« Certaines entreprises numériques parlent de crise cardiaque de l’économie mondiale »

La crise sanitaire du Covid-19 provoque des tensions économiques fortes à tous les niveaux. Y compris pour la filière numérique qui, si on la pense naturellement équipée pour poursuivre son activité, n’en ressent pas moins fortement les secousses. Le 8 avril, Digital 113, le cluster des entreprises numériques d’Occitanie, et la Direccte Occitanie publient les résultats d’une première enquête.
Cécile Chaigneau
La crise sanitaire suscite de vives inquiétudes dans la filière numérique.
La crise sanitaire suscite de vives inquiétudes dans la filière numérique. (Crédits : iStock)

Digital 113, le cluster des entreprises numériques d'Occitanie, et la Direccte Occitanie ont mené une enquête sur l'impact de la crise sanitaire liée au coronavirus sur la filière du numérique. Le 8 avril, à l'occasion d'un café-visio, ils ont présenté les premiers résultats, portant sur un premier panel de 54 entreprises de toutes tailles et de toutes activités, situées à Toulouse (31), Montpellier (34), Blagnac (31), Labège (31), Castres (81), Carbonne (31), Castanet-Tolosan (31), Béziers (34), Lavérune (34) et Pamiers (09).

Les résultats délivrant une image à fin mars et la situation évoluant, l'enquête sera renouvelée régulièrement et le panel élargi afin de mesurer l'évolution de la filière en temps réel.

Un état des lieux qui va à l'encontre des idées reçues sur la filière : le numérique étant une filière en interaction avec toutes les autres filières, elle subit les répercussions de tous les secteurs d'activités.

Globalement, la production des entreprises numériques régionales est perturbée (pour 94 %), voire très perturbée ou à l'arrêt (47 %). Moins de 6% déclarent que leur activité de production est à la normale. Parmi les motifs de perturbation, on trouve l'annulation sèche (41 %) ou des décalages (56 %) de commandes - 20 % précisant même n'avoir aucune nouvelle de leurs clients - ou le « new business » à l'arrêt (61 %). Néanmoins, près de 28 % disent avoir une activité récurrente « qui les sauve » mais elles craignent que les clients soient en défaut de paiement si la crise se prolonge.

Grosses pertes de chiffre d'affaires

Les pertes de chiffre d'affaires estimées pour l'année 2020 sont d'ores et déjà conséquentes : 52 % des répondants prévoient une perte supérieure à 20 %, jusqu'à 80 % pour certains.

Le numérique étant une filière transversale, le panel des répondants cite des perturbations dans de nombreuses filières clientes, qui se répercutent nécessairement sur eux. Parmi les filières les plus citées : l'industrie et la métallurgie (23 %), notamment des sous- traitants de la filière aéronautique du bassin toulousain pour lesquelles de grandes entreprises ont annulé ou décalé les commandes ; transports et logistique (17 %), puis viennent ensuite les collectivités et services publics, ainsi que le monde de la santé et sanitaire et social, du fait de l'arrêt de déploiement des nouveaux projets et de l'impossibilité de se rendre chez les clients (hôpitaux, maisons de retraite...).

Digital 113 attire l'attention sur une vigilance à maintenir sur le secteur Éducation/Formation et les secteurs du tourisme et hôtellerie/restauration, totalement à l'arrêt.

Quant au e-commerce, il est très fortement ralenti (hormis les mastodontes type Amazon ou le e-commerce alimentaire), et les entreprises numériques de ce secteur sont fortement impactées, la fermeture des plus petits e-marchands étant à craindre.

« Dans le e-commerce, c'est difficile de maintenir une activité car délivrer les commandes est compliqué, témoigne Olivier Alluis, CEO de Rakuten Aquafadas. D'autant que le e-commerce est dépendant de la filière venant d'Asie, et comme il n'y a plus d'accès aux produits, l'impact est important. »

« Encore faut-il qu'il y ait du travail »

Dans les entreprises, les fonctions les plus perturbées sont les fonctions commerciales, citées par près de 85 % des répondants.

« Moins de 23 % d'entreprises prévoient le report du développement sur la R&D, soit par impossibilité, soit par crainte qu'il n'y ait pas de business ultérieur », souligne Amélie Leclercq, directrice générale de Digital 113.

Seules 20 % des entreprises déclarent que la totalité de leurs équipes peuvent télétravailler. Pour 22 % d'entre elles, la nature du travail de certains salariés interdit le télétravail.

« On peut penser que le secteur numérique a une capacité à télétravailler mais pour ça, encore faut-il qu'il y ait du travail ! », souligne Simon Bretin, fondateur de Flutilliant et vice-président de Digital 113, précisant que pour 86 % des répondants, une partie de leurs équipes pourraient télétravailler mais voient l'activité réduite ou à l'arrêt.

Plus de 48 % des répondants annoncent avoir déjà déposé un dossier d'activité partielle et 30 % l'envisagent d'ici fin avril, si la situation ne s'améliore pas. « Et ça pourrait être 100 % si la crise se poursuit en mai », précise Amélie Leclercq.

Points de vigilance

« Quant à l'impact sur le business à l'international, on est dans une crise mondiale, donc les entreprises commerçant avec la zone Asie ont bien sûr ressenti l'impact les premières, ajoute la DG de Digital 113. Elles ont vu leur activité décroître à mesure de l'application des mesures de confinement dans les pays asiatiques et de la fermeture des usines. Cela a notamment impacté toute l'activité hardware provenant de Chine... Certaines ont des craintes sur l'Inde et bien sûr sur les États-Unis... S'ajoute à ça le ralentissement du trafic aérien. Certaines entreprises parlent de crise cardiaque de l'économie mondiale. »

Pour finir, l'enquête liste les principaux points de vigilance des entreprises numériques : des difficultés de trésorerie qui surviendront dès avril, d'autant que certaines jeunes entreprises ne sont pas éligibles aux dispositifs de soutien, la crainte que les clients ne paient pas les factures pour préserver de leurs propres finances, que les grands donneurs d'ordres arrêtent les programmes de R&D et ne les redémarrent pas, la difficulté d'engager ou de poursuivre des levées de fonds, l'appréhension de la réaction des actionnaires, et la crainte de licenciements dans le courant de l'été.

Travailler sur la sortie de crise

« Nous allons travailler maintenant sur les axes de reprise, de rebond : R&D, services, SaaS, etc., conclut Emmanuel Mouton, le président de Digital 113. Beaucoup d'entreprises ont pris conscience de la nécessité d'avoir des outils numériques. A nous d'anticiper pour répondre rapidement à leurs attentes en matière de télétravail, de pilotage à distance, etc. »

Alice Vilcot, chargée de mission innovation et numérique à la Direccte Occitanie, souligne la nécessité de faire un suivi des entreprises : « On essaie de voir avec préfecture pour créer une plate-forme permettant de suivre les entreprises du panel pour qu'elles puissent mettre leurs informations à jour ».

Cécile Chaigneau

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