"Montpellier en 2050" : le double défi de construire et d’innover

C’est un regard prospectif que le Club de l’éco, organisé le 15 mars par La Tribune dans le cadre du Salon de l’immobilier de Montpellier, a proposé, au travers de deux tables rondes sur la fabrique de la ville de demain et les nouvelles façons d’y vivre.
Cécile Chaigneau
Première table-ronde du Club de l'éco (de gauche à droite) : Anthony Rey, Laurent Villaret, Christophe Perez, Elodie Nourrigat et Chantal Marion.
Première table-ronde du Club de l'éco (de gauche à droite) : Anthony Rey, Laurent Villaret, Christophe Perez, Elodie Nourrigat et Chantal Marion. (Crédits : Christine Caville)

« A l'allure où s'engage la révolution industrielle numérique, il est difficile de faire des plans réalistes sur la comète, commence Philippe Saurel, maire de Montpellier et président de la Métropole. Une seule possibilité pour Montpellier, qui n'a pas d'industrie mais qui vit au rythme de l'innovation : écouter et enregistrer le monde avec la plus grande acuité et être cohérente avec ce monde. D'où notre adhésion à la French Tech, notre volonté de créer des industries culturelles et créatives, et notre volonté de nous appuyer sur la coopération territoriale comme principe majeur de développement. Une métropole ne peut pas se développer en oubliant les territoires... Dans 50 ans Montpellier sera une ville qui parle à ses territoires, une métropole rayonnante et non absorbante. »

Tous, autour de la première table ronde, s'accordent à le dire : on ne peut pas concentrer sur la ville centre seule toute la production de logements nécessaires pour héberger la population toujours plus nombreuse de la métropole montpelliéraine.

Des contraintes et des quartiers

« Le développement doit être pensé à l'échelle du territoire métropolitain, qu'il faut urbaniser pour attirer des entreprises et loger les habitants, réaffirme Laurent Villaret, président de la FPI (fédération des promoteurs immobiliers) Occitanie Méditerranée. Aujourd'hui, on construit sur un tissu urbain déjà constitué donc on construit autrement. Il faut travailler sur la verticalité, on est obligé. »

Selon Elodie Nourrigat, architecte montpelliéraine (NBJ Architectes), « soit on positionne la ville centre comme Toulouse qui absorbe tout, soit on s'appuie sur un territoire plus équilibré, ce qu'a su faire Montpellier. On doit considérer la métropole comme un écosystème : milieu, ensemble et interaction, les trois outils pour avoir un territoire équilibré. Il faut préserver des échelles appropriables pour chacun des territoires, et non une sur-densification de la ville centre ».

Mais la construction de la ville suppose aussi d'intégrer certaines contraintes, comme préserver des espaces naturels, tenir compte des contraintes climatiques, prévoir les mobilités, et s'appuyer sur une économie attractive.

« Les futurs quartiers de Cambacérès et de l'ex-EAI répondent à ces contraintes, assure Chantal Marion, vice-présidente de Montpellier Méditerranée Métropole, en charge de l'économie et de l'urbanisme. Ils préserveront les espaces naturels et offriront de nouveaux services. Ce seront des quartiers où les gens aiment vivre, travailler, jouer et faire du sport. C'est aussi le cas du Nouveau Saint-Roch où on crée la ville sur la ville. »

Changer les mentalités

Comment les villes en fabrique ou en renouvellement s'approprient-elles la dimension de ville connectée et des nouveaux usages induits par les nouvelles technologies ?

« On ne peut pas penser la ville que par de grands gestes architecturaux, sinon on se trompe, répond Christophe Perez, directeur général de la SERM-SA3M. Il faut faire la ville en pensant à la vie du quotidien. Le numérique nous permet de répondre aux besoins des habitants... Ici à Montpellier, nous faisons de vrais quartiers, la ville mixte avec du logement mixte, des commerces, des bureaux, des parcs, des mobilités. Aujourd'hui, il faut faire foisonner les parkings et pour ça, il faut des modèles, que nous offrent les entreprises de la French Proptech, et changer les mentalités. »

« Les prémices de la ville intelligente ont eu pour effet de rendre la ville plus efficace en matière de gestion de l'eau ou des transports par exemple, ajoute Elodie Nourrigat. La 2e phase vise à mettre en place des services aux citoyens, des outils d'autogestion et de gouvernance. Les nouvelles technologies permettent aussi de constituer d'une nouvelle façon des communautés à travers des projets communs, qui peuvent aussi être une manière d'utiliser l'espace public. »

Port Marianne, un « Black Mirror »

Cette dimension est évidemment considérée par les aménageurs, dès la conception des quartiers.

