, ce qui nous a conduit à Schlumberger. »

Cette innovation est-elle aboutie ou le CEA continue-t-il de travailler dessus ?

« Nous conservons une entité qui est précieuse, le centre de transfert de technologie de Grenoble, afin d'accompagner l'industrialisation. Et le défi de la compétitivité, c'est qu'il faudra maintenir cette compétitivité pendant trente ou quarante ans, donc il faut continuer à injecter de l'innovation. Le rôle du CEA sera donc crucial. C'est comme ça que l'Europe peut l'emporter car elle a gardé de très bons laboratoires, comme celui de Grenoble. Genvia est un mariage de long terme. »

Quels sont les enjeux de la future gigafactory Genvia ?

« Dans l'usine de Cameron-Schlumberger, à Béziers, nous allons fabriquer les unités qui elles-mêmes et pourront être installées partout pour produire de l'hydrogène, à partir d'une source de production d'électricité décarbonée. Le plus courant sera probablement des énergies renouvelables, mais on peut aussi valoriser la technologie nucléaire. Et si une installation dispose en plus d'un point chaud à 150°, notre technologie prend encore 15% de rendement supplémentaire (plus l'environnement est chaud, plus la part de l'énergie électrique pouvant être remplacée par l'énergie thermique est élevée, ce qui est avantageux pour le rendement, NDLR). L'usine produira les électrolyseurs aux meilleures performances, c'est à dire un prix de l'hydrogène inférieur à 2 euros le kg, et dans l'hypothèse de 40 euros le MWh. Ce qui nous place parmi les technologies les moins chères. »

Le secteur va bénéficier d'une manne de financements exceptionnelle de la part du gouvernement français, dans le cadre du plan France Relance, avec près de 7,2 milliards d'euros d'aides annoncées pour la filière de l'hydrogène. On imagine que vous souhaitez capter une partie de ces financements ?

« Genvia, via Schlumberger, a déposé un projet dans le cadre de l'IPCEI (Important Project of Common European interest, NDLR) permettant d'avoir des aides spécifiques. On entend jouer la partition sur l'échelle européenne. Nous aurons une réponse dans six mois. »

Pourquoi est-ce l'usine Schlumberger de Béziers qui a été choisie pour installer cette gigafactory ?

« Il y avait deux atouts principalement. Le premier est que le site est déjà un site industriel, avec des autorisations déjà acquises, ce qui nous fait gagner du temps. Le second, c'est la similitude des compétences. Le site de Béziers fait des Blow Out Preventer (en français, bloc obturateur de puits, NDLR), sortes de grandes mâchoires destinées aux plateformes pétrolières, et qui nécessitent des compétences en mécanique, chaudronnerie, métallurgie, etc. Or nous allons retrouver dans les technologies de l'hydrogène les mêmes compétences de base que dans les métiers de l'oil & gas. Une quarantaine de salariés du site de Cameron vont nous rejoindre dès maintenant, et nous aurons aussi une dizaine de personnes sur le site de Grenoble. A terme, la gigafactory Genvia générera plus de 500 emplois directs. »

Quel est le montant de l'investissement nécessaire pour cette gigafactory ?

« C'est confidentiel, mais disons quelques dizaines de millions d'euros pour commencer. Nous récupérons un bâtiment complet avec déjà toutes les autorisations. Cette usine a plus de 100 ans, c'est un joli témoignage industriel qui se poursuit. »

Comment et sur quel calendrier va se matérialiser le projet ?

« Les premiers équipements vont arriver vite et la première ligne pilote de fabrication sera prête en juillet, de manière à commencer à produire en pré-série les premiers modules, mais aussi à former les personnels et à travailler sur les fenêtres de procédés. En 2022, nous augmenterons la cadence pour faire les premiers systèmes complets. Et l'objectif est de produire plusieurs démonstrateurs de 300 KW en 2023 et des électrolyseurs d'une capacité de plusieurs mégawatts en 2024. Notre objectif est d'atteindre la fabrication d'électrolyseurs d'une capacité d'au moins 1 GW en 2030. »

Préparez-vous déjà la montée en puissance et donc en compétences de l'usine de Béziers ?

