« Ce qui sauve la saison, c’est la clientèle française, régionale et locale » (Jean Pinard, CRT Occitanie)

C’est un été tendu qui se termine, dans un contexte de crise sanitaire qui a fragilisé les professionnels du secteur du tourisme. En Occitanie, où le tourisme est un pilier économique majeur, on scrute le secteur de près. Les professionnels ont-ils limité la casse ou contraire, la saison a-t-elle été meilleure qu’attendue ? Jean Pinard, directeur du Comité régional du tourisme d’Occitanie, donne les grandes tendances de l’été et pointe notamment une saison sauvée par une clientèle majoritairement française.
Cécile Chaigneau
Le canal du Midi, haut lieu touristique de la région Occitanie et site très plébiscité de des touristes anglo-saxons, a vu sa clientèle étrangère chuter de manière importante au cours de cet été 2020.
Le canal du Midi, haut lieu touristique de la région Occitanie et site très plébiscité de des touristes anglo-saxons, a vu sa clientèle étrangère chuter de manière importante au cours de cet été 2020. (Crédits : Hérault Tourisme)

L'été s'achève. Un été particulier, marqué au sceau de la crise sanitaire. Dans une région comme l'Occitanie, où le tourisme est un pilier économique, le bilan de la saison est observé à la loupe, et il en va de la survie de bon nombre de professionnel du secteur...

« Notre enquête de conjoncture est en cours de déchiffrage, notamment sur le mois d'août, et nous ferons un bilan chiffré précis le 9 septembre prochain, déclare Jean Pinard, directeur général du Comité régional du tourisme (CRT) d'Occitanie, à La Tribune le 31 août. Si on évalue la saison au regard de la crise du Covid, on peut parler de bonne saison, voire même très bonne. Mais si on évacue le Covid, la saison 2020 est dans un standard de fréquentation estivale. Mais pas de triomphalisme, car la situation est contrastée. Par exemple, concernant les hébergements, il y a de fortes chances pour que le camping à la campagne, le camping à la ferme ou les gîtes ruraux aient fait des scores supérieurs à l'an passé mais ça ne compensera pas forcément les manques à gagner des nuits d'hôtels dans les grandes villes où la situation est difficile pour les professionnels du tourisme... »

Jean Pinard, directeur du CRT Occitanie

Jean Pinard, directeur général du CRT Occitanie.

La moyenne montagne plébiscitée

En effet, les territoires de montagne, de campagne, du littoral ou urbains n'ont pas connu le même sort, tout comme les filières (tourisme spirituel, tourisme fluvial, tourisme vert, etc.). Après un confinement de deux mois, les aspirations des touristes à se ressourcer au vert les ont poussés vers les sites nature dont la région Occitanie ne manque pas.

« L'arrière-pays et la moyenne montagne, plus encore que la campagne d'ailleurs, ont fait une belle saison », confirme Jean Pinard.

Ainsi, la Lozère a-t-elle bénéficié de son image préservée et d'une couverture médiatique nationale liée à son statut de département le moins touché par l'épidémie. L'Aveyron, le Tarn, le Tarn-et-Garonne ont également enregistré une belle fréquentation. Selon le CRT, les centrales de réservation des gîtes et chambres d'hôtes (du réseau Gîte de France, par exemple) ont été prises d'assaut avec des taux de remplissage des hébergements en hausse de 20 % en juillet par rapport à juillet 2019 dans l'Aveyron.

La saison est qualifiée d'« inespérée » pour le département des Hautes-Pyrénées, locomotive du tourisme de montagne avec ses sites mondialement connus comme le Pic du Midi - qui a fait « l'un des meilleurs mois de juillet de ces dix dernières années », selon son directeur Daniel Soucaze des Soucaze - ou le Cirque de Gavarnie. A l'exception toutefois de Lourdes, 2e ville hôtelière après Paris, où la fréquentation est en chute de 90 %...

Carton plein pour les campings

« De son côté, le littoral a connu un démarrage plus tardif, pas avant le 10 juillet, mais une très bonne activité ensuite, et ce jusqu'à ce vendredi 28 août, souligne Jean Pinard. On sera un peu en-deçà de l'an dernier... Les campings ne sont pas les perdants de l'été. Ils ont limité la casse, avec une baisse estimée à 10 % environ. Mais en termes d'emploi, ils font partie des gens qui ont embauché moins de saisonniers. »

Un carton plein donc pour l'hôtellerie de plein air, mais aussi pour la restauration et les commerçants, qui auront bénéficié d'un effet de « rattrapage », selon le directeur du CRT Occitanie.

