Lab'Tribune : « Sortir d’une vision caricaturale de la croissance » (Nicolas Minvielle)

Sortir du marasme sanitaire ambiant et regarder plus loin. C’est ce qu’a voulu faire La Tribune Occitanie Montpellier au travers de son événement Lab’Tribune du 30 mars, placé sous le signe de la croissance des entreprises. Et si c’était le moment de se poser les bonnes questions ?
Cécile Chaigneau
Benoît Viguier (Banque Populaire du Sud), Emmanuel Trouvé (Nereus), Arthur Capon (La Brigade de Véro), lors de la 1e table ronde animée par Guillaume Mollaret.
Benoît Viguier (Banque Populaire du Sud), Emmanuel Trouvé (Nereus), Arthur Capon (La Brigade de Véro), lors de la 1e table ronde animée par Guillaume Mollaret. (Crédits : DR)

« Croissance et accélération », c'était la thématique explorée, le 30 mars, par le Lab'Tribune, événement organisé par La Tribune Occitanie Montpellier, sous un format 100% digital.

Drôle de choix, si l'on considère la période critique que traverse la planète et donc le monde économique en raison de la crise sanitaire du Covid-19 ? Et si c'était le moment de se poser les bonnes questions ?

« Voir loin est d'autant plus nécessaire quand on est dans la tempête, observe d'ailleurs en préambule Raphaëlle Lamoureux, directrice de la Cité de l'économie et des métiers de demain, qui accueillait l'enregistrement de cet événement. Les thématiques de transformation sont encore plus pertinentes aujourd'hui. Les entreprises ont toujours un fort besoin d'accompagnement, mais expriment aussi besoin de collectif, de faire écosystème, car il est difficile d'être isolés dans la tempête. »

Le grand témoin de cet événement était Nicolas Minvielle. Directeur du Master spécialisé marketing, design et création d'Audencia Business School, il est professeur de design et de stratégie, et spécialiste de l'innovation et des imaginaires. Nicolas Minvielle est aussi membre de Making Tomorrow, un collectif de designers, de makers, d'anthropologues, d'auteurs de science-fiction, de prospectivistes et d'économistes. Il est enfin co-auteur du livre Accélération : dans les coulisses de l'hypercroissance, un ouvrage qui interroge les modèles économiques des entreprises et les ressorts du succès.

« Revenir aux fondamentaux »

« On a entendu beaucoup de choses sur le digital, sur les capitalisations boursières monstrueuses, avec beaucoup de promesses sur des lendemains qui chantent, observe-t-il dans un échange avec Jean-Christophe Tortora, président de La Tribune. Cette crise est le moment où on met les choses à plat : on a en France un tissu de PME qui ont des choses à raconter et la crise met sur le devant de la scène des gens un peu oubliés. Ça nous fait sortir de cette vision un peu idéale et caricaturale de la croissance tirée par le numérique... Il y a un effet de recentrement avec la crise. En France, on lance une démarche nationale pour avoir des licornes mais il existe 300 grandes entreprises en France qui font plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires et ont plus de 5.000 salariés. Met-on le curseur au bon endroit ? J'observe qu'on a produit des générations de jeunes gens qu'on a mis dans des incubateurs pour créer le monde de demain. Tous veulent faire des plateformes pour promener des chiens ou faire du gardiennage. Mais l'avenir n'est pas là... La situation actuelle nous permet de revenir aux fondamentaux pour retisser le tissu économique français. »

Pour écrire Accélération : dans les coulisses de l'hypercroissance, les auteurs sont allés à la rencontre des fondateurs et des dirigeants des entreprises les plus emblématiques du XXIe siècle, ainsi que des principaux business-angels et venture capitalists, en France, aux États-Unis ou en Chine. Nicolas Minvielle décrypte les cinq dimensions essentielles pour accélérer : « Une vision ambitieuse et pas toujours gentille - beaucoup disent "je viens tout casser" -, une relation aux RH particulière, une culture d'entreprise forte, des KPI (indicateurs clé de performance, NDLR) avec des organisations obsédées par les indicateurs qui vont générer de la croissance, et une relation à l'argent particulière et à mon avis pas très saine ».