« Nous commençons à regarder dans les lycées techniques de la région, sur les compétences industrielles en mécanique, métallurgie, thermique, électricité, fluidique. »

Comment s'articulera cette nouvelle activité avec l'activité aéronautique de Cameron ?

« Cameron va continuer à se développer sur ses métiers historiques. »

Quelles sont les éventuels obstacles que vous aurez à surmonter ?

« Essentiellement la question du temps de mise sur le marché, puisque les preuves de concept ont déjà été faites. Tout retard par rapport à un autre acteur industriel dans le monde peut être difficile. Notre objectif est d'être au rendez-vous à horizon 2030 sur un marché qui sera plus massifié. Nous avons neuf ans pour devenir un grand de l'hydrogène. Je suis sereine sur le développement mais il ne faut pas prendre de retard sur les 1e débouchés sur le marché. »

Quelles seront les premières applications ?

« La fourniture d'hydrogène industrielle en premier lieu, l'accompagnement des énergies renouvelables, et, le plus difficile, la mobilité. Cette dernière application se fera en complémentarité des batteries, l'hydrogène adressant notamment les usages intenses et les mobilités lourdes comme les grosses flottes de véhicules, les camions, les bus, les trains, les bateaux. Ce segment sera sûrement un sous-produit des deux premiers segments. Mais c'est un vrai sujet pour les territoires car on mettra une station hydrogène en fonction des industries, des champs solaires, etc. »

Se pourrait-il que vous équipiez un jour la future usine de production d'électricité de Port-la-Nouvelle, projet porté par la société de projet Hyd'Occ (Qair Premier Element et Arec, agence régionale énergie-climat de l'Occitanie) ?

« Oui, il peut y avoir une rencontre sur ce projet. L'Occitanie a initié les discussions avec ses acteurs de l'énergie. »

Vous aviez pris, en 2018, la présidence de la Commission Industrie, Emplois et Innovation du Syndicat des Energies Renouvelables (SER). Conservez-vous des fonctions au sein du syndicat ?

« Oui. Genvia va adhérer et je resterai à la tête de cette commission. Genvia fera partie des sujets poussés par le syndicat, en lien avec France Hydrogène, en cultivant le lien avec la production d'énergies renouvelables, une des clés de la compétitivité de l'H2. »

Cécile Chaigneau

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Commentaires 6
à écrit le 17/02/2021 à 10:32
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Quel est le bilan carbone de la fabrication de l'hydrogène? Quel bilan carbone pour la fabrication de tout ce qui tourne autour de l'hydrogène et de son utilisation? On va finir par s'apercevoir que comme toute "start-up", elle veut vivre sur la bêti...

le 17/02/2021 à 12:10
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0 à 25kg de CO2 / litre d’hydrogène. La, je pense qu’ils visent l’amélioration des rendements pour faire 0kg de CO2 par litre. Pour le moment, le rendement est faible. C’est bien d’industrialiser s’ils ont un bon prototype ou suffisamment de connaiss...

à écrit le 17/02/2021 à 10:25
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MdR, jetez un coup d'oeil au profil de la dame et vous verrez qu'elle a toutes les qualifications pour ce poste ;-) Encore un gouffre à subventions en perspective.

à écrit le 17/02/2021 à 9:56
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Pourquoi neuf ans ? Pourquoi pas dix, huit ou même cinq ?

le 18/02/2021 à 19:14
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2030.

à écrit le 17/02/2021 à 9:33
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"La joint-venture disposera d'un conseil d'administration qu'elle qualifie de « prestigieux »" Ah non de grâce pas le "prestige" ! Pitié même !

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