Montpellier Zéro carbone (1/2) : quelle ville post-Covid ?

Peut-on observer la crise sanitaire à l’aune de ce qu’elle pourrait produire de bon pour l’humanité et de bien pour les villes de demain ? Comment faire évoluer les mentalités ? Vers quoi orienter les politiques publiques ? Comment aborder la question des mobilités tout en la conciliant avec les enjeux de transition écologique ? A l’heure où l’on parle de relance et de monde d'après, l’événement Zéro Carbone, organisé par La Tribune à Montpellier le 17 novembre, interroge experts et acteurs du territoire.
Cécile Chaigneau
La première table ronde, animée par le journaliste Guillaume Mollaret, portait sur les villes de demain.
La première table ronde, animée par le journaliste Guillaume Mollaret, portait sur les villes de demain. (Crédits : Eric Durand)

« La ville post-Covid : changements de mentalité et priorité aux mobilités ». C'est la thématique qui était posée lors de la première table ronde de l'événement « Zéro carbone », organisé le 17 novembre par La Tribune à Montpellier.

Dans une ville comme Montpellier, qui a connu une expansion démographique importante et se trouve aujourd'hui urbanisée aux trois-quarts, quelles leçons tirer de la crise sanitaire et des périodes de confinement qu'elle a générées ? En termes de mobilités, ce coup de frein brutal imposé aux citoyens et aux entreprises a eu pour effet une vraie diminution de la congestion automobile urbaine et périurbaine. Mais la ville doit s'interroger sur les mobilités de demain, du point de vue des moyens mais aussi de l'accessibilité au plus grand nombre.

« La question des "dé-mobilités" est une vraie question, reconnaît Julie Frêche, vice-présidente de Montpellier Méditerranée Métropole, présidente déléguée de la commission Transports et mobilités actives. Nous sommes la 1e métropole en France à rendre gratuite l'intégralité de son réseau de transport public, ce qui aura un effet majeur sur la congestion du réseau. Mais il faut aussi travailler sur l'heure de pointe, en décalant les horaires avec les universités, les groupes scolaires, les collèges, les lycées, de façon à décongestionner le réseau et donc au final, baisser le coût des investissements sur les transports publics... Il faut aujourd'hui offrir des alternatives à "l'auto-solisme", à la voiture individuelle. La ligne 5 du tramway a pris 8 ans de retard, il faut accélérer sur les aménagements cyclables, sur l'offre de bus à haut niveau de service... Et la mobilité ne doit pas s'arrêter aux frontières de Montpellier ou de la métropole, ce qui pourrait induire le creusement des inégalités entre les populations de la métropole et celles hors métropole. »

Greffer la périphérie au centre

Mais l'urbanisation des villes va souvent plus vite que l'adaptation des réseaux et la voiture reste encore aujourd'hui le moyen le plus fréquent pour se rendre au travail. Alexandre Brun, maître de conférences en géographie, urbanisme et aménagement à l'université Paul-Valéry de Montpellier, observe ce manque d'alternative à la voiture à Montpellier : « La ville s'est considérablement étendue et il y a aujourd'hui deux enjeux : être capables de greffer la périphérie au centre et greffer les périphéries, de plus en plus larges, entre elles, mais aussi lutter contre l'étalement urbain à l'échelle du PLU mais aussi des différentes collectivités au-delà de Montpellier ».

Mais il met en garde : « En faisant venir des habitants sur un territoire s'ils n'ont pas de boulot, on fabrique des pauvres ! D'où l'intérêt d'une agence de l'urbanisme, comme l'a annoncé Michaël Delafosse (maire de Montpellier et président de la Métropole, NDLR) à horizon 2021 ou 2022, qui serait coordinatrice de la logique de développement urbain. La question des transports est indissociable de celle de l'étalement urbain ».

« La réponse écologique est d'abord politique »

Dans la construction ou la reconstruction des lendemains, et notamment de la ville du futur, comment concilier les enjeux économiques et écologiques, sans laisser de côté la dimension humaine ?

