Le maire, la coopérative et les chapeaux : dans l’Aude, le lent réveil d’une vallée ouvrière

Ils veulent écrire le prochain chapitre de l’histoire moderne du chapeau en Haute Vallée de l’Aude… Dans cette vallée ouvrière, abîmée par quarante années de désindustrialisation, une coopérative, MontCapel, et un maire, celui de Montazels, portent ensemble un projet de territoire autour de la relance de la fabrication ancestrale de chapeaux "made in Occitanie". Récit d’un combat.
Cécile Chaigneau
La coopérative MontCapel, créée en septembre 2019 à Montazels (Aude), ambitionne de relancer durablement l'industrie chapelière qui a fait les beaux jours de la Haute Vallée de l'Aude.
La coopérative MontCapel, créée en septembre 2019 à Montazels (Aude), ambitionne de relancer durablement l'industrie chapelière qui a fait les beaux jours de la Haute Vallée de l'Aude. (Crédits : MontCapel)

Un peu d'histoire pour commencer : qui se souvient qu'en Haute Vallée de l'Aude, on fabriquait des chapeaux à grande échelle depuis la deuxième moitié du 19e siècle ? L'âge d'or de cette activité se situe dans les années 1920-1930, où sont alors en activité une quinzaine de chapelleries, employant plus de 6.000 personnes. Les chapeaux et cloches (matière première en feutre qui sert de base à la fabrication du chapeau) étaient exportés dans le monde entier, et la production était d'environ 2 millions de chapeaux et 8 millions de cloches par an...

Mais à partir des années 1960, la mode change et le port du chapeau recule. Dans les années 1970-1980, la situation des manufactures chapelières se complique et un long déclin s'amorce, tandis que la fabrication des chapeaux est accaparée par l'Asie... La dernière chapellerie encore en activité, n'employant plus qu'une dizaine de salariés, réussit à perdurer jusqu'en mars 2018 dans le village de Montazels (environ 600 habitants) situé à une heure au sud de Carcassonne.

C'était sans compter sur la détermination d'une poignée d'irréductibles citoyens de ce territoire rural, très attachés à un savoir-faire ancestral qui a nourri bon nombre de familles. Parmi eux, Sonia Mielke, originaire de Montazels, qui ne se résout pas à abandonner l'ancien site de la chapellerie de Montazels, dernière chapellerie de France capable de fabriquer son feutre et ainsi de fabriquer un chapeau, de la laine au chapeau fini. Elle fait le pari de ressusciter cette activité, de la développer et d'en faire une entreprise économiquement viable.

Un patrimoine industriel de 1.500 moules

Sur la friche industrielle, devenue propriété de la commune, les immenses bâtiments presque à l'abandon recèlent encore des trésors : un outil de production avec des machines (centenaires) et 1.500 moules (permettant plus de 500 modèles de chapeaux différents). Un patrimoine industriel d'exception qui sera la base du projet.

Pendant presqu'un an, Sonia Mielke étudie le sujet et rencontre acteurs privés et publics. En septembre 2019, elle a réussi à mobiliser un premier groupe de personnes, sept coopérateurs, qui décide de créer MontCapel sous le statut de Scic (Société coopérative d'intérêt collectif). L'Union régionale des Scop (URSCOP) accompagne et soutient le projet et une relation de confiance et de collaboration se crée avec la mairie de Montazels.

« Nous avions alors besoin de beaucoup d'argent pour remettre le site en fonctionnement, notamment pour réparer les machines, raconte Sonia Mielke, aujourd'hui présidente et dirigeante bénévole de la coopérative. Nous avons collecté 350.000 euros auprès des coopérateurs (part sociale à 100 euros, NDLR), qui sont aujourd'hui 250, et cet argent a permis de redémarrer l'activité. »

A Montazels, le maire, Christophe Cuxac, est très investi dans le projet : « Sonia Mielke refusait d'abandonner ce patrimoine et elle a réussi à convaincre les anciens employés de tenter quelque chose. C'est ce modèle de Scic qui a permis d'embarquer tout le monde ! Cinquante personnes se sont portées bénévoles pour nettoyer l'usine... Aujourd'hui, la commune est actionnaire à 28% de la Scic ».

En effet, dès octobre 2019, les premiers ouvriers rejoignent le projet et deviennent coopérateurs à leur tour.

Des cloches de feutre en laine mérinos d'Arles

Aujourd'hui, c'est Serge Anton qui pilote la chapellerie, dans laquelle travaillent désormais douze salariés, « 9 à plein et 3 à mi-temps », précise Sonia Mielke.

« Pour le moment, une seule ligne de production pour le feutre est en fonctionnement, et on aimerait en avoir une deuxième à l'avenir mais ça coûtera 300.000 euros de la remettre en état », explique la présidente de MontCapel.

La coopérative travaille pour des créateurs, des modistes, des designers et des marques (que Sonia Mielke préfère taire) qui créent les chapeaux et lui en confient la manufacture. Elle leur fournit des cloches en feutre, des chapeaux semi-finis et des chapeaux finis.

