Tourisme durable : « Il est plus facile de discuter avec Ryanair qu’avec une compagnie ferroviaire, mais ça revient à donner une subvention au kérosène ! »

Faut-il du courage pour affronter les paradoxes du tourisme ? Comment trouver des représentations sociales intermédiaires entre un tourisme très polluant et un tourisme durable idéalisé ? Le secteur touristique fait sa mue mais elle sera forcément longue. Calibré sur la quête du nombre (de touristes, de nuitées, de paniers consommateurs, etc.) et de la croissance, il doit aujourd’hui prendre le virage de la transition écologique et se réinventer. C’était la thématique de l’université du tourisme durable qui se tenait cette année le 6 octobre à Montpellier.
Cécile Chaigneau
Les acteurs du tourisme cherchent les chemins d'un tourisme plus responsable et écologique, dont l'un d'eux peut être le slow-tourisme incarné par les balades le long du canal du midi en péniche ou à vélo.
Les acteurs du tourisme cherchent les chemins d'un tourisme plus responsable et écologique, dont l'un d'eux peut être le slow-tourisme incarné par les balades le long du canal du midi en péniche ou à vélo. (Crédits : Office de Tourisme du Canal du Midi au Saint-Chinian)

Difficile, pour un secteur biberonné à la croissance, de se réinventer sur un modèle plus durable qui permettrait aux acteurs du tourisme de vivre avec moins de clients puisque les impératifs d'un tourisme plus responsable invite à moins voyager... D'autant que les changements de comportements des touristes vont encore prendre du temps. Il y a encore cinq ans, aller prendre l'avion à Beauvais via une compagnie low-cost pour un séjour de trois jours quelque part en Europe était perçu comme « cool ». Aujourd'hui, les discours pointent du doigt des pratiques de consommation touristique très émettrices en carbone...

La prise de conscience est en route, il faut réapprendre à « consommer » ses vacances différemment dans un secteur qui n'est pas avare de paradoxes, avec en fond sonore une petite musique qui proscrit les postures culpabilisantes, voire limitantes. Mais alors comment trouver des représentations sociales intermédiaires entre un tourisme très polluant et un tourisme durable idéalisé ?

C'est la réflexion qui était portée lors de l'Université du tourisme durable, qui avait lieu cette année le 6 octobre à Montpellier. La thématique : "Le courage d'affronter les paradoxes du tourisme".

Beaucoup (trop) de ranking

« Le principal paradoxe du tourisme, c'est qu'il ne peut pas se faire sans voyage ni transports, ce qui représente 77% du total de nos externalités, souligne Jean Pinard, directeur du Comité Régional du Tourisme et des Loisirs d'Occitanie (CRTL). Or je ne veux pas opposer les clientèles qui viennent de loin et le font peut-être une fois dans leur vie, et les clientèles de proximité qui viennent et consomment plus souvent. Mais il faut arrêter de fantasmer sur l'idée que nos territoires sont attractifs parce que des gens viennent de loin, comme les Japonais ou les Chinois, même s'il en faut... Il y a un nouvel équilibre à trouver : voyager moins loin, moins souvent et plus propre. Michelin, qui avait quand même créé les Guides Michelin pour inciter les gens à voyager et donc à user des pneus, a lancé un guide sur le voyage en train, ce qui est un signe des temps ! La région Occitanie ne compte pas moins 10 aéroports, parce qu'on est loin de Paris, mais le Conseil régional fait un gros travail pour le ferroviaire, notamment les lignes à grande vitesse. »

Le directeur du CRTL Occitanie pointe une autre pratique qu'il considère desservir la cause d'un tourisme plus durable : « On fait beaucoup de ranking dans le tourisme : on cherche à être les premiers partout mais je préfèrerais alors qu'on fasse des classements qui mesurent les progrès. Par exemple, la Région Occitanie a mis en place le billet de train à 1 euros, ce qui génère 16 millions d'euros de dépenses en activités de loisirs... ».

« Paradoxalement, aujourd'hui, il est plus facile de discuter avec Ryanair pour ouvrir une ligne à Carcassonne ou Perpignan qu'avec une compagnie ferroviaire comme SNCF ou la RENFE pour faire un TGV Genève-Toulouse qui s'arrêterait à Nîmes, à Montpellier, à Sète et à Carcassonne, regrette-t-il. Ça revient à donner une subvention au kérosène dont on ne veut plus au lieu de donner une subvention au TGV qu'on veut ! »

Un filtre exigeant sur le critère aérien

Si la prise de conscience est en chemin, elle ne se traduit pas encore massivement dans les comportements. Jean-Christophe Guérin, repreneur en 2019 du tour-opérateur Vie Sauvage (spécialiste des safaris en Afrique), a créé Ahimsa Voyages en 2021 pour développer une offre de voyages plus vertueuse, pour lutter contre la tendance à voyager loin moins longtemps. Ahimsa Voyages propose donc un filtre exigeant sur le critère de l'aérien : pas de voyages en avion d'une durée inférieure à quatre semaines, soit une baisse drastique de l'empreinte carbone. Le tour-opérateur propose également des micro-expériences comme une randonnée à pied dans le massif du Pilat, à vélo le long de la Seine, sur les côtes portugaises, ou entre les vignobles toscans.

