"Un Google français naîtra quand on acceptera de voir grand"

Dans son nouvel essai "Et si le prochain Google était français ?", Chantal Néri, experte auprès de la Commission Européenne et ex-conseillère de Transferts LR (aujourd'hui Ad'Occ), identifie les freins culturels empêchant l'émergence d'un GAFA en France. Après 10 ans passés aux États-Unis, elle recense les meilleures pratiques observées dans la Silicon Valley et explique comment elles pourraient s'appliquer ici.
Le géant Google vient de fêter ses 20 ans
Le géant Google vient de fêter ses 20 ans (Crédits : Thomas Peter)

Docteur en physique des matériaux, diplômée d'HEC, Chantal Néri est experte auprès d'EASME, l'agence exécutive de la Communauté Européenne pour le développement des entreprises. Elle a été conseillère marketing au sein de l'agence de l'innovation de l'ex-LR, Transferts LR, désormais intégrée à l'agence économique de l'Occitanie, Ad'Occ. Au cours de sa carrière, partagée entre la France et les États-Unis, elle a conseillé plus de 400 dirigeants d'entreprises et de start-ups. Elle publie Et si le prochain Google était français ? 10 pratiques à succès de la Silicon Valley.

Y a-t-il un problème de culture typiquement français empêchant l'émergence d'une entreprise de type GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) ?

Chantal Néri : J'évoque d'abord les entreprises françaises dans ce livre, mais à leur décharge, je vois une problématique très similaire dans les projets que j'évalue pour l'EASME, d'où qu'ils viennent en Europe. Regardez les "podiums" mondiaux mesurant les plus gros chiffres d'affaires ou la meilleure rentabilité : les États-Unis sont devant, la Chine pointe son nez, et les Européens sont très loin derrière. Il y a en effet un problème d'attitude. Par exemple, dans la Silicon Valley, les entreprises ne parlent pas d'"export" mais d'"international" : elles se projettent immédiatement au niveau mondial. De même, j'ai déjà vu des incubateurs aller chercher des start-ups de deux salariés à peine et les mettre tout de suite en relation avec des fournisseurs asiatiques. C'est une autre façon d'aborder le développement. En France, ont veut d'abord se développer sur le plan national, puis à l'international ensuite. On perd tout le bénéfice de l'enthousiasme des financeurs, des associés, etc. D'où ma volonté dans ce livre : donner des conseils pratiques et détaillés, mais surtout, donner un élan, redonner de la motivation.

On se pince parfois en lisant certaines "erreurs" que vous relevez, comme cette tendance à considérer le marketing comme une pièce rapportée. Les entreprises le sous-estiment-elles encore en 2018 ?

C. N. : Oui, j'ai constaté à mon retour des États-Unis qu'on n'est pas très à l'aise avec les fonctions de marketing et de commercial. Souvent une entreprise développe d'abord sa R&D, sa production, puis le marketing et le commercial arrivent ensuite. On prend souvent un assistant qui gèrera aussi la communication ! Ce n'est qu'au bout de dix ans qu'on se soucie de mettre en place une stratégie marketing. J'ai pu le vérifier lors de mon passage à Transferts LR, à l'occasion du programme Smartec (un outil de formation pour aider au développement d'une entreprise, de la stratégie marketing aux premières ventes, NDLR), dont ont bénéficié une centaine d'entreprises : elles découvraient toutes, à cette occasion, l'intérêt de l'outil marketing hors communication. C'est un sujet qui n'est jamais travaillé, réfléchi. Cela vient peut-être du fait qu'il n'est pas assez enseigné, ou connu. Ensuite se pose le problème des outils que les entreprises mettent en place. Combien d'entre elles, en région, disposent d'un vice-président marketing ? Quasiment aucune. J'ai le souvenir d'une biotech qui avait confié cette mission à un étudiant tout juste sorti d'école de commerce. Comment peut-on procéder ainsi pour une stratégie si pointue ?

Que répondez-vous à la question posée dans votre titre ? Croyez-vous à la création et au développement d'un hypothétique Google français ?

C. N. : Oui, j'y crois. Il existe beaucoup de talents dans les entreprises françaises. Il y a beaucoup d'engagement dans les réseaux d'accompagnement, institutionnels ou autres. Mais nous avons besoin d'un changement de paradigme. En France, on finance d'abord la technique, on pousse les ingénieurs. Bien entendu, il faut disposer de la meilleure technique pour développer une entreprise de type GAFA... Mais ensuite, si vous observez une société comme Apple, vous verrez que la technique devient transparente, et ne reste que le service client. Il nous faut donc pousser le rapport aux client : ce dernier achète une expérience, une solution, et peu lui importe la technique qu'il y a derrière. De la même façon, il faudra accepter de "voir grand". Il existe une sorte de pudeur typiquement française, une retenue qui empêche de se voir comme un leader mondial, comme un conquérant. On n'est pas très à l'aise avec ça. Heureusement, cela change un peu avec les jeunes générations...

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