« La fabrication et le travail de la cloche est ce qui nous différencie, ajoute-t-elle. Nos cloches sont fabriquées à base de laine mérinos d'Arles française, ce qui est unique sur le marché. Nous proposons aussi des chapeaux sous la marque MontCapel qui sont vendus directement à la chapellerie, mais ça reste l'exception. Nous étions d'ailleurs présents avec notre marque au salon "Made in France" à Paris en novembre 2021... » 


La coopérative espère réaliser un chiffre d'affaires de 300 000 euros en 2022 : « Nos carnets de commande sont pleins mais notre problème, c'est notre productivité : des jeunes sont arrivés sans le savoir-faire des anciens, les gens sont polyvalents, et on ne va pas assez vite par manque d'expérience et d'efficacité. Alors maintenant, la priorité, c'est la transmission des savoirs. Il faut donc les structurer pour assurer leur transmission quand les plus anciens s'en iront ».

L'autre priorité de la coopérative, c'est de consolider son modèle. Car l'activité chapelière est insuffisante pour rentabiliser à elle seule toute la friche industrielle, qui se révèle notamment un gouffre en termes de chauffage. Son précaire équilibre est menacé et sa pérennité ne sera possible qu'à condition d'y adosser un autre projet.

Retirada et tissu associatif

C'est comme ça que Christophe Cuxac a imaginé, autour de la chapellerie, un projet de territoire dont les ramifications vont bien au-delà de la seule activité économique.

« Le bâtiment industriel, d'environ 4.500 m2, est dans son jus et coûte environ 25.000 euros par an d'entretien, indique l'élu. Il était initialement prévu pour 700 employés et aujourd'hui, ils sont 12, avec l'ambition d'arriver à 20... Il faut rationnaliser car la difficulté, c'est de chauffer ce bâtiment trop grand. Notre idée a donc été de recentrer la Scic sur environ 300 m2, ce qui laisse 1.700 m2 pour autre chose. »

Derrière ce « autre chose », il y a plusieurs projets...

« Nous avons eu l'idée en diviser l'espace en plusieurs zones en exploitant notamment un autre élément crucial de notre histoire : la chapellerie a aussi été utilisée comme un camp d'hébergement pendant la Retirada et a accueilli environ 600 femmes et enfants, et nous souhaitons en faire un lieu de mémoire, détaille Christophe Cuxac. Par ailleurs, nous voulons dédier 1.300 m2 au tissu associatif de la Haute Vallée de l'Aude, notamment l'école de musique qui aujourd'hui est à la limite de l'itinérance. Le dernier volume serait destiné à créer une salle d'événementiel et à héberger l'association qui gère les centres aérés. Nous avons aussi imaginé y ajouter un espace de coworking avec un accès à internet et des ateliers à disposition pour travailler autour du feutre. »

Evidemment, l'ampleur des ambitions a un coût : « Il faudrait environ 14 millions d'euros pour la réhabilitation et la mise aux normes des bâtiments, qu'on équiperait d'une toiture de panneaux photovoltaïques. Ce projet d'énergies renouvelables serait porté par le Parc naturel régional Corbières-Fenouillèdes et constituerait un loyer conséquent... Nous avons été labellisé par l'AMI Réhabilitation de friches industrielles, ce qui nous octroie des aides de la Région pour financer l'étude de faisabilité. Il nous reste maintenant à aller chercher d'autres partenaires financiers - intercommunalité, Département, Etat, Europe - , des fondations de grands groupes ou des mécènes. Nous sommes en train de finaliser le dossier pour aller chercher ces financements ».

« Si l'un meurt l'autre meurt ! »

Aujourd'hui, tous les nouveaux coopérateurs qui souhaiteraient rejoindre l'aventure seront les bienvenus au sein de la coopérative. Autour de la dernière chapellerie du territoire, les coudes se serrent. Les enjeux sont importants, autant économiques et sociaux qu'historiques et mémoriels...

« L'un ne peut pas avancer sans l'autre : s'il  n'y a pas la Scic, il n'y a aucune raison de lancer le projet de territoire, et à l'inverse, si on ne porte pas de projet de territoire, la Scic ne pourra pas supporter le prix du gaz, pointe le maire de Montazels. On doit travailler en symbiose. Si l'un meurt l'autre meurt ! »

Sonia Mielke, quant à elle, se dit « admirative et reconnaissante envers le maire car ça aurait été plus simple pour lui de tout raser et de laisser tomber la nostalgie »...

« Aujourd'hui, on avance tous ensemble, ajoute-t-elle. La Haute Vallée de l'Aude a tout perdu : ses industries du chapeau, de la chaussures (Myrys, NDLR), ou l'usine Formica à Quillan. Cette vallée ouvrière a souffert de quarante ans de désindustrialisation. Le territoire se sent abandonné, alors on a retroussé les manches. Ce projet autour de la chapellerie a redonné un élan. On est une coopérative privée mais il va falloir que les politiques bougent pour soutenir le projet du maire. »

Cécile Chaigneau

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