Locations de tourisme : quand les agences immobilières dénoncent la distorsion de concurrence de la part des conciergeries

C’est sur les territoires très touristiques que le phénomène prend de l’ampleur : selon les agences immobilières, les conciergeries outrepassent leurs droits en opérant des états des lieux ou en encaissant des loyers ou dépôts de garantie. Dans l’Hérault ou dans l’Aude, la FNAIM dénonce une problématique dont les pouvoirs publics ne s’emparent pas suffisamment. Enquête.
Cécile Chaigneau
Certaines conciergeries ne se contentent plus de gérer l'accueil des clients ou la remise des clés mais gèrent également les réservations ou les encaissements de loyers et autres dépôts de garantie, ce que dénoncent les agences immobilières. (capture d'écran)
Certaines conciergeries ne se contentent plus de gérer l'accueil des clients ou la remise des clés mais gèrent également les réservations ou les encaissements de loyers et autres dépôts de garantie, ce que dénoncent les agences immobilières. (capture d'écran) (Crédits : DR)

Le sujet est complètement transparent pour le client qui, en général, n'a que faire de savoir qui gère le bien touristique qu'il loue pour ses vacances, comment et dans quelles conditions. Peut-être à tort. C'est en tout cas ce que plaident les professionnels de l'immobilier qui, dans les départements qui sont des places fortes du tourisme, observent un glissement qu'ils dénoncent : la gestion de plus en plus fréquente des locations touristiques par des conciergeries, avec des actes qui vont bien au-delà de l'accueil du client, de la remise des clés, ou du ménage.

« La profession d'agent immobilier est régie par la loi Hoguet qui impose, pour exercer, des règles, une carte professionnelle ou encore une assurance professionnelle qui offre une garantie financière car on gère de l'argent, donc il s'agit de protéger le consommateur, rappelle Valérie Carrasco, agent immobilier à Sète (Hérault). Les conciergerie n'ont pas tout ça et n'ont donc pas le droit d'encaisser des fonds, loyers, taxes de séjour ou dépôt de garantie, ni de faire des réservations, ni de faire d'état des lieux qui est un acte juridique. Nous considérons donc qu'il s'agit de distorsion de concurrence... Au départ, les conciergeries ont connu un essor avec Airbnb mais en l'occurrence, c'est Airbnb qui encaisse l'argent donc il n'y a pas de problème. Tout comme les plateformes de type Interhome sont des agents de voyage et disposent des garanties financières qui vont avec. »

Dans les rouages de l'économie touristique

Valérie Carrasco dénonce ainsi un problème qui, selon elle, prend de l'ampleur à Sète, sur le périmètre où elle exerce. La ville est éminemment touristique et compte donc de nombreux hébergements touristiques.

« En vingt ans, on peut parler d'un doublement du parc d'offre de locations touristiques, or il n'existe pas plus d'agences qui font de la location tourisme, fait-elle observer. Par exemple, mon agence a le même volume de locations à gérer. Ce qui signifie bien que de nombreux hébergements sont gérés soit directement par des particuliers, soit par des conciergeries, souvent pour des compléments d'activité. On a vu une accélération de ce phénomène depuis cinq ou six ans. Au début, les conciergeries ne faisaient que l'accueil de clients mais aujourd'hui, elles gèrent les réservations et encaissent les loyers. »

En creux, on comprend aussi que des propriétaires dont les appartements étaient gérés par des agences immobilières résilient leur contrat et que ces appartements se retrouvent gérés par une conciergerie. Un marché qui échappe désormais en partie aux professionnels de l'immobilier...

Les agences immobilières disent avoir interpellé les offices de tourisme sur cette question, mais ces derniers se disent pris en étau entre elles et les conciergeries, les deux ayant un rôle et donc une légitimité dans les rouages de l'économie touristique. Dans un office du tourisme du territoire, un dirigeant, qui n'a pas souhaité voir son nom apparaître, assure que « les offices de tourisme sont conscients des difficultés énoncées et des questions juridiques que cela pose, mais arbitrer n'est pas leur rôle... La question est posée sur la table. A Sète, des réunions d'échange sont prévues en vue de clarifier l'affichage ».

En effet, Valérie Carrasco confirme que « on a vu des boutons "Réserver en ligne" disparaître sur les site internet de certaines conciergeries, et l'office de tourisme de Thau Agglo a modifié son site en mettant les conciergeries dans une autre catégorie que les agences immobilières ».