« Être à la fois humble et ambitieux »

Alors pourquoi et comment accélérer ? La première table ronde donnait la parole à deux entreprises régionales et à un banquier.

La Brigade de Véro, dans le Gard, propose des box-repas à base de produits diététiques, locaux et bios et cuisinés maison pour mincir. Arthur Capon, cofondateur de l'entreprise, témoigne de la croissance de l'entreprise : « Nous avons lancé La Brigade de Véro le 1e mars 2017 et depuis, nous avons multiplié notre activité par deux chaque année. Aujourd'hui, nous employons 29 personnes et notre chiffre d'affaires 2021 devrait être de 6 millions d'euros, contre 2,9 millions d'euros en 2020... Nous recrutons 15 à 20 personnes cette année. Ça va très vite. Le principal est de gérer avec l'humain, et d'avoir une certaine anticipation, se demander comment on fera plus demain et où ça bloquera. Nous allons avoir besoin de financement car nous installons un nouveau laboratoire de production au Millénaire à Montpellier, sur 2.500 m2, dont 1.700 m2 de cuisines ».

L'entreprise Nereus, installée au Pouget (34), conçoit, développe et construit des unités industrielles d'extraction d'eau à faible consommation d'énergie, pour recycler l'eau.

« Ce n'est pas du traitement de l'eau, nous récupérons l'eau pour s'en resservir, c'est de l'économie circulaire, précise Emmanuel Trouvé, président fondateur de Nereus. Nous avons été agiles et rapides. (...) Il faut savoir recevoir ce que les ressources humaines vont nous apporter. Il faut être à la fois ambitieux et humble : ambitieux et se dire qu'on a aucune limite mais aussi humble et se dire qu'il faudra que la logistique et la professionnalisation des processus suivent et soient portés par des acteurs qui apporteront des solutions auxquelles nous n'avions pas pensé et les mettre en œuvre avec beaucoup de rigueur. (...) Nous allons avoir besoin de financement pour le développement commercial et pour le développement de l'innovation. Nous participons à six projets de recherche collaborative, dont les deux derniers pour Paris 2024, pour recycler de l'eau dans un immeuble du village des athlètes et pour rafraîchir un îlot urbain. Et des besoins aussi pour notre outil de production, avec un nouveau bâtiment»

« Une posture critique sur la financiarisation extrême »

Benoît Viguier est le directeur des entreprises et des ingénieries à Banque Populaire du Sud. A la question de comment grossir et grandir en même temps, il répond : « Il faut faire attention que les investissements soient les bons. Et c'est à chaque fois un accompagnement individuel, il n'y pas de réponse établie. Il ne faut pas plaquer d'idée préconçues sur les trajectoires d'entreprises, l'accélération peut être violente, mais aussi douce et sur la durée. Et un projet industriel ne se gère pas comme la Brigade de Véro. Je revendique qu'il faut beaucoup d'écoute et d'humilité si on ne veut pas rater la prochaine belle PME ! (...) Traditionnellement, on regarde le bilan et le passé dit l'avenir. En 2020, on a observé un basculement : avec la crise, le bilan va être dégradé et il faudra accompagner les entreprises différemment. (...) L'hypercroissance, alors que les entreprises sont à l'arrêt depuis un an, c'est une gageure. Et alors que les problèmes de développement nous rattrapent, ça ne semble pas toujours très cohérents. Et il y a des valorisations d'entreprises qui font tourner la tête. Le rôle du banquier est d'accompagner les entreprises avec d'autres modes de financement ».

« J'ai une posture critique sur la financiarisation extrême et on a un vrai sujet de raison gardée là-dessus... Quand on a une relation brutale à l'entreprise, ça me questionne, souligne Nicolas Minvielle. (...) Passer de 20 à 40 salariés, c'est un premier escalier. Il y a des paliers qui ont l'air de rien mais le plus dur, c'est souvent le début de l'histoire... La capacité d'une entreprise à se mettre en tension est quasi-auto-réalisatrice car elle impacte les équipes. J'appelle ça la cage à hamster : c'est en avançant qu'on avance ! Et ce n'est pas anodin si ceux qui font une belle croissance sont ceux qui ont une envie qui pousse la boîte. »

« Un problème français »

Le Lab'Tribune posait une autre question : comment faire naître un territoire de PME innovantes en forte croissance ? Comment les financer ? Comment faire en sorte qu'elles restent sur un territoire ?