« La réponse écologique est d'abord politique, affirme Sylvain Vidal, délégué régional EDF en Occitanie. La crise sanitaire, surtout lors du 1e confinement, a amené une vraie prise de conscience de la fragilité de l'homme et de la planète. Cette prise de recul a été encore plus forte dans les villes que milieu rural. On a beaucoup parlé de l'impact du confinement sur le climat, en notamment en termes de baisse des gaz à effet de serre. En Europe, on assiste à un alignement dans la politique des plans de relance, avec la volonté que cette relance se tourne vers des choix qui soient bons pour le climat. L'électricité, qui est décarbonée en France avec le nucléaire et les énergies renouvelables, et donc EDF, a un rôle majeur à jouer. L'enjeu est de voir comment on accompagne le citoyen à consommer mieux et moins, c'est à dire comment on substitue des usages carbonés par usages décarbonés. La mobilité est un enjeu majeur, que ce soit au niveau individuel avec le vélo ou le véhicule électrique, ou sur les transports lourds avec des projets plus structurants, par exemple autour de l'hydrogène. »

Inégalité et fracture numérique

Stéphanie Gateau-Magy, fondatrice de cabinet conseil Handiroad, est quant à elle inquiète de l'inégalité qui persiste dans les mobilités et sur les questions d'accessibilité pour les personnes à mobilité réduite : « On essaie de concilier le développement urbain et humain. Mais pour ces personnes, on n'a pas de propositions, que ce soit en France, en Europe ou dans le monde. J'ai un point de méfiance : si on reconstruit en recréant de l'inégalité à l'accessibilité ou à la mobilité, le risque est de creuser cette inégalité... Les villes de demain vont générer de la data, et c'est une opportunité pour générer des réponses. Mais les outils digitaux sont-ils eux-mêmes inclusifs ? Que fait-on de cette collecte de données et de cette intelligence artificielle pour qu'on ne reproduise pas de l'exclusion ? ».

Car la question de la fracture numérique, déjà existante, est dans tous les esprits dans ce processus de projection dans la ville de demain. Car si les crises poussent l'homme dans ses retranchements et l'obligent à se réinventer, elles présentent aussi le risque de creuser les fractures...

« Chaque fois qu'il y a progrès technologiques, il y a une face positive - on loue la technologie - mais ils peuvent aussi accentuer les discontinuités, répond Salim Mokkadem, professeur de philosophie à l'Université de Montpellier et membre de la Société française de philosophie. La fracture numérique existe. Et il y a un risque pour ceux qui n'auront pas les moyens techniques et économiques de prendre le train de cette modernisation. »

Distribution des hommes et des activités

Le philosophe interroge également les équilibres urbains et sociaux dans ce jeu de cartes rebattu par la crise...

« Quand on définit le citoyen comme "homo economicus", on oublie que l'être humain ne se définit pas que par des fonctions de productivité, donc il ne faut pas considérer la ville comme une énorme usine mais poser la question de l'éthique de citoyenneté, souligne-t-il. Par exemple, si on déplaçait le cinéma Diagonal à la Mosson, on aurait des flux de populations qui modifieraient la plasticité éthique de la ville. C'est d'ailleurs intéressant que le stade de foot soit proposé aux milieux populaires et pas la culture de cinéma... Le reconfinement pourrait être une chance s'il amène à se demander s'il faut donner à des populations le summum de la high-tech ou de ce que la société capitaliste produit en valeur ajoutée industrielle. Je n'en suis pas si sûr...  La notion de travail doit aussi être interrogée. L'IA et les villes intelligentes posent la question de savoir si les algorithmes ne vont pas déterminer les libertés à des fin de productivité économiques plutôt que nous délester des tâches ingrates pour porter vers un humanisme qui développe des dimensions intérieures, poétiques, artistiques, d'invention. »

Alexandre Brun l'affirme : « Les citadins réclament moins une smart-city que de la sécurité, une école primaire performante et surtout, priorité des priorités, de l'emploi ! La crise du Covid peut précipiter les choses en bien ou mal... La question de la distribution des hommes et des activités est fondamentale, c'est pourquoi penser la ville du futur en pleine crise est important ».

Liberté VS technologies

Mais dans cette démarche à repenser la ville de demain via les technologies, une absence inquiète le philosophe Salim Mokkadem : « On n'a pas parlé de liberté ! Les process sont tels qu'ils nous font oublier la question du vivre-ensemble, de l'être humain et de la destination du genre humain. La technologie produit de l'amnésie !  Quelle est la place de la liberté, de l'éducation à cette liberté, dans le cadre de la numérisation des sociétés contemporaines ? ».

« Je ne suis pas d'accord, répond le géographe Alexandre Brun. La coopération territoriale entre communes de l'agglomération et au-delà est assez innovante sur le plan politique car aujourd'hui, il y a plutôt concurrence que complémentarité entre territoires. La question économique doit être au centre des années à venir car celle de l'emploi est primordiale. Ce chantier doit être aussi lié à la question de la nature : il faut qu'on soit capables de limiter l'étalement urbain pour des raisons de bilan carbone mais aussi pour préserver la nature environnante. Il faut travailler la capacité d'accueil d'un territoire, être raisonnables par rapport aux ressources naturelles qui sont les nôtres. »

Retrouvez l'intégralité des débats ici.

Cécile Chaigneau

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