Elle ne met cependant pas tout le monde dans le même panier et concède que « beaucoup de conciergeries, qui sont des auto-entrepreneurs, n'ont pas conscience de ce problème », reconnaissant même que « certains concierges ont fait une demande de régularisation et sont dans les clous ».

« Vendeur de vacances »

A Sète, Guilhem Sala gère la conciergerie Les Clés de Mary : une cinquantaine d'hébergements touristiques à Sète, Frontignan et Montpellier, parmi lesquels une dizaine dont il est propriétaire, les autres propriétaires ne vivant parfois pas dans la région. Il a démarré cette activité en 2015 de manière très classique, en mettant ses propres biens en location sur Airbnb et aujourd'hui, « un tiers des locations se fait sur Airbnb, un tiers sur Booking et un tiers en direct », précise-t-il.

L'homme se dit « agent immobilier spécialisé dans la location de tourisme » mais aussi « vendeur de vacances ».

« L'essentiel des clients prennent la totalité de la prestation : photos du logement, annonces sur différents supports, mise en relation clients, état des lieux d'entrée, accueil clients, soutien logistique des clients, ménage et blanchisserie, liste-t-il. Pour ce qui est des encaissements, je le fais mais c'est compliqué, alors je préfère passer par les plateformes. En général, les clients qui paient en direct sont les clients qui reviennent et passent directement par nous. »

Que sait-il de cette distorsion de concurrence que dénoncent les agents immobiliers ? Vraisemblablement, il ne perçoit pas les choses de la même manière : « Beaucoup d'agents immobiliers sont plutôt des apporteurs d'affaires, et sur mon secteur, je ne sens pas de rivalité, au contraire ! C'est un argument de dire à un client que son appartement pourra être loué, mais peu font de la location saisonnière... C'est justement parce que je ne trouvais personne qui faisait de la location saisonnière que je l'ai fait moi-même. Les dépôts de garantie, on en fait peu, 70% auprès des plateformes internationales qui, elles, ont des garanties financières... D'autant qu'on encaisse les dépôts de garantie pour trois jours, en prenant un chèque ou une empreinte de carte bancaire mais l'argent n'arrive pas sur notre compte ».

Volontiers transparent, Guilhem Sala indique qu'en 2022, ses revenus provenaient « pour 67% d'Airbnb, pour 18% de Booking, pour 10% en direct et pour 3% de son site internet, donc le risque qui pèse sur les clients est infime ». Et il ajoute : « Je comprends le débat mais si je disparais brusquement demain, aucun de mes clients n'aura de problème ! ».

Reconnaissant ne pas connaître « les tenants et aboutissant de la carte professionnelle des agents immobiliers », Guilhem Sala dit avoir commencé les démarches pour l'obtenir, « d'autant que dans cette activité, il y a une forte saisonnalité et avoir cette carte me permettrait de trouver une clientèle en location classique hors saison ».

DGCCRF et premières lettres recommandées

Le problème est cependant considéré par la FNAIM suffisamment important pour s'en emparer et lancer des actions pour le contrer.

« Le problème est propre à toute métropole ou lieu très prisé pour des locations de tourisme. A Montpellier, le maire Michaël Delafosse a créé des brigades de contrôle pour taxer les propriétaires qui louent via Airbnb, déclare Thomas Brée, président de la FNAIM Hérault. De notre côté, nous avons récemment décidé d'une démarche systématique de dénonciation à la DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, NDLR), dont on commence à récolter les premiers fruits car certains ont peur. »

Valérie Carrasco indique que les premières lettres recommandées sont parties en septembre 2022 : « On fait une veille sur internet, la FNAIM envoie un courrier au concierge et l'invite à se mettre règle, puis fait un signalement à la DGCCRF. Le problème, c'est que pour déclencher une procédure, il faut des moyens et la DGCCRF en manque et a d'autres sujets prioritaires. Il n'y a pas de vide juridique mais un vide de contrôle de la part des services de l'Etat. Au niveau national, des procédures sont en cours mais ça ne va souvent pas loin, les auto-entrepreneurs plient boutique et rouvrent sous autre nom... ».

Economie souterraine

Christoph Fütterer, président de la FNAIM Aude-Ariège, connaît bien le problème, notamment en raison du littoral audois où les hébergements touristiques sont légion.