« Dans ses dix premières années de croissance, une entreprise est très ancrée sur son territoire et l'en extraire est une erreur stratégique de management, déclare Stéphane Marcel, président de Créalia Occitanie. C'est comme ça que le groupe InVivo s'est installé en Occitanie en rachetant Smag... La Silicon Valley a réussi car il y a ce sentiment d'appartenance à un territoire, et non parce qu'il y a des ingénieurs plus talentueux qu'en France ! En Occitanie, on est sur le point de réussir ça, avec des entrepreneurs successfull qui recréent sur le territoire, par exemple Loïc Soubeyrand avec Swile. C'est aussi l'action conjointe du privé et du public. (...) Les sociétés à forte croissance sont-elles condamnées à être rachetées ? Se pose la question du financement de ces sociétés pour passer un cap, et c'est un problème français pour conserver nos entreprises et les porter à des niveaux internationaux. Les choses sont en train d'évoluer. Sur des trajectoires de croissance, et pas forcément hypercroissance, il faut innover en matière d'accompagnement des pouvoirs publics et privés. Je suis convaincu qu'à l'échelle d'une région, on peut trouver une action publique à gros effet de levier pour les conserver sur des financements dilutif ou semi-dilutif. »

« Faire sens et société »

Parce que le tissu économique se renouvelle aussi par la création d'entreprises, notamment par de jeunes diplômés, Marie-Christine Lichtlé, enseignant chercheur et directrice de Montpellier Management, raconte comment l'université forme et sensibilise à l'entrepreneuriat : « Nous cherchons à développer cet esprit d'entrepreneuriat par des pédagogies innovantes, par l'intervention de 600 intervenants extérieurs, par l'accompagnement à la création d'entreprise via le statut d'étudiant entrepreneur et l'incubateur durant leurs études... Nous proposons des formations sur la création d'entreprise mais aussi sur le management et le développement d'une entreprise ».

« Je suis favorable à la souscription des métropoles au sein d'entreprises puisqu'au cœur de ce stratégies financières, il y a de plus en plus une volonté de s'inscrire dans une démarche responsable, de co-construction autour d'enjeux sociétaux et environnementaux, de valoriser le territoire, et là ça fait sens et société, répond Hind Emad, vice-présidente en charge du développement économique et du numérique à Montpellier Méditerranée Métropole et fondatrice de Faciligo. A Montpellier, nous avons le BIC, une structure publique qui permet d'accompagner le développement de pépites, et qui a de bons résultats, avec notamment 5.600 créations d'emplois dans 800 entreprises et un taux de réussite de 92% à trois ans. »

Serge Zaluski est le fondateur d'Alaxione au Soler (66), une entreprise qui développe une plateforme experte en gestion de rendez-vous médicaux. Il assure qu'il ne serait pas dérangé d'accueillir un partenaire public à son capital : « Le rendez-vous médical, l'accès aux soins n'est pas un bien de consommation comme les autres. Nos outils sont destinés aux professionnels de santé, libéraux ou établissements de santé, pour mieux organiser le parcours patient... Aujourd'hui, nous sommes en phase de levée de fonds pour accélérer, et nous aimerions privilégier des fonds régionaux et spécialisés en santé ».

Eaux usées et jeux thérapeutiques

Un concours de pitch terminait cet événement. Six entreprises, présélectionnées par un jury composé d'acteurs économiques du territoire, pitchaient durant deux minutes : MYCEA, FeelU, Aquatech Innovation, Sim&Cure, OPPI et Futura Gaïa.

Le vote électronique livrait sa sentence, avec deux gagnants ex-aequo : Aquatech Innovation et OPPI. La première est spécialisée dans le traitement des eaux usées de manière biologique, la seconde dans le design pédagogique et la conception de jeux pour enfants à forte valeur thérapeutique et pédagogique.

Retrouvez la totalité des échanges en replay ici.

Cécile Chaigneau

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