« Ils sont les moins perdants de cette saison particulière, notamment en raison de la forte présence de résidents dans les résidences secondaires, qui sont au nombre de 550 000 en Occitanie, explique Jean Pinard. Les gens cherchaient des vacances plus sécuritaires. A raison de quelques nuitées avec 3 ou 4 personnes par résidence, ça fait vite 3 ou 4 millions de touristes ! C'est aussi là qu'on a vu arriver une partie des Français qui avaient l'habitude de partir à l'étranger. Il faut savoir que durant le confinement, l'Occitanie a gagné 6 % d'habitants, selon les chiffres communiqués par des opérateurs comme Orange, EDF ou des exploitants d'eau. Les gens sont venus dans leur résidence plutôt que de rester à Paris, et ça s'est prolongé sur l'été. »

La stratégie du tourisme local

Car le gros changement de l'été aura été le type de population venue en vacances en Occitanie : « Nous n'avons enregistré que 10 % d'étrangers environ, au lieu 30 % habituellement, avec quelques Belges, quelques Hollandais, mais moins d'Anglais et d'Allemands. Ce qui sauve la saison et l'Occitanie, c'est la clientèle française, régionale et locale. C'était notre choix stratégique de travailler cette population (d'où les campagnes de communication régionale "#Cet Eté je voyage ici en Occitanie" et nationale "#Cet Eté je visite la France", NDLR) car la consommation de loisirs, à la journée, fait aussi partie de la consommation touristique. Les dispositifs que nous avons mis en place, comme le train à 1 € ou la Carte Occ'Ygène (accès illimité pendant un an à des avantages et des réductions sur de nombreuses activités de loisirs, auprès de villages vacances et de campings pour la période estivale, soit environ 300 établissements partenaires, NDLR), ont permis à d'autres populations qui ne consomment pas habituellement de profiter des vacances à proximité de chez eux ».

Avec quelques dérives et tensions observées entre une clientèle nouvelle et les commerçants, notamment à Palavas-les-Flots...

« Il ne faut pas pointer du doigt cette population qui n'a pas la culture des vacances, observe Jean Pinard. Il y a un travail à faire, qui doit être accompagné en amont... On a pu compenser l'absence de clientèle étrangère par une clientèle locale. C'est une bonne leçon et je pense que ça va changer pas mal de choses. 40 % de Français ne partent pas en vacances et quand on leur donne un coup de main, ils dépensent en Occitanie. Cela changera notre stratégie marketing, en direction d'une clientèle que l'on va désormais mieux adresser. »

Clientèle étrangère en baisse sur les grands sites

Du côté des grands sites touristiques, la situation est contrastée. A la cité de Carcassonne, les chiffres de fréquentation du château comtal sont à exploiter avec précaution : s'ils révèlent une chute de la billetterie de l'ordre de 40 %, celle-ci traduit surtout une capacité d'accueil deux fois inférieure aux années précédentes en raison des mesures sanitaires (jauge maximale limitée à 3 500 visiteurs par jour contre 6 000 à 7 000 habituellement). Proportionnellement, la fréquentation est aussi importante qu'en 2019, avec des touristes à 90 % français, contre 40 % d'ordinaire.

Même chose pour le Pont du Gard, où la baisse de fréquentation n'est « que de 10 % » sur la période 1er juillet au 26 août (295 000 billets d'entrées vendus contre 330 000 en 2019). C'est la clientèle groupe, d'ordinaire est très présente jusqu'à la mi-juillet, qui a été totalement absente sur la même période et explique en grande partie le différentiel. Avec une clientèle française représentant un peu plus de 60 % des visiteurs, le site gardois lui aussi constate l'absence de la clientèle étrangère cet été 2020.

« En revanche, concernant le Canal du midi, où la part de clientèle étrangère est la plus forte d'habitude, on a enregistré de fortes baisses de locations de bateaux, ajoute Jean Pinard. La location de bateaux habitables sans permis est une activité très prisée des Américains, Néo-zélandais, Australiens, Canadiens, Scandinaves, et plus généralement les européens à fort pouvoir d'achat. Outre le contexte sanitaire contraignant, la canicule a aussi influé, selon les professionnels du tourisme fluvial. Ainsi, la société Le Boat, plus gros loueur de bateaux sur le canal du Midi, avance - 33 % de chiffre d'affaires depuis la réouverture du canal à la navigation début juin et constate une très forte augmentation de la clientèle française (+ 179 % sur les 4 dernières semaines) et dans le même temps une chute de 90 % des clientèles étrangères. »

Le risque de casse sociale

Les « perdants » de la saison 2020 en Occitanie resteront clairement l'hôtellerie traditionnelle dans les grandes villes, notamment Toulouse et Lourdes, mais aussi les villes et villages qui vivent habituellement l'été des festivals, comme Marciac (Gers) et son festival Jazz in Marciac (250 000 festivaliers sur trois semaines et 20 M€ de retombées économiques en temps normal).

Mais Jean Pinard est prudent et nuance les bonnes tendances annoncées.

« Le problème sera de passer d'une analyse de la fréquentation, en nombre de nuitées, à une analyse de la situation économique et sociale, notamment en termes d'emploi, pointe-t-il. Dans les grandes villes, le risque de casse sociale peut être important. Les professionnels ont eu moins recours à l'emploi saisonnier. Les dispositifs de l'État et de la Région ont largement amorti la crise, notamment le chômage partiel qui heureusement est prolongé jusqu'en décembre. Mais les hôtels en ville n'ont pas eu de printemps et ils n'auront pas d'automne car le tourisme d'affaires est atone. Pourront-ils garder leur personnel ? »

Cécile Chaigneau

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