« C'est difficile à chiffrer car ce sont souvent des gens qui agissent en sous-marin, mais je dirais qu'il y a deux ou trois fois plus de biens gérés par des conciergeries que par des agences immobilières, estime-t-il. Je fais ce métier depuis vingt-cinq ans et je pense que pour 80 clients qui passent par moi, il y en a environ 500 qui passent par les conciergeries... C'est donc tout un pan de l'économie qui nous échappe et donc des taxes qui échappent à l'Etat. »

Alors qu'il paie « 10.000 euros par an de garantie financière », lui aussi parle de concurrence déloyale et déplore un désintérêt des pouvoirs publics : « C'est un problème dont on parle depuis un ou deux ans, mais c'est compliqué car nous ne sommes pas suivis par les pouvoirs publics. Nous sommes lié à des obligations car on fait un métier réglementé, mais les personnes qui contournent la réglementation sont difficiles à contrôler et la DGCCRF n'a pas les effectifs nécessaires pour ça. La DGCCRF de l'Aude avait dédié une personne à cette problématique : elle était d'abord venue pour contrôler les agences immobilières et nous avions lancé un travail en commun en vue de contrôler les conciergeries, mais elle est partie il y a deux ans... ».

Depuis, la FNAIM Aude-Ariège continue d'écrire à ceux qu'elle considère comme des contrevenants et à dénoncer leurs pratiques à la DGCCRF.

« C'est partout pareil mais ici, en Occitanie, on est dans une région populaire de bord de mer, avec beaucoup de pauvreté dans l'Aude, donc tout le monde est content de trouver un petit job pour des conciergeries, c'est pour ça que délicat de le dénoncer, admet-il. Et tant qu'il n'y a ni contrôle ni sanction, pourquoi ne pas continuer ? Il faudrait que les pouvoirs publics s'emparent du problème. »

Ce que dit la préfecture de l'Hérault

Sollicitée par la rédaction, la préfecture de l'Hérault confirme que la loi Hoguet (du 2 janvier 1970) ainsi que le décret du 17 octobre 2017 encadrent la remise d'une carte professionnelle nécessaire aux activités en lien notamment avec la gestion immobilière et locative (carte immobilière G), comme la réception ou l'encaissement de sommes d'argent, l'état des lieux, la gestion de caution, la collecte de la taxe de séjour, la réception de chèque pour le compte d'un bailleur, ou encore la gestion de la réservation à la place du bailleur avec perception d'acompte.

« Pour autant les activités de conciergerie dans le secteur de l'immobilier ne sont définies par aucune loi, ajoutent les services de la préfecture. En effet, aucun texte ne fixe leur périmètre d'intervention et leurs conditions d'exercice. Dans la pratique, une conciergerie assure des prestations visant à faciliter la location ou l'entretien d'un logement pour le compte d'un propriétaire. Les prestations sont variées et étendues. Les dénominations de conciergerie ne permettent pas d'en conclure qu'elles sont nécessairement soumises aux dispositions de la loi Hoguet et il convient de faire une analyse au cas par cas selon la nature des prestations assurées par les professionnels. »

La préfecture rappelle également que le fait d'exercer et le fait de recevoir et détenir des sommes sans être titulaire de la carte professionnelle d'agent immobilier sont des délits exposant à des peines pouvant aller respectivement jusqu'à six mois de prison et 7.500 euros d'amende, et jusqu'à deux ans de prison et 30.000 euros d'amende.

« La Direction départementale de la protection des populations (DDPP, ndlr) de l'Hérault participe aux enquêtes nationales annuelles de la DGCCRF auprès des professionnels de l'entremise immobilière, indique la préfecture. Sont recherchées et poursuivies plus particulièrement les pratiques illégales des professionnels préjudiciables pour le consommateur. »

Elle ajoute toutefois que « la DDPP n'a été destinataire d'aucune plainte ou signalement visant des activités de conciergeries dans l'Hérault. Cette catégorie de professionnels n'a par conséquent pas fait l'objet d'un ciblage particulier par la DDPP qui n'exclut cependant pas de programmer des contrôles en 2023 auprès de ce type d'opérateur ». Sans préciser si la DGCCRF a, quant à elle, reçu des signalements...

Cécile Chaigneau

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Commentaire 1
à écrit le 12/04/2023 à 21:10
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Je considère que les agences immobilières sont inutiles et nuisibles. Pour acheter ou vendre un bien, il existe pléthore de sites de petites annonces qui mettent en relations, avec des photos ou même des vidéos à l'appui, vendeurs et acheteurs, pas b...

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