« Dans la réflexion sur les cadres de vie, l'enjeu est d'intégrer la place de l'humain et la technologie doit nous aider dans une démarche de démocratie participative, observe Jean-Roch Mirabel, directeur associé du groupe GGL Aménagement. Les espaces publics redeviennent des espaces d'interaction, où les communautés se rencontrent physiquement. Nous, aménageurs, intégrons ces technologies mais nous faisons aussi intervenir des sociologues par exemple, afin d'avoir une vision prédictive. »

Vincenzo Susca, sociologue à l'Université Paul Valéry Montpellier 3, jette un œil dans le rétroviseur et alerte sur un point : « Quand on intervient sans avoir à l'esprit l'histoire, il y a des ruptures. Montpellier est la ville la plus américaine de France ! Nous sommes dans un laboratoire du changement, mais ça peut être dangereux car ces nouveautés ne sont pas culturellement et socialement fondées, on ne prend pas en compte "l'habité". Les sciences sociales et humaines doivent être au centre du jeu : aujourd'hui, il faudrait voir comment les gens habitent, réfléchir sur "l'habité" et enfin construire... Le quartier Antigone a été un laboratoire du post-modernisme architectural. Mais en ne prenant pas en compte la force urbaine, on risque le vide que ce quartier a produit : c'était une innovation mais qui fut une faillite... Le quartier Port Marianne est un "Black Mirror" (en référence à la série télévisée, NDLR) : tout est parfait et lisse, mais où est la place de l'humain ? La Smart City ne pourra être habitable que si elle prend en compte l'animalité de l'homme, l'émotion, le rêve, le défaut. »

Des capteurs et des sciences humaines

C'est justement pour éviter toutes les dérives des nouvelles technologies du point de vue sociétal qu'un consortium de laboratoires de recherche et partenaires industriels ont lancé le projet HUT* (Human at Home) à Montpellier, en octobre 2018 : un appartement observatoire connecté truffés de capteurs, où seront scrutés à la loupe l'impact des nouvelles technologies sur le comportement de ses habitants (un binôme étudiant).

Avec ses 22 thèmes de recherche, HUT n'est pas un défi technologique (qui existe déjà par ailleurs) mais s'intéresse aux nouveaux usages.

« Il faut remettre les sciences humaines et sociales au cœur de nos réflexions, plaide Alain Foucaran, professeur et directeur de l'Institut d'électronique et des systèmes (IES). C'est crucial car ce que nous allons vivre dans les trois ans va être un saut technologique phénoménal et un incroyable facteur d'accélération. En 2003, on avait fini de numériser les données produites depuis la nuit des temps. Et aujourd'hui, c'est l'équivalent de ce qu'on produit toutes les 3 heures ! La fracture numérique sera entre les collectivités qui auront compris comment les exploiter ces données plutôt que les laisser aux GAFA, et les autres ! »

« La ville de demain est la ville inspirante »

Le Montpellier en renouvellement expérimente de nouveaux modèles en s'appuyant sur ses forces vives. Sur le futur quartier de l'ex-EAI, la Halle Tropisme est la première brique d'un projet qui sera dédié aux industries culturelles et créatives.

« C'est un lieu carrefour du travail de la vie et de l'entrepreneuriat, où on accueille entreprises et indépendants, ouvert au public. Pour moi, la ville de demain est la ville inspirante : la mixité est un premier pas, mais il faut que les espaces se parlent, qu'on puisse près de chez soi être à l'initiative de quelque chose comme par exemple un projet d'habitat participatif, un fab-lab, des jardins partagés », déclare Jordi Castellano, P-dg de la Halle Tropisme, gérant d'Illusion & Macadam.

Hind Emad, fondatrice et CEO de Faciligo (plateforme d'entraide entre voyageurs) à Montpellier, apporte sa réflexion sur les mobilités : « La fin de la voiture en ville, c'est un idéal. Elle a révolutionné l'espace-temps, a influencé la métropolisation de nos villes, elle est utile et nécessaire dans certains territoires, mais il peut y avoir des alternatives avec une empreinte carbone plus intéressante et aussi un intérêt économique... Aujourd'hui, le transport aérien ou ferré observe une augmentation importante des demandes de prise en charge en aéroport ou en gare : Faciligo répond à cette demande qui représente un coût pour les opérateurs comme Aéroports de Paris, SNCF ou les opérateurs de transport dans les villes ».

Quant au concept de véhicule autonome (dit de "Level 5" dans l'industrie), selon la jeune femme, « ce sera difficile d'atteindre ce niveau de robot-taxi avant dix ans »...

* L'Agora des Savoir à Montpellier propose une soirée dédiée au projet HUT le 20 mars prochain.

Cécile Chaigneau

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