« Ahimsa est membre de ATR (agir pour un tourisme responsable, NDLR), précise Jean-Christophe Guérin. Vie sauvage continue en Afrique et Ahimsa a fait un pas de côté. Mais les clients sont responsables et acteurs de leurs vacances, ils font leurs choix, pas question d'imposer ! On n'observe cependant pas vraiment de points de bascule chez nos clients, qui viennent pour la proposition de voyages et non parce que ce sont des voyages éco-responsables bas carbone. Ce concept n'est pas encore vendeur... Mais ils vont s'éduquer. »

Entre hôtel et auberge

Franck Leroux, cofondateur de Evi Hob en 2019, valorise une offre à contre-courant de l'hôtellerie classique. Le parti pris d'Evi Hob (raccourci de hôtel et auberge), c'est de donner une seconde vie à de petits hôtels en zone rurale.

« Souvent, ils ferment par défaut de repreneur, indique Franck Leroux. L'idée, c'est de les sortir du contexte hôtelier avec ses ratios très financiers pour aller vers un autre mode de gestion. Ce qui nous intéresse, c'est l'utilisation des murs en dehors du temps d'occupation touristique, pour que l'établissement puisse aussi jouer un rôle sur son territoire. Nous avons opté pour des établissements dans les villes de moins de 20.000 habitants, sur des territoires connus pour leurs loisirs ou leur tourisme. Nous faisons de la réhabilitation de bâtiments existant, qui peuvent aussi être une ancienne caserne, une école, etc. Aujourd'hui, nous sommes présents dans les Pyrénées-Orientales, la Haute-Loire, la Savoie et nous avons un projet en cours au pied de Val Thorens. Notre objectif est d'ouvrir quatre ou cinq établissements par an. »

Dans les maisons Evi Hob, pas d'accueil (le volet enregistrement a été digitalisé) mais de grands espaces ouverts avec des expositions d'artistes locaux, des canapés et du café en libre service « comme à la maison ». « Des prestations qui sont possibles car on est sur de la petite hôtellerie, de 30 à 50 chambres », précise Franck Leroux.

Best-in-progress

Johanna Wagner, qui donnait « des cours de management hôtelier où on ne parlait jamais de transition écologique », est aujourd'hui senior Advisor ESG auprès d'Extendam, fonds d'investissement immobilier hôtelier.

« Chez Extendam, on essaie de changer les choses de l'intérieur, déclare-t-elle. Dans la finance, on parle plutôt de critères ESG (environnemental social et de gouvernance, NDLR) que de RSE, avec deux options : investir dans des classes d'actifs déjà très orientés écologie, ou alors dans le "best-in-progress" qui consiste à amener le partenaire dans lequel on investit vers de meilleures pratiques. Ce qui est plutôt le cas de l'hôtellerie. »

A la question "quel acte le plus courageux avez-vous réalisé ? ", la jeune femme répond : « Poser sur la table le sujet de lier la rémunération des assets managers à la performance environnementale et sociale de leurs investissements ». Une option à l'étude.

« Disney et Netflix sont mes concurrents »

En Occitanie, le comité régional du tourisme a ajouté le L de loisirs à son acronyme. Une orientation que son directeur Jean Pinard revendique.

« Le tourisme passera par les loisirs, assure-t-il. Il y a des enjeux sociaux forts sur l'usage du temps libre. Aujourd'hui, 66% de ce temps libre est du temps d'écran, et il existe clairement un intérêt d'un modèle économique à pousser les gens à rester derrière leurs écrans. Les acteurs du tourisme doivent s'intéresser à la consommation de loisirs et surtout à l'usage du temps libre. Disney et Netflix sont mes concurrents et j'ai envie de leur mener la vie dure ! Une étude de la Fondation Jean Jaurès pointe les difficultés de certains Français à ne pas partir en vacances, environ 40% : la première raison est l'argent, et ensuite le manque d'information. Dans le tourisme, on s'est un peu fourvoyé à ne faire que de la communication alors qu'il faudrait faire de l'information. La nécessité d'informer doit prendre le pas sur celle de communiquer ! Je crois personnellement que sur ces 40% de personnes qui ne partent pas, un quart pourrait faire la bascule du canapé vers des activités de loisirs et tourisme s'ils étaient informés. »

Cécile Chaigneau

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