Il le clame à longueur de conférences partout dans le monde et l'a même écrit dans un livre paru en janvier 2019 : « L'intelligence artificielle n'existe pas ! ». Luc Julia est pourtant considéré comme l'une des pointures mondiales en la matière et l'un des développeurs français les plus influents dans le monde numérique. Aujourd'hui directeur de l'innovation chez Samsung Electronics, il est aussi le co-inventeur du logiciel de reconnaissance vocale Siri chez Apple...
Luc Julia était à Montpellier le 23 septembre, invité par la Cité de l'économie et des métiers de demain et par Leader Occitanie. Celui qui parle des différents « hivers de l'IA » du fait de diverses déceptions générées par les promesses non tenues de l'intelligence artificielle, a déconstruit quelques mythes avec une intarissable verve.
L'IA, les datas biaisées et l'éthique
« Il n'y a pas d'IA mais des IA. Je l'appelle l'intelligence augmentée, car c'est nous qui sommes augmentés par cette intelligence. Mais il y a besoin d'y mettre de l'éthique, de faire attention aux datas. Car elles sont biaisées. Les robots se déterminent sur la base de données historiques qui ne reflètent pas forcément la société de demain. Par exemple, le premier chatbot de Microsoft, en 2016, a été le premier chatbot raciste et sexiste et Microsoft a été obligé de le débrancher ! Il s'entraînait sur la base de la retranscription de millions de conversations téléphoniques aux États-Unis, par exemple des conversations des années 1950 dans l'Alabama, qui ont introduit un biais. Les datasets qu'on trouve sur internet sont bien pour comprendre comment les algorithmes vont réagir, mais pas forcément bien pour le monde réel. Pour ça, il faut tester ses propres datasets. C'est compliqué et cher mais c'est le prix à payer pour avoir quelque chose d'innovant. »
L'IA, une boîte noire ?
« Non. L'inexplicabilité de l'IA, ça n'existe pas. L'IA, ce sont des algorithmes choisis par l'homme. »
La voiture autonome
« Ça n'existe pas et n'existera jamais ! Il y a 5 niveaux dans l'autonomie : le niveau 1, c'est celui votre voiture aujourd'hui, le niveau 5, c'est la voiture qui fait tout toute seule... Pourquoi elle n'existera jamais ? Mettez une voiture autonome place de l'Etoile à Paris à 18 h : à 1h du matin elle y est encore car la conduite sur cette place, c'est de la psychologie, de la négociation, etc. mais ce n'est en aucun cas du code de la route. Or la voiture autonome suit le code de la route ! Emmenez cette même voiture à Bangalore, et ce sont d'autres règles. Il y aura toujours des exceptions qui feront que la voiture aura besoin de l'intervention humaine. On atteindra le niveau 4 et ce sera bien, mais il ne faut pas promettre la voiture de niveau 5. »
Le logiciel de reconnaissance vocale Siri
« Siri, c'est 1997 pour moi. Ça a pris 13 ans pour être commercialisé chez Apple. C'était le premier assistant vocal rigolo. Il était différent parce qu'on l'a humanisé, on a fait croire que le système était intelligent en rajoutant de la stupidité artificielle, des blagues. C'est ce qui a fait que les gens l'ont adopté. »
La fuites des cerveaux
« Ça ne me fait pas peur du tout ! Quand j'étais jeune, je suis parti de France car je n'avais pas assez de possibilités d'entreprendre. Aujourd'hui, avec la French Tech, on peut créer des entreprises plus facilement, la fuite des cerveaux est moins importante. Nos talents ont l'opportunité d'aller voir ailleurs durant leur cursus scolaire, mais s'ils veulent entreprendre ici, ils le peuvent. On n'a rien à envier aux autres. Il faut se dire que des cerveaux qui partent, c'est bon signe, signe de notre éducation, qu'on est les meilleurs du monde en mathématiques et en IA ! »
L'homme remplacé ?
« Toutes les révolutions industrielles ont remplacé l'homme dans des tâches qu'on ne voulait pas faire. Des études disent que 80 % des métiers en 2030 n'existent pas aujourd'hui car certains seront remplacés et d'autres évolueront. Il va falloir maintenir les IA, leur permettre de trouver les bonnes datas, la bonne énergie. Demain, il faudra des ingénieurs, des sociologues, des traducteurs, des éthiciens, des spécialistes du green et de l'IA... Si on n'est pas prêts à se transformer, oui, il y aura des problèmes. »
L'IA et l'énergie
« On sait qu'on va dans le mur du point de vue du réchauffement de la planète, il faut avoir une éthique personnelle, d'entreprise, d'état, du monde, donc il va falloir réguler. Vais-je pouvoir développer un projet qui prend tellement d'énergie ? Un selfie, c'est 3 ampoules de 60w qui brûlent pendant une heure, or il se fait 1 milliards de selfies par jour ! 5 % de l'énergie mondiale est utilisée par le numérique, et les data centers, c'est entre 50 et 60 % de l'énergie juste pour le refroidissement. Ce sont une aberration écologique mais on en a besoin et c'est une solution de facilité. Essayons de voir si on peut faire quelque chose avec du small data plutôt que big data. Faire avec moins de données et moins de partage. On serait moins bons mais qu'est-ce qui est acceptable ? Peut-on faire des mini-data centers ? Réfléchissons à nos